P.U.I. à Nogent

Suite à un incident, le Plan d'Urgence Interne (PUI) a été déclenché à la centrale de Nogent-sur-Seine le vendredi 30 septembre 2005. Ce plan mobilise une organisation de crise en cas d'accident nucléaire, afin de permettre d'appuyer l'équipe de conduite du réacteur et d'aider à maîtriser la situation. Il mobilise dans l'heure une cinquantaine de personnes d'astreinte, la préfecture, la Drire, l'autorité de sûreté (ASN) et son appui technique l'IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) ainsi que les experts de la direction technique d'EDF. En théorie, les médias doivent aussi êtres informés sans délai.

Après un long arrêt de la tranche 1 pour rechargement en combustible et maintenance, le réacteur est redémarré vers 6h00 du matin. Dans cet état, les générateurs de vapeur (GV) sont alimentés en eau côté secondaire par le circuit d'alimentation de secours (ASEG). Ce circuit alimente les GV lors du redémarrage et lors de la défaillance éventuelle du circuit normal (ARE).
D'après les indications de la DRIRE, vers 7h00, la puissance est à 0,6% de puissance nominale et l'alimentation en eau du secondaire des GV est basculée du circuit ASEG vers le circuit normal (ARE). Ce circuit pompe l'eau de condensats des condensateurs de vapeur en provenance des turbines pour le réinjecter à 72 bars et 290°C dans les GV, après avoir été réchauffée par la vapeur de fuite des turbines par une série de réchauffeurs.
A 7h09, un premier défaut est détecté sur une des quatre chaînes de mesure du flux neutronique du réacteur. Les indications sont incohérentes, le personnel en salle de commande ne prend pas en compte le défaut et poursuit l'exploitation.
A 7h24, deuxième défaut sur une deuxième chaîne de mesure neutronique. Par défaut d'information, ce sont les automatismes qui déclenchent alors l'arrêt d'urgence du réacteur et l'injection de sécurité (injection d'eau borée neutrophage dans le réacteur pour éteindre la réaction nucléaire).
La défaillance a pour origine l'oubli de la fermeture d'une vanne de purge du circuit ARE. Cette vanne doit être ouverte avant le redémarrage afin de purger l'air du circuit secondaire ARE en son point haut ; l'eau ne devant contenir ni air ni oxygène pour éviter la corrosion, elle est additionnée de morpholine, ce qui la rend fortement basique avec un ph9. Après la purge, la vanne n'a pas été refermée, et c'est de l'eau à 80 bars et 300°C qui s'est échappée au moment du basculement du circuit de secours ASEG vers le circuit normal ARE. Il est étonnant que le personnel ne se soit rendu compte de rien, parce que les quatre tuyauteries ARE ainsi que les quatre tuyauteries vapeurs en provenance des GV passent dans un local situé en partie haute, entre l'enceinte du bâtiment réacteur et l'usine électrique, juste au dessus de la salle de contrôle, et de l'eau qui gicle à 80 bars, c'est bruyant. On notera au passage que ces vannes de purge ainsi que beaucoup de vannes de l'installation ne sont pas équipées d'indicateurs de position permettant en salle de contrôle d'être informé d'une anomalie.
L'eau de fuite n'a pu être évacuée par les puisards, ceux-ci étant bouchés par des débris de béton dégradé vraisemblablement par l'eau basique du circuit secondaire. Il semble que la morpholine utilisée dans le circuit secondaire ne soit pas compatible avec le béton. De plus, un muret conçu pour retenir les eaux de fuite était cassé et le joint thermique de traversée de la dalle était en mauvais état. L'eau a fini par pénétrer dans les armoires électriques situées en dessous, lesquelles contiennent entre autres choses les cartes électroniques des chaînes de mesure du flux neutronique du réacteur. Les automatismes d'arrêt d'urgence et d'injection de sécurité ont été émis de façon intempestive.
Plus d'une heure après l'arrêt automatique, le plan d'état d'urgence a été déclanché à 8h45. L'autorité de sûreté nucléaire a activé son organisation nationale d'urgence ; le centre technique de crise de l'IRSN a été activé de 9h00 à 15h15 et les inspecteurs de la Drire se sont rendus sur le site ainsi qu'au poste de crise de la préfecture. L'ASN a désactivé son organisation nationale d'urgence à 14h45.
Il est à noter que l'exploitant n'hésite plus à déclencher le PUI et mettre les services d'urgence et de crise de l'ASN et de l'IRSN en situation d'aide. En 1998, après une rupture d'étanchéité du circuit de refroidissement à l'arrêt du réacteur de Civaux, le directeur du site qui avait négligé de demander l'assistance de l'ASN et de l'IRSN avait été viré. La leçon semble avoir porté ses fruits.
L'IRSN considère que l'incident est très sérieux et aurait pu être très problématique, car la défaillance de certains tableaux voisins de ceux altérés et qui sont restés en service lors de l'incident, aurait singulièrement compliqué la conduite du réacteur. Il est d'autre part nécessaire de s'interroger sur les conséquences d'une fuite plus importante. En particulier s'il y avait rupture de la tuyauterie ARE au point haut sur le toit du bâtiment électrique.
La CGT, dans un communiqué, informe avoir demandé la réalisation d'une visite du CHSCT (Comité d'Hygiène et de Sécurité et des Conditions de Travail). Au cours de cette visite, il a été constaté " la présence de dispositifs improvisés scotchés au plafond ", destinés à récupérer d'éventuelles fuites d'eau ; ainsi que des protections en plexiglas, collées sur certaines armoires électriques. Des dispositifs similaires ont été identifiés sur la deuxième tranche. La situation serait connue depuis une dizaine d'années, mais les investissements de sûreté n'ont pas été réalisés depuis. La CGT s'étonne aussi que les autorités n'ont pas eu connaissance ou ont ignoré ces écarts.
Il semble évident que la course au rendement et le prix de l'action EDF sur les marchés financiers ont une priorité autre que de banals problèmes de sûreté pouvant éventuellement dégénérer en accident.
Construits sous licence Westinghouse, comme 53 autres réacteurs du parc EDF, Nogent pourrait bien être le premier incident d'une série qui pourrait présenter un caractère générique. On n'ose imaginer ce qui se passerait en cas de rupture d'une tuyauterie ARE ou de vapeur, ou si d'autres organes des armoires électriques mis hors service provoquaient une réaction de l'ordinateur plus incohérente, voire éventuellement, si les commandes lancées à partir de la salle de contrôle n'étaient plus transmises au réacteur et ses annexes par les armoires électriques défaillantes.

Claude Boyer