Antinucléaire, faut-il être cohérent

Les transports de matériaux nucléaires mettent en évidence l'incohérence de l'argumentation antinucléaire actuelle. Autrefois un des arguments antinucléaires sur les déchets était " pas de déchets étrangers chez nous. Chacun doit gérer ses déchets ". La dernière manifestation contre le transport vers l'Allemagne de déchets nucléaires allemands retraités à La Hague, pose problème. Si on est contre ces transports, on est pour le stockage chez nous de ces déchets étrangers. Ce genre de problème n'est pas nouveau, il s'est posé il y a quelques années lorsque Greenpeace a manifesté contre le retour au Japon de déchets japonais.
En clair, si on est contre le stockage de déchets nucléaires étrangers en France, doit-on être contre leur retour dans les pays d'origine ?
Concernant les transports vers La Hague des coeurs usés de nos réacteurs, doit-on s'y opposer ? Légalement il n'est autorisé sur les sites nucléaires qu'un " entreposage " des déchets, il n'est donc pas possible d'y envisager un " stockage " (à long terme) des coeurs usés. Les sites ne sont pas du tout conçus pour un stockage à long terme, ils sont conçus pour un entreposage pour laisser refroidir les coeurs usés dans des piscines afin de faciliter leur transport ultérieur vers La Hague. S'opposer à ces transports de coeurs usés est donc contraire à la législation. Mais si les antinucléaires, opposés à ces transports, obtenaient satisfaction par une modification des décrets il leur faudrait expliquer aux habitants autour des sites qu'ils doivent exiger que les déchets restent chez eux alors qu'ils n'exigent pas un arrêt rapide de l'électronucléaire, possible avec les installations dont on dispose (charbon, fioul). On imagine mal les antinucléaires de Golfech, du Blayais, de Fessenheim et d'ailleurs développer une telle argumentation. Ne pas accepter le transport des coeurs neufs de l'usine de fabrication vers les centrales, celui du transport de plutonium de La Hague vers Marcoule à l'usine Melox qui fabrique le combustible Mox, c'est asphyxier les réacteurs. Comment nos réacteurs pourraient-ils continuer à fonctionner si on ne les approvisionne pas ? Refuser l'arrêt rapide et accepter un arrêt lent après 20 ou 30 ans (s'il n'y a pas d'accident avant) et refuser leur alimentation est complètement incohérent.
D'autre part, mettre en évidence que le transport des matériaux nucléaires par train ou camion est dangereux, cela est rationnel. Mais il est évident que si l'on accepte le fonctionnement des réacteurs nucléaires pendant quelques décennies, ces transports sont inévitables. Leur danger nécessite donc des mesures de sécurité qui ne sont pas prises (pour des raisons économiques probablement). Dans les années 70 les antinucléaires avaient adopté un mot d'ordre clair à ce sujet " société nucléaire, société policière ". On pouvait lui reprocher un manque de réalisme, il aurait été plus juste de dire " société nucléaire, société militaire ".
Accepter que nos réacteurs continuent à fonctionner pendant longtemps et ne pas accepter que notre société devienne une société policière, voire militaire, c'est tout à fait incohérent. Ne pas exiger la mise en place d'une protection policière, voire militaire, des transports nucléaires et refuser l'usage des centrales à charbon-fioul qui existent pour adopter une " décision immédiate " d'une sortie différée du nucléaire, ce que font les " antinucléaires " reconnus, cela est incohérent.
Se contenter de slogans, d'actions médiatiques sur fond d'incohérences, ne risque pas de convaincre la population. Cela les renforce dans l'impression qu'il n'y a rien à faire et que les pro et les anti sont dans le même panier. Si nous voulons être efficaces nous devons être cohérents, proposer des solutions vraisemblables et pas de la gesticulation médiatique et du rêve !

Roger Belbéoch, décembre 2004