Il y a une semaine,
une équipe díIndymedia rentrait díIstanbul,
où elle était partie faire un reportage à
líinvitation de líorganisation Tayad, une association
de solidarité avec les détenus en Turquie, dont
certains observent une grève de la faim « au finish
» pour protester contre les nouvelles prisons dites «
type F ». Reportages et interviews suivront sur ce site
dans les prochaines semaines.
En trois jours
sur place à Istanbul, nous níavons évidemment
pas eu le temps de faire tout ce que nous aurions dû ou
voulu faire, mais cela a tout de même suffi pour nous faire
une première idée de la situation et pour interviewer
un maximum de personnes. Tout díabord, nous tenons à
remercier les membres de Tayad, qui nous ont aidé tout
au long du séjour sans pour autant nous imposer quoi que
ce soit. Nous avons pu travailler en toute liberté sans
jamais nous sentir excessivement « guidés ».
Les premiers grévistes de la faim ont
entamé leur action le 20 octobre 2000 pour protester contre
les nouvelles prisons de type F, dans lesquelles tous les prisonniers
politiques seront regroupés à terme. Jusquíà
présent, les prisonniers politiques se retrouvaient entassés
parfois à plus de 100 dans des dortoirs prévus
pour 60 personnes. Des conditions qui sont loin díêtre
idéales, mais qui leur assuraient au moins une certaine
sécurité. Une fois passé le parcours du
combattant qui précède la condamnation formelle
(avec un passage assuré par la torture, au commissariat),
les détenus se retrouvent dans les dortoirs avec díautres
prisonniers politiques, souvent de la même organisation.
Ce regroupement engendre une forte solidarité et permet
de maintenir un esprit de groupe nécessaire pour résister
à la torture psychologique. Il arrive même que les
gardiens renoncent à extraire un prisonnier de son dortoir
parce que le dortoir entier síy oppose. Les codétenus
savent malheureusement très bien ce que peut signifier
une telle extraction pour la personne concernée (retour
en mauvais état, si retour il y a). Or,
la période des dortoirs semble révolue. Assoiffée
de « modernité », la Turquie construit de
nouvelles prisons, de type F, où les cellules peuvent
accueillir entre 1 et 3 détenus seulement. Malgré
le fait que les type F soient plus confortables, modernes et
hygiéniques, les prisonniers politiques y voient surtout
une manúuvre pour casser la solidarité dans les
prisons et achever de briser leurs dernières résistances.
Vu la situation des droits de líhomme dans líappareil
répressif, les dortoirs constituent une sorte de garantie
de survie. Ils refusent donc tout net leur transfert dans ces
prisons « modernes », et entament une grève
de la faim « au finish » pour appuyer leurs revendications.
Pour le reste, ils exigent notamment líabrogation díun
article de la loi dite « anti-terroriste » qui, interprété
beaucoup trop largement, sert à incarcérer à
tour de bras des gens pour des délits díopinion.
La Turquie compte à líheure actuelle environ 11.000
prisonneirs politiques. Le 19 décembre
2000, devant líampleur du mouvement dans les prisons,
les autorités turques décident de briser le mouvement
et donnent líassaut sur les prisons. Pour ne rien laisser
au hasard, ils utilisent les grands moyens : murs de dortoirs
abattus au bulldozer, overdose de gaz lacrymogènes, gaz
brûlants non identifiés, armes à feu, Ö
On a même parlé de lance-flammes, et tout cela contre
des détenus sans défense. Bilan : 30 morts parmi
les prisonniers, beaucoup de blessés, un grand nombre
des rescapés transférés dans des prisons
de type F, et le transfert des grévistes de la faim dans
des hôpitaux pour y être nourris de force (pratique
illégale). Cette opération était cyniquement
intitulée « Retour à la vie » : les
autorités estimaient en effet que les grévistes
de la faim étaient forcés à jeûner
par les organisations auxquelles ils appartiennent, et venaient
donc les « sauver de leurs griffes ». Pour prouver
que cette pression psychologique était une invention pure
et simple, díautres membres des mêmes organisations,
qui sont en liberté et qui occupent parfois díimportantes
responsabilités, ont entamé une grève de
la faim par solidarité. Ce sont eux, ainsi que des détenus
grévistes renvoyés chez eux pour six mois, pour
se soigner ou pour mourir, qui sont regroupés notamment
dans le quartier díArmutlu, une banlieue pauvre díIstanbul,
dont les principales voies díaccès sont contrôlées
par des barrages filtrants de la police turque. Le DHKP-C, le
front et le parti révolutionnaire de libération
du peuple, organisation illégale en Turquie, est bien
implanté à Armutlu. Cette accumulation de présence
policière fait craindre un assaut sur Armutlu similaire
à celui des prisons en décembre dernier. La situation devient donc de plus en plus urgente,
díautant plus que les grévistes de la faim, extrêmement
déterminés, continuent de mourir. La 64ème
victime (les morts de líassaut de décembre sont
compris dans ce chiffre) vient de décéder à
Armutlu le 31 août dernier. En Turquie, il faut un mort
pour que la presse se souvienne vaguement de la lutte qui est
en cours, et encore. Il faut savoir que la liberté de
la presse est toute relative en Turquie, et que comme partout
ailleurs, le contrôle des groupes de presse se concentre
de plus en plus entre les mains de quelques industriels, et le
contenu se commercialise à outrance. On peut donc dire
que quand ce níest pas le silence complet, líopinion
turque est désinformée. Chez nous, ce níest
pas beaucoup mieux. En décembre, lors de líassaut
sur les prisons, nos journaux se sont contentés le plus
souvent de communiqués díagence qui relayaient
fidèlement la version officielle. La Libre Belgique síest
même distinguée par sa mauvaise foi lorsquíune
commission díenquête indépendante est allée
se rendre compte de la situation en Turquie (voir : http://belgium.indymedia.org/front.php3?article_id=1879).
Pourtant, les conclusions de cette commission étaient
sans appel (http://belgium.indymedia.org/front.php3?article_id=1783).
En général, quand nos médias parlent de
la Turquie, cíest pour parler soit de la grave crise économique
et financière qui touche le pays, soit du boom touristique.
Sur les droits de líhomme, la presse se tait le plus souvent,
tandis que nos politiciens continuent de considérer la
Turquie comme un allié fiable quíil faut ménager.
Cíest notamment pour briser ce silence quíune grève
de la faim de solidarité aura lieu à Bruxelles
du 9 au 25 septembre prochain.
Pendant
notre séjour, nous avons évidemment pu interviewer
plusieurs grévistes de la faim, mais aussi un avocat engagé
dans le combat pour les droits de líhomme, un syndicaliste
qui se bat contre líamenuisement des droits des travailleurs
(et contre la direction des grands syndicats institutionnalisésÖ),
un ancien musicien célèbre engagé aujourdíhui
à plein temps dans la lutte pour les droits de líhomme
et contre les prisons de type F, et une journaliste indépendante.
Nous sommes aussi allés dans le quartier de Gazi, une
autre banlieue pauvre díIstanbul, délaissée
par les autorités et à peine desservie par les
services publics. Bien implanté, le DHKC est parvenu à
y mettre sur pied un parlement populaire qui organise, là
où il le peut, les services collectifs déficients.
Pour les problèmes que le parlement populaire ne peut
pas résoudre lui-même par manque de moyens, il organise
la revendication au moyen de pétitions massivement soutenues,
afin de forcer les pouvoirs publics à prendre leurs responsabilités.
Ce qui est frappant en Turquie, cíest
de constater à quel point la répression est présente,
même si elle est à peu près invisible. A
peu près toutes les personnes que nous avons interviewées
ont fait plusieurs séjours en prison, et nombre díentre
elles ont été torturées. Sur les trois jours
de notre séjour, plusieurs incidents nous ont fait comprendre
que la répression est une menace quotidienne. Par exemple,
cette femme díArmutlu convoquée au commissariat
díIstanbul pour avoir été vue, un an auparavant,
exhibant une pancarte du DHKC dans une manifestation. En partant
le matin, elle ne savait pas síil síagirait díune
simple formalité ou si elle partait vers la torture et
la prison. Finalement, la police se contentera provisoirement
de lui confisquer ses papiers díidentité. Autre
exemple, ces 4 mères de grévistes de la faim parties
à Ankara pour demander une entrevue au ministre de la
Justice. Elles se sont retrouvées en prison. Ou encore
ce gamin de 16 ans, arrêté pour un larcin. La police
est allée rendre le corps du gamin au parents le lendemain.
Version officielle : il síest penduÖ Malgré
cette tension omniprésente, tous les gens que nous avons
côtoyés gardent le sourire et le sens de líhumour.
Quand on nía plus que ses yeux pour pleurer, on a apparemment
tout de même encore sa bouche et son cúur pour rire.
Dans les prochaines semaines,
vous trouverez donc sur ce site des interviews et des articles
plus détaillés concernant ce voyage. |