Les antinucléaires et la diabolisation du charbon

Pourquoi les écolos/antinucléaires français refusent-ils en France ce qu'ils considèrent comme exemplaire ailleurs, l'Allemagne et le Danemark et leurs énergies renouvelables, alors que dans ces pays la production électrique à partir du charbon et du fuel est dominante ? En Allemagne 51,6% en 2002, au Danemark 58% en 2001 (voir la Lettre 96/97, janvier-avril 2003).
Dans les milieux écolos/antinucléaires, avancer qu'on peut sortir rapidement du nucléaire en utilisant les centrales électriques à charbon/fuel existantes soulève une répulsion violente. Non au charbon, ce qui implique : gardons nos centrales nucléaires.
L'argumentation avancée est bien sûr l'effet de serre, une aubaine pour les écologistes. Sans entrer dans la polémique sur l'importance de l'effet de serre, il ne faut pas oublier les gaz à effet de serre provenant de l'agriculture et de l'élevage intensifs, les gaz d'échappement des voitures, et tous les produits chimiques qu'on envoie dans l'atmosphère. Il faut souligner que le gaz carbonique provenant de la combustion du charbon pour la production d'électricité, même si le charbon remplaçait toute notre production électronucléaire, n'augmenterait pas notablement l'effet de serre, phénomène mondial. Si celui-ci s'avérait dramatique, un peu plus ne changerait rien au désastre. Mais cela pourrait éviter des désastres nucléaires dans le très court terme.
L'effet de serre, s'il est médiatiquement utilisé par les écolos/antinucléaires, ne peut pas expliquer totalement leur répulsion vis-à-vis du charbon qui n'était guère apparente avant la décision de nucléarisation de notre production électrique en 1974. Si à cette époque le mouvement antinucléaire avait été assez fort pour bloquer le programme EDF, nous n'aurions pas de réacteurs nucléaires et notre électricité serait produite majoritairement (comme au Danemark et en Allemagne) par des centrales à charbon/fuel. En somme nos antinucléaires devraient se réjouir de l'échec d'il y a 30 ans !

Quelques hypothèses pour expliquer cette répulsion.
L'énergie nucléaire, dès qu'elle apparut comme possible, fut la marque de la science et de la technologie comme moteurs essentiels du progrès.
Il suffit de lire (ou de relire pour les vieux) ce qui s'écrivait après 1945 pour se rendre compte que le nucléaire n'était pas simplement une nouveauté technologique. La destruction totale d'Hiroshima et de Nagasaki était la preuve que les physiciens ne s'étaient pas trompés en déclarant que la matière était une énorme réserve d'énergie et que son exploitation pacifique devait permettre de résoudre bien des problèmes sociaux en inaugurant une société de l'abondance. La destruction d'Hiroshima le 6 août 1945 fut, pour le journal Le Monde, " Une révolution scientifique " alors que celle de Nagasaki n'eut droit qu'à quelques lignes en dernière page. Pour Le Monde ce n'était qu'un " remake "
Les réactions contre la bombe, quelques années après Hiroshima dans les années 50, avaient pour thème " non à la bombe, oui à l'atome pacifique ". L'horreur de la guerre nucléaire a servi de marchepied au développement de l'électronucléaire. En 1953, Eisenhower utilisa publiquement le thème de l'atome pour la paix.

Revenons au charbon. Bien sûr le charbon n'est pas une activité innocente et les mineurs de charbon ont beaucoup souffert. Mais tous ceux qui hurlent dès qu'on évoque un retour à l'emploi massif de charbon ont-ils réagi contre la condition ouvrière des mineurs de charbon ? Ont-ils réagi contre l'indifférence de la société vis-à-vis de leur situation ? Ils n'ont découvert la nocivité du charbon pour les mineurs que bien plus tard. Et ils ne se sont pas davantage inquiétés de la santé des mineurs d'uranium qui allaient prendre la relève. Qui, chez les anti-charbon, est scandalisé par le taux très élevé des cancers mortels -du poumon et du larynx- chez nos mineurs d'uranium ? Il est vrai qu'il n'y a plus de mineurs d'uranium en activité en France actuellement mais les mineurs retraités continueront à mourir de cancer. Notre uranium vient d'entreprises françaises exploitant les mines du Niger et d'ailleurs dans des conditions épouvantables (voir Un scandale nommé COGEMA dans la Lettre de Stop-Nogent n°95 nov.2002 et le compte-rendu de la mission récente de la CRIIRAD au Niger, Trait d'union n°27, à paraître).
L'utilisation massive des turbines à gaz ne peut se faire rapidement car elles sont à construire. Les centrales thermiques classiques (charbon/fuel) existent encore et leur exploitation intensive permettrait la mise à l'arrêt d'un grand nombre de réacteurs nucléaires. Cette stratégie mettrait la France dans une situation analogue à celle des autres pays européens.
Le refus des écolos/antinucléaires d'exiger un arrêt rapide de nos centrales nucléaires en réactivant au maximum les centrales existantes à charbon et à fuel a certainement des origines profondes. Arrêter le nucléaire et revenir au charbon comme en 1974 c'est constater que le progrès scientifique/technologique n'est pas une garantie absolue de sécurité et cela bouleverse notablement l'idéologie ambiante. Le charbon ne fait pas le poids par rapport à l'atome. Les écolos/antinucléaires veulent bien l'arrêt des réacteurs nucléaires mais pas par ce qui apparaît comme un retour en arrière,
mais par un progrès technologique dans le domaine des énergies renouvelables (éolien/solaire). Celles-ci n'étant pas capables dans le court terme de remplacer le nucléaire, ils font confiance au progrès technologique pour que ces énergies soient efficaces dans 20, 30 ans. C'est la même idéologie du progrès qui a promu le nucléaire il y a une trentaine d'années.

On se trouve avec les écolos/antinucléaires dans un domaine de fantasmes fondés sur les mêmes bases que celles qui déterminent les réactions aux nouveaux risques que la modernité scientifique développe à un rythme accéléré : recherche publique contre recherche privée, débats citoyens, contre-expertises " indépendantes ", étiquetage des aliments, service public etc., alors que la réalité est occultée.
Certains, après des années de répulsion anti-charbon, finissent par envisager le charbon comme solution pour éviter le désastre nucléaire mais ils veulent que ce charbon proposé soit présenté comme une " technologie innovante ". En somme, revenir au charbon sans que cela soit perçu comme un retour en arrière mais comme le résultat d'un progrès technologique. On voit bien là que le problème charbon/nucléaire n'est pas fondamentalement lié aux conséquences de ces technologies mais à un désir de ne pas toucher à l'idéologie du progrès fondée sur une science sans contraintes.
Ils commencent à s'intéresser aux perfectionnements apportés aux centrales électriques au charbon. Or les techniques " charbon propre " ne sont pas nouvelles. Elles n'ont rien de révolutionnaire, certaines ont fait leurs preuves en France même, et avec des charbons médiocres ! EDF et Charbonnages de France les ont expérimentées chez nous (d'abord en Lorraine à Carling puis en Provence à Gardanne et il a suffi de changer les chaudières) mais elles sont destinées à l'exportation comme l'ont bien montré les contrats récents d'Alstom avec la Chine et les USA. En gros la méthode à lit fluidisé circulant (LFC) consiste à mélanger, dans une masse en mouvement d'air chaud (850°C), du charbon pulvérisé à du calcaire qui va capter les produits toxiques SO2 et NOx. D'autres techniques utilisant la vapeur supercritique ont été mises en uvre dès les années 50 (vapeur à 540-560°C sous pression de 250 bars) et sont améliorées dans des centrales " ultrasupercritiques ". Il y a aussi la gazéification du charbon à 1600°C (comme à Puertollano en Espagne) où l'on purifie le gaz synthétique formé qui alimente ensuite une turbine à cycle combiné (rejoignant la technique des cycles combinés à gaz naturel). Mais bien sûr le gaz carbonique s'échappe dans l'atmosphère. Cependant d'après les promoteurs, comme le rendement est augmenté (voisin de 45%), il y a moins de CO2 à production électrique égale.
En somme on peut constater une avancée dans l'acceptation de l'usage du charbon à condition qu'elle soit la marque du progrès. Dans le débat qui commence timidement à s'amorcer dans le mouvement antinucléaire le plus important c'est bien sûr qu'un désastre nucléaire est possible, mais ce désastre possible a été occulté jusqu'à maintenant par les tenants d'une sortie différée du nucléaire. Il y a eu davantage de pages consacrées aux éoliennes qu'aux conséquences sanitaires d'un accident nucléaire. La cécité n'est plus supportable alors que le désastre nucléaire est envisagé par les responsables sociaux à travers un grand nombre de décrets, d'arrêtés, de directives etc.

Il est important d'analyser les raisons idéologiques qui ont bloqué le mouvement antinucléaire car ces mêmes raisons pourraient être la source de l'acceptation de technologies causes de bien d'autres désastres (les biotechnologies, l'informatique et le contrôle des individus etc.)

Roger Belbéoch, 27 février 2004