" Le point de vue des experts ",
extrait de l'article " Discussion sur le futur " paru le 11 juillet 1989 dans Sovietskaya Bieloroussia.

" Le bilan du voyage effectué par un groupe d'experts de l'OMS a été dressé dans un rapport. Ce dernier est signé par MM. Beninson, Président de la Commission Internationale de Protection radiologique (CIPR NdT), P. Pellerin Directeur du Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants (SCPRI, NdT) rattaché au ministère de la Santé français, P. Waight, Directeur du Groupe de Radioprotection du Secrétariat de l'OMS.

Dans ce document sont évoqués en particulier les faits suivants :

A la demande du gouvernement soviétique, l'OMS a envoyé un groupe d'experts chargé d'examiner la possibilité d'une éventuelle adaptation des normes de protection contre les radiations pour les populations qui vivent toujours dans les districts fortement contaminés à la suite de l'accident de Tchernobyl.

Le groupe a participé à la session de la Commission nationale de Radioprotection d'URSS, qui discutait des principes et des modalités d'application pour les populations de la norme de 35 rem cumulés sur l'existence. Tant les représentations des problèmes que les discussions dans les détails ont été des éléments d'information d'une importance fondamentale pour l'utilisation des données physiques, biologiques et médicales, en vue de l'élaboration des normes. Les propositions de la Commission ont été approuvées et retenues par les experts de l'OMS.
Le groupe a visité deux régions de Biélorussie soviétique et a pris part aux délibérations avec les organismes locaux représentatifs des autorités médico-sociales et de la population et les représentants des districts de Tchérikov et de Tchetchersk. A chaque conférence assistaient plus de 400 personnes. A Minsk le groupe a participé aux délibérations organisées par l'Académie des Sciences Médicales de Biélorussie en présence de plus de 100 spécialistes.

En Ukraine, le groupe a visité le centre de Médecine Radiologique de l'Académie des Sciences Médicales d'URSS. Le Professeur Pellerin a visité les localités situées au centre du district de Naroditchi pour évaluer la situation locale et il a rencontré le personnel médical et la population et a donné toute une série de conseils pratiques, fruits de son expérience.

Sur la base de toutes ces discussions, les experts de l'OMS en sont venus aux conclusions suivantes au sujet du critère de dose de 35 rem sur une vie comme norme dans le cas d'une situation post-accidentelle. Ils ont convenu que cette valeur était conservative, et ont assuré que le risque pour la santé sera infime par rapport aux autres risques encourus par l'homme au cours d'une vie.

La valeur de 35 rem est fondée sur l'estimation internationale actuelle du risque induit par les radiations ionisantes sur la santé. Il existe des rapports complets et bien documentés en épidémiologie et radiobiologie sur le long terme.

Les experts estiment que ce sont les doses limites, et non les niveaux de contamination du sol qui constituent les limites valables, puisqu'elles prennent en compte toutes les sources d'irradiation et peuvent être adaptées à toutes les situations accidentelles et à leurs évolutions. Les niveaux dérivés peuvent être établis en vue d'une application pratique dans des conditions spécifiques locales mais ne sauraient être à la base de l'établissement des limites principales. Dans l'hypothèse où on leur aurait demandé de fixer la limite de dose cumulée durant la vie, les experts se seraient prononcés en faveur d'une limite de dose de deux à trois fois 35 rem.

Il est apparu clairement, au cours des discussions que les populations et les scientifiques qui n'étaient pas des experts en radioprotection ne comprenaient pas complètement les principes dont il était question. Il existe par exemple des différences entre les limites de doses pour les populations entrant dans le cadre d'opérations normalement planifiées ou projetées, qui sont confondues d'une façon erronée avec celles qui ont été établies après l'accident lorsque l'intervention était nécessaire. Ces deux situations sont différentes et nécessitent des limites de dose distinctes.

De plus, les scientifiques insuffisamment compétents dans le domaine des effets des radiations assimilent l'ensemble des différentes perturbations biologiques observées au seul effet des radiations. Ces perturbations ne peuvent être mises sur le compte des radiations, particulièrement lorsqu'on ignore leur incidence spontanée, et beaucoup de ces perturbations s'expliquent probablement par des facteurs psychologiques et par le stress. Etablir une corrélation entre ces effets et les radiations a pour résultat non seulement d'accentuer l'effet psychologique sur les populations en provoquant un stress additionnel et en suscitant ainsi des problèmes corollaires sur la santé, mais également d'affaiblir parallèlement la crédibilité des spécialistes dans les régions où il n'existe pas de danger radioactif. En définitive tout cela aboutit à semer le doute vis-à-vis de toute proposition concernant les limites de dose.

Il est nécessaire de veiller de toute urgence à créer des programmes de formation afin d'éliminer cette source d'incompréhension. Il faut que la population et les scientifiques puissent appuyer d'une façon fiable les propositions concernant la protection de la population des régions voisines. A ce sujet, beaucoup de scientifiques ont le sentiment que l'information est insuffisante. Les experts ont cependant relevé avec plaisir qu'ils avaient accès à toutes les informations, et que lesdites informations étaient connues des scientifiques soviétiques. Il n'en reste pas moins que, suite aux avis exprimés indiquant que les informations n'étaient pas toutes accessibles, il fallait prendre toutes les mesures afin de s'assurer qu'à l'avenir il sera possible de recevoir ces informations à intervalles réguliers des services appropriés de l'Académie des Sciences correspondante et des autorités médicales des Républiques.

Quelques craintes ont été émises sur l'éventualité d'effets de synergie entre les radiations et d'autres facteurs environnementaux. Les experts confirment avec force qu'avec les limites de dose proposées on n'a pas à attendre de tels effets. Afin d'être certain que la limite des 35 rem ne soit pas dépassée, il faut poursuivre et développer les mesures dosimétriques et, à l'avenir, les études sur la dosimétrie des radiations. Les experts sont convaincus que la limite de 35 rem est une dose minimale au regard de la question de l'évacuation des habitants qui doit se baser sur l'évaluation des conditions locales, celle des coûts et des souhaits individuels, et qu'elle ne saurait être considérée comme une dose fixe, valable pour toutes les situations.

Les experts ont signalé que les limites de doses cumulées incluent la part due à la nourriture contaminée et que les normes alimentaires soviétiques correspondent aux niveaux admis dans le Marché Commun pour le libre commerce des produits alimentaires ; elles sont plus basses que celles recommandées par l'OMS. De même, il a été signalé que les importations et la consommation de produits non contaminés, toutes les fois où cela est possible, peuvent substantiellement diminuer la part de radioactivité entrant dans le calcul de la dose-limite. Le traitement de la nourriture, soit en ayant recours au filtrage, soit par toute autre méthode, peut diminuer le niveau de contamination radioactive des produits alimentaires.

Les experts estiment hautement les enseignements qui ont été tirés de la tragédie de Tchernobyl et de ses conséquences tant pour les scientifiques soviétiques que pour la protection des populations. L'expérience acquise par les scientifiques soviétiques lors de la liquidation de cette catastrophe, les place au premier rang dans la gestion des situations post-catastrophes, et ils possèdent une capacité unique à aider d'autres pays dans l'élaboration de plans de prévention des accidents. L'espoir a été exprimé qu'une telle expérience et les programmes qui ont été élaborés pour la prévention des accidents soit concédée aux organisations compétentes.

A. Krijanovski (BELTA) "