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Ex.URSS, les prisonniers politiques du nucléaire
by Infonucléaire 6:16pm Wed Dec 26 '01 (Modified on 8:11pm Fri Dec 28 '01)
infonucleaire@altern.org

Les prisonniers politiques du nucléaire:


Quatre ans de prison pour Pasko, qui avait dénoncé l'état de la flotte russe du Pacifique

VLADIVOSTOK, Russie - Les organisations de défense des droits de l'Homme ont unanimement dénoncé mardi la condamnation à quatre ans de prison de Grigori Pasko, reconnu coupable de trahison et dégradé par un tribunal militaire pour avoir dénoncé les dangers de pollution nucléaire liés à l'état de la flotte russe dans le Pacifique. (La dramatique histoire des sous-marins nucléaires soviétiques)

Neuf ans avaient été requis à Vladivostok contre ce militaire devenu journaliste et accusé d'espionnage. Ayant déjà passé 20 mois en détention, Pasko purgera les 28 mois restant dans une prison de haute-sécurité.

Pour le Groupe Moscou Helsinki, qui a publié une lettre notamment signée par Helena Bonner, la veuve du prix Nobel de la paix Andreï Sakharov, et Alexandre Nikitine, défenseur de l'environnement accusé de trahison puis acquitté pour avoir également dénoncé le danger de pollution nucléaire (Nouvelle Zemble), ''une illusion s'est effondrée (mardi), qui montre le véritable prix de la paix en Russie''. ''Le pays ne comprend toujours pas vraiment quelle route le FSB (Service fédéral de sécurité, ex-KGB, NDLR) est en train de prendre''.

''Ce verdict signifie que la Russie devient moins ouverte sur les questions d'environnement, ce qui ralentit le travail sur ces questions, tant au niveau international que national'', estime le mouvement de défense de l'environnement Bellona, qui a assisté la défense de Pasko.

Accusé de trahison pour avoir communiqué à la presse japonaise des secrets d'Etat sur la flotte russe du Pacifique, Grigori Pasko a acquitté, puis reconnu coupable d'avoir illégalement assisté et pris des notes en 1997 à une réunion secrète au cours de laquelle les commandants de la flotte ont discuté tactique navale.

''Je ne comprends absolument pas l'essence de la sentence, particulièrement en ce qui concerne ma culpabilité'', a déclaré le journaliste au tribunal. Son avocat Anatoli Pichkine ignorait si son client comptait faire appel. La procédure doit être lancée dans les sept jours suivant le jugement.

Quant au consul général américain James Shoemaker, présent dans la salle du tribunal, il a trouvé le jugement ''un peu inattendu''.

Le président de la chambre haute du Parlement, Sergueï Mironov, a déclaré au journal ''Izvestia'' qu'il soutiendrait Pasko si celui-ci demandait la grâce présidentielle à Vladimir Poutine. ''L'opinion publique internationale sait depuis longtemps qui a tort et qui a raison'' dans ce dossier, a-t-il ajouté. De son côté, le porte-parole du FSB, Alexandre Zdanovitch, cité par l'agence Interfax, a exprimé des doutes sur les chances de réussite d'un appel, estimant que Pasko était ''un militaire qui divulgué des secrets d'Etat'' et non un journaliste.

 


Grâce présidentielle refusée au Professeur Youri Bandazhevsky

Conversations téléphoniques avec Galina Bandazhevskaya

Décembre 2001

Le Professeur Bandazhevsky et sa mère ont reçu la réponse de l'Administration du Président de la République du Bélarus, datée du 20 novembre 2001 :

"Nous vous communiquons que votre demande de grâce pour Bandazhevsky Y.I. a été examinée et n'a pas été exaucée en raison de la brièveté du temps de peine purgé, de la gravité et de la dangerosité sociale du crime qu'il a commis." Signé V.I.Samousev, chef du service de citoyenneté et de grâce.

Youri reçoit une trentaine de lettres par jour du monde entier, de personnes inconnues qui lui manifestent leur solidarité, leur chaleur, leur amitié. Il les remercie de tout son être. "Elles me font vivre", dit-il et prie qu'elles ne cessent pas. Il tient bon et se dispose à résister les années qui viennent, coûte que coûte, conscient qu'abdiquer moralement signifierait la fin.

Galina et sa mère ont passé de nouveau avec lui trois jours, du 28 au 30 novembre, autorisées à discuter avec lui des questions de famille : sa fille se marie en janvier avec un de ses élèves de l'Institut de Gomel. Tout le monde ne s'est donc pas détourné, même dans le territoire où l'hostilité contre lui et la peur d'être des siens sont entretenues avec le plus d'acharnement.

Sa femme signale qu'il ne bénéficie d'aucune faveur particulière. A la seule exception de la bibliothèque, où il peut lire et écrire pendant la journée, ses conditions sont les mêmes des autres détenus. Elle avait demandé une diète adaptée à son ulcère. Après examen endoscopique, elle a été refusée, parce que l'ulcère "se cicatrise". Dans la chambrée, sol en béton, où sont entassés plus de cent détenus sur des couchettes à trois étages, les rats se disputent leurs victuailles. Le petit appareil de télévision, qu'il était impossible d'approcher à travers la masse humaine, mais qui était quand même une lucarne sur le monde, est cassé.

Ce dont Bandazhevsky souffre le plus dans le goulag c'est du manque d'informations et de ne pas pouvoir exercer son métier de médecin et de chercheur. C'est ce qui angoisse le plus cet esprit brillant, assoiffé d'activité intellectuelle, de recherche, d'échanges créatifs. Sa femme n'est pas sûre qu'au bout de trois ans de cette existence l'esprit de Youri sera aussi limpide et vif. En attendant, il a inventé une expérimentation scientifique, en captivant l'intérêt et la participation des garçons de service de la prison (qui sont également des détenus). Ceux-ci cultivent des plantes dans des pots, où des vers de terre se multiplient. Les lombrics, comme les humains, aiment le thé. Eh bien, Bandazhevsky a proposé d'expérimenter l'éventuelle toxicité des différentes sortes de thé (vert, noir…) en introduisant le thé qui reste après infusion dans la terre de ces pots, pour observer ensuite la vitalité des lombrics. Les jeunes apprentis scientifiques du goulag ont accueilli l'idée avec enthousiasme. Voilà comment passe son temps celui que le Professeur Nesterenko considère digne d'un prix Nobel et dont le Professeur Fernex dit que les pathologies post-Tchernobyl qu'il a découvertes porteront son nom. Il aimerait travailler à la clinique de la prison, mais c'est refusé : il est un détenu comme les autres, "à régime renforcé".

Il me demande de transmettre son infinie gratitude et sa promesse de résister à tous ceux qui le soutiennent.

Les démarches administratives, de l'Union Européenne et du Parlement Européen en particulier, se poursuivent en direction du Président Loukachenko et du Président Poutine, dont l'influence est certaine en Biélorussie.

Il faut continuer à écrire pour demander la libération de Bandazhevsky. En effet, en politique, ce qui est refusé un jour, peut être accordé le lendemain. L'actualité change constamment, et avec elle les intérêts et les rapports de force respectifs.

Merci aussi de continuer à écrire au Professeur Bandazhevsky.

 


"SOS Bandazhevsky"
(transmis par Wladimir Tchertkoff)

Le 10 octobre le Professeur Youri Bandazhevsky a fait une demande de grâce au président Loukachenko.

Youri Bandazhevsky: des nouvelles après trois mois de prison

Conversation téléphonique avec Galina Bandazhevskaya
Les 2 et 4 octobre 2001.

La mère et la femme de Youri Bandazhevsky ont eu l'autorisation de passer 3 jours avec le prisonnier, du 28 au 30 septembre, dans une "chambre d'hôtel" destinée à ces rencontres à l'ntérieur de l'enceinte de la prison. Elles lui ont apporté un colis de 30 kg de produits alimentaires, dont tous les trois ont dû se servir pour se nourrir pendant 3 jours, car il leur était interdit de sortir pour faire des courses. La prochaine rencontre longue sera dans 6 mois, en avril; la courte, téléphonique à travers la vitre, fin novembre, 4 mois après la précédente de juillet.

Galina Bandazhevskaya a une grande force de caractère. Cependant, en décrivant les conditions matérielles et surtout l'état moral de son mari, elle a dû s'interrompre à plusieurs reprises pour réprimer les larmes et a sangloté au téléphone.

Les conditions de Youri ne sont pas aussi bonnes que, de loin, nous souhaitions et espérions. Perdu dans la masse compacte des prisonniers de doit commun, c'est un solitaire pas comme les autres, qui n'arrive pas à s'adapter, à trouver sa place pour respirer. Il n'a pas la trempe d'un Solzhenitsine et oscille entre la dépression panique désorientée et une euphorie créatrice, dès qu'il est repris par les réflexions scientifiques. Mais ces moments d'activité intense, où il se retrouve lui-même, s'interrompent et capotent par manque de moyens. Il n'a pas où puiser l'information scientifique dont il a besoin.

Il faut imaginer que comme tous les détenus de ce goulag, il est vêtu d'une combinaison de toile noire avec l'inscription "BABDAZHEVSKY Y.I.", le crâne rasé, couvert d'un calot rond de toile noire. Comble de dérision, c'est sa femme qui a dû lui fournir l'accoutrement (la prison n'en a pas en bon état). Elle a fait le tour de tous les magasins de Minsk pour le trouver, et a fini par l'acheter à un ouvrier du bâtiment pour une demi bouteille de vodka. Dans la chambrée commune, qui réunit entre 80 et 150 détenus (il n'a pas voulu donner trop de précisions, qui pourraient lui être reprochées), ils n'ont qu'un minuscule appareil de télé, inaccessible pour lui à cause de la masse humaine qui se presse autour. Youri Bandazhevsky est un scientifique pur, un homme sensible, courtois, respectueux d'autrui. Il ne sait pas se défendre, conquérir son espace. Il est fragile dans ce milieu. Dépaysé, humilié et offensé, - mais "qu'importe l'humiliation" dit-il, "pouvoir travailler me sauverait!", - il est maladroit, un poisson hors de l'eau. "Mon système nerveux ne réussit pas à s'adapter". Il s'efforce de se tenir en mains, mais sur un fond d'angoisse et de dépression. Sa femme a noté une toux intermittente, un tic nerveux,. "Je ne réussirai pas à tenir le coup ici", lui a-t-il répété à plusieurs reprises, ne retenant plus les larmes.. Elle en est convaincue.Cela la désespère. C'est l'opinion aussi du chef de sa brigade: "avec cette condamnation à 8 ans il ne tiendra jamais le coup chez nous." Du point de vue de la santé non plus. La nourriture est totalement insuffisante : le matin bouillie (kacha) d'orge, une cuiller de sucre du pain et du thé si vous en avez; à midi soupe aux choux, kacha, pain; le soir kacha, pain. Pas de viande, pas de graisse, pas de produits laitiers. Le chef de brigade conseille de lui apporter des vitamines et des aliments plus riche, "autrement, avec cette dureée de peine, la santé s'en ira à vau-l'eau, il perdra les dents, puis le reste".

Galina : "Le dernier jour, il m'a déchiré l'âme".

Le Professeur Nesterenko : "Ils ne s'attendaient pas de devoir vraiment vivre cela. Ils n'étaient pas prêts".

Pendant la période d'assignation à domicile, entre les deux emprisonnements, les Bandazhevsky se réfugiaient dans l'espoir que notre soutien grandissant de l'Occident leur éviterait cette épreuve.

Depuis que le Professeur Youri Bandazhevsky a été condamné sans appel à 8 ans de prison, plus personne ne parle de concussion ni de corruption à son sujet au Belarus. Quand un journal du régime — proche du milieu scientifique et médical officiel - l'attaque, c'est seulement pour dénigrer sa compétence scientifique et sa santé mentale. "Je suis un homme dangereux", dit-il. Le fait est que ceux qui ont intrigué et fait célébrer ce procès inique, ont voulu, en le faisant condamner à un "camp de redressement à régime renforcé", casser cet homme dangereux. Ils y parviendront, si on le sort pas de là rapidement.

Concrètement.

La direction de la prison ne l'a fait bénéficier d'aucune condition spéciale. Il est traité exactement comme tous les autres dans ce type de camp (ou de colonie comme on les nomme maintenant). Il peut aller dans la bibliothèque de la prison, dépourvue de littérature scientifique, s'il veut travailler. Sa femme a voulu lui apporter une machine à écrire. Mais c'est interdit. Il a demandé que sa femme lui apporte un manuel avec cassettes pour étudier l'anglais. Les cassettes sont interdites. Il existe des "brigades où on est mieux que dans la mienne" — dit-il. Mais ce n'est pas pour lui. Un détenu qui fait le gardien de "l'hôtel" interne de la prison, a une petite chambre, une table, un divan un petit appareil de télévision. C'est donc possible. Mais l'administration du camp, qui reçoit les lettres de l'étranger, répète : "Professeur ou pas professeur, dans la "zone" c'est la même chose. Il est malsian d'alimenter ses illusions. Il faut qu'il s'oriente sur les 8 ans, sinon il ne tiendra pas."

Demande grâce.

L'épouse, la mère et la fille de Bandazhevsky ont écrit chacune au Président du Belarus, Loukachenko, en lui demandant la grâce pour leur conjoint. Il leur a été répondu que l'Administration du Président prendra leur demande en considération dès que l'intéréssé lui-même aura fait la même requête. Bandazevsky n'entend pas se repentir d'un délit qu'il n'a pas commis et a préparé une lettre à Loukachenko, où il réitère son innocence et lui demande d'user de sa prérogative de grâce pour le restituer à ses travaux scientifiques d'homme libre.

De son côté, le Professeur Nesterenko a su à l'Ambassade de France que, le 16 août dernier, les ambassadeurs européens à Minsk ont fait une démarche auprès du Ministère des affaires étrangères du Belarus. Ils ont déclaré qu'ils considèrent cette condamnation, aussi sévère, comme une affaire politique, ont demandé la grâce présidentielle, compte tenu des mérites scientifiques du Professeur Bandazhevsky et de l'absence de preuves contre lui et, dans l'attende, une amélioration des conditions de sa détention. Le ministre a répondu qu'il en référerait en haut lieu, mais qu'aucune requête dans ce sens n'est encore parvenue au gouvernement de la part de Bandazhevsky lui-même.

Le Code Pénal de la République du Belarus établit que c'est une commission de l'établissement resposnsable de l'exécution de la peine qui décide de la transmission de la demande de grâce au président de la République. Les responsables du camp de redressement découragent Bandazhevsky de le faire car, disent-ils, il n'a pas mûri les conditions suffisantes pour que la requête soit transmise. Le Code Pénal établit en effet que "la demande de grâce doit contenir une appréciation de la personnalité du condamné, de sa conduite, de son attitude face au travail et à l'éducation pendant qu'il purge sa peine, de son attitude par rapport au délit commis, ainsi que d'autres circonstances qui méritent attention et qui confirment que le condamné a atteint un certain degré de redressement.". Bandazhevsky est décidé de présenter quand même sa demande de grâce à cette commission du camp, en considération de deux motifs. 1.- Parmi les circonstances requises il y en a une, non prévue expressément, mais réelle et de poids : Bandazevsky n'est pas un criminel de droit commun, mais un scientifique de renommées mondiale, pluridécoré par des Prix académiques et dont la libération est réclamée par la communauté scientifique et politique internationale (IPPNW, Union Européenne, Parlement européen, Amnesty…). Sur la base de la biographie du condamné, c'est une "circonstance qui mérite attention et qui confirme que le condamné est en possession d'un haut degré de rectitude civique et morale".Cette circonstance justifie que le Président du Belarus puisse se pencher sur son cas. 2.- Si néanmoins la demande était bloquée par la commission du camp de redressement, les ambassadeurs européens seraient fondés à demander qu'on ne se paie pas leur tête. Car d'un côté l'Aministration du Président n'attend que la requête de Bandazhevsky pour étudier le cas, mais de l'autre elle s'avouerait impuissante devant la décision de la prison? L'affaire deviendrait vraiment politique entre l'Europe et le Belarus et Youri Bandazhevsky n'aurait de toute façon plus rien à perdre dans cette hypothèse, en faisant sa démarche.

Révision du procès

L'avocat a préparé un dossier pour la Cour de Strabourg et pour la Commission des droits de l'homme de Genève, qu'il fait traduire en anglais. Il l'enverra ces jours-ci, dès que la traduction sera prête. Ce même dossier sera déposé également à la Présidence de la Cour Suprême du Belarus, sous forme de plainte dénonçant les irrégularités du procès et demandant sa révision. La démarche des ambassadeurs, qui de fait met en cause le bien fondé de la condamnation ("affaire politique"), constitue le fait nouveau, un "terrain" utilisable que l'avocat attendait pour déposer la plainte. Il est inscrit pour le 5 novembre prochain à une consultation à la Cour Suprême, pour ce faire.

Soutien
Tout ceci demandera du temps et reste sous le signe du doute quant'au résultat. C'est le danger pour la tenue psychique de Bandazhevsky. Deux chose le sauvent ou le protègent : le travail scientifique et les nombreuses lettres d'amitié et de solidarité qu'il reçoit mais dont le flux s'est amenuisé ces derniers temps. On doit continuer à lui écrire. Ce pourrait être une "tâche" hebdomadaire de ceux qui lui ont déjà écrit.

Son adresse en prison :
Yuri Bandazhevsky
220600 BELARUS
Minsk
Ul. Kalvarijskaya, 36
Boîte Postale 3521
 

 

 

Réponses à 7 des questions posées
au
Professeur Youri Bandazhevsky

par les médias irlandais, lors de la conférence de presse de Ady Roche.

Minsk, avril 2000

 

1. - Votre brillante carrière a commencé à Grodno. Pourquoi êtes-vous venu à Gomel après la catastrophe à la centrale atomique de Tchernobyl? Quel âge aviez-vous alors?

Y.Bandazhevsky J'ai vécu mon enfance dans la province de Grodno. Ayant terminé mes études à l'Institut de médecine de Grodno en 1980 j'ai passé la spécialisation en anatomie pathologique et ai commencé à travailler dans le Laboratoire central de recherche scientifique du même institut. Quand j'étais encore étudiant j'ai commencé à m'occuper activement de recherches scientifiques et à réaliser de nombreuses expérimentations sur des animaux de laboratoire, que j'élevais moi-même à la maison. Le sujet principal de mes recherches était alors l'étude de l'influence de différents facteurs (physiques, chimiques et biologiques) de l'environnement sur la gestation, le développement embryonnaire et la formation des différents organes et systèmes. Ce travail a abouti à la préparation de la thèse de candidat au doctorat, que j'ai soutenue avec succès en 1983. J'ai soutenu la thèse de doctorat en 1987. La même année j'ai été nommé directeur du Laboratoire central de recherche scientifique.

La catastrophe de Tchernobyl a produit sur moi, comme sur un grand nombre de personnes, un énorme choc psychologique. Je considérais que mon devoir de médecin me dictait d'apporter mon aide à la solution des problèmes liés à cette catastrophe. Aussi dès 1988-1989 m'étais-je adressé officiellement à l'Académie des sciences et au Ministère de la santé avec des propositions de recherches scientifiques globales sur l'influence de la radioactivité sur les systèmes et les organes vitaux dans la période de formation. Il me semblait que tout ce qui était entrepris alors était insuffisant pour résoudre les problèmes existants. Il s'agissait avant tout de l'absence d'une vision claire des mécanismes d'action des radionucléides incorporés dans l'organisme sur la structure et sur la fonction des cellules et des tissus, sur le métabolisme. Mon expérience dans mes travaux scientifiques précédents, qui avait été reconnue par les principales écoles de l'URSS (Moscou, Leningrad), me confortait dans l'idée que les sujets proposés étaient valables. En 1990 le destin a voulu que je fasse directement connaissance avec la vie des populations de Gomel et de sa province. Je pris la décision de poursuivre mes recherches scientifiques là bas sur place. J'ajoute que je projetais de me consacrer exclusivement au travail scientifique dans l'institut de médecine radiologique qui s'ouvrait alors. Toutefois, en automne de la même année j'ai été invité à prendre la direction de l'institut de médecine qui était en voie d'élaboration à Gomel. J'avais alors 33 ans.

2. - Quelles sont les nouvelles maladies que vous avez découvertes suite à vos recherches?

Y.B. Les nombreuses recherches scientifiques, tant cliniques qu'expérimentales, ont montré l'action défavorable de quantités même faibles de radionucléides incorporés dans l'organisme, en premier lieu du césium radioactif, sur les systèmes et les organes vitaux. En premier lieu je voudrais signaler l'atteinte du système cardio-vasculaire, qu'on observe même chez les petits enfants. Une dépendance linéaire proportionnelle a été constatée entre la quantité du césium radioactif incorporé dans l'organisme et dans le muscle cardiaque, et la fréquence de même que la gravité des altérations morphologiques et fonctionnelles. En examinant les lésions dans l'ensemble des différents organes et systèmes, il a été possible de déterminer les processus pathologiques interdépendants tant au niveau du coeur, du foie, des reins, des organe endocriniens, que du système immunitaire. En conséquence, m'étant consacré pendant de nombreuses années à la pathologie, je pense que, sous l'action des radionucléides incorporés dans l'organisme, avant tout le césium-137, des lésions morphologiques et fonctionnelles interdépendantes entraînent des troubles métaboliques dans tous les systèmes et organes vitaux,. En outre, les lésions de certains organes peuvent avoir leurs caractéristiques propres, comme par exemple, dans les reins on observe la destruction des glomérules avec apparition de cavités. Cependant toutes ces lésions découlent d'un processus pathologique semblable, que nous appelons syndrome des radionucléides de longue période incorporés. Sur la base des données obtenues, la moindre quantité de césium radioactif incorporé dans l'organisme humain ou des animaux, peut provoquer l'altération de la structure et de la fonction d'organes et de systèmes, et entraîner de nouvelles maladies (maladie du coeur et des vaisseaux, tumeurs malignes, maladies du foie, des reins, de la glande thyroïde et des autres organes endocriniens) ou aggraver les maladies préexistantes. L'altération du système immunitaire est l'une des causes principales de l'augmentation des maladies infectieuses, comme la tuberculose et l'hépatite virale.

3. - Quel danger y a-t-il aujourd'hui pour les habitants des régions sinistrées?

Y.B. Les recherches que nous avons effectuées ont montré que le plus grand danger est représenté par l'action des radionucléides incorporés dans l'organisme, en premier lieu du césium radioactif. Si nous ne mettons pas fin à ce processus, les conséquences peuvent être tragiques. C'est pourquoi un contrôle rigoureux de la présence du césium radioactif dans les produits alimentaires est indispensable. Cela concerne surtout les enfants, qui sont plus sensibles au césium radioactif. A ce propos la situation démographique me préoccupe beaucoup, car la mortalité de la population dans la province de Gomel dépasse la natalité de 1,6 fois. Je souligne que cela ne concerne pas seulement ni même avant tout les tumeurs malignes, mais aussi les altérations pathologiques des systèmes à métabolisme intense, comme le systèmes cardio-vasculaire, systèmes nerveux, immunitaire, endocrinien, urinaire, digestif et de reproduction.

Le césium-137 exerce son action défavorable avant tout sur le système énergétique des cellules fortement différenciées, ce qui provoque leur nécrose, ainsi que finalement, dans beaucoup de cas, la mort de tout l'organisme.

4. - Quel est le danger pour les futures générations?

Y.B. Compte tenu de l'action directe du césium radioactif sur les jeunes, sur la formation de leur système reproductif et sur les autres systèmes essentiels, ainsi que des modifications génétiques dans les cellules sexuelles, nous avons le devoir d'être inquiets pour la santé des futures générations.

5. - L'aide fournie à la République de Belarus pour la liquidation des conséquences de la catastrophe de la centrale atomique de Tchernobyl est-elle suffisante?

Y.B. Afin de pouvoir apprécier la valeur de cette aide il est nécessaire de déterminer la gravité du dommage causé à la santé des populations, suite à la catastrophe de Tchernobyl. Je pense que l'aide la plus importante doit être orientée sur la prévention des maladies qui peuvent surgir, que j'ai évoquées plus haut. Le problème de Tchernobyl est le problème du monde entier. Je pense que l'aide de la communauté mondiale est nécessaire pour la liquidation de ses conséquences.

6. - Vous venez de commencer à travailler à l'institut "Belrad". De quel appareillage aurez-vous besoin pour votre travail?

Y.B. Dans cet institut j'ai l'intention d'étudier les problèmes liés à l'action du césium radioactif sur la physiologie des systèmes et des organes vitaux. Je souhaite développer des méthodes de protection radiologique. Il est nécessaire pour cela de créer un laboratoire d'histopathologie, collaborer avec des groupes scientifiques pour mieux saisir les changements structrels-métaboliques des tissus et des cellules du corps humain et des animaux suite à l'incorporation du césium radioactif. Il faut en parallèle étudier les symptômes cliniques au niveau du système cardio-vasculaire chez les enfants qui vivent dans les territoire contaminés par des radionucléides. Je souhaite pour cela avoir le soutien et recevoir l'aide nécessaire qui puisse déboucher sur une étroite collaboration avec des scientifiques du monde entier. L'aide pourrait venir d'organisations sociales ou de bienfaisance, auxquelles le destin des personnes victimes de la radioactivité n'est pas indifférent, mais aussi de fondations scientifiques. Je voudrais espérer que le résultat de cette collaboration puisse permettre la création d'un Centre scientifique international de la pathologie des radiations, pour que de nombreux chercheurs, travaillant sur le problème de la protection des personnes contre l'action des rayonnements, puissent unir leurs efforts pour faire progresser nos connaissances.

7. - Quels moyens de protection voyez-vous aujourd'hui contre l'action des éléments radioactifs incorporés dans l'organisme humain?

Y.B. Sur la base de mes recherches, ainsi que sur celle des recherches effectuées par les collaborateurs de l'institut "Belrad", on peut attester l'efficacité des produits à base de pectines d'origine végétale pour mobiliser ou éliminer partiellement le césium radioactif de l'organisme par voie naturelle. Ces produits parviennent à corriger les troubles métaboliques dus à la présence dudit radionucléide.

Minsk, avril 2000

 

Amnesty lance un appel international en faveur du Pr Bandajevsky

 

L'hebdomadaire russe "Arguments et Faits", diffusé en 3 millions d'exemplaires sur le territoire de la Communauté des Etats Indépendants, publie cet article sur le scientifique biélorusse emprisonné.

"Argumenty i Facty"

N°40 (1093). - Octobre 2001


TOP SECRET

MUTATIONS

A défaut de pouvoir emporter sa tête pleine d'idées dangereuses, les hommes en civil venus perquisitionner chez le professeur Bandazhevsky ont confisqué son ordinateur.

Le chercheur s'installe derrière sa machine à écrire et se met au travail. Il sait qu'il sera arrêté d'ici peu et se hâte de rédiger son nouveau livre "Le développement du fœtus", le dernier de ses essais consacrés aux radiopathologies. Une large part des données dont il a besoin est restée dans l'ordinateur mais il a sa mémoire pour le dépanner. La veille du procès le manuscrit est terminé. Sera-t-il jamais publié?

Après la catastrophe de Tchernobyl Youri Bandazhevsky, docteur en médecine et professeur à 33 ans, vient s'établir à Gomel pour y prendre la tête de l'Institut de médecine qu'on vient de créer pour former des médecins à partir des habitants de cette zone contaminée : il n'y a pas de volontaires pour venir faire des études de médecine dans cette région radioactive. Bandazhevsky regarde ses étudiants avec les yeux d'un médecin. L'électrocardiogramme de la quasi totalité des étudiants présente des altérations. Quatre ans plus tard la situation ne fait qu'empirer. Pourquoi ces jeunes sont-ils frappés d'infarctus? Serait-ce à cause du césium accumulé dans leur cœur? Pourtant on affirme que le radiocésium s'accumule uniformément dans tous les tissus? Secondé de ses collègues, il va chercher la réponse à cette question à la morgue : 285 autopsies. Les altérations pathologiques des poumons, des reins, du foie, du cœur des morts se révèlent identiques à celles observées chez les animaux servant de cobaye et nourris de grains radioactifs. Les mesures montrent que pour une moyenne de 100 Bq/kg de radionucléides incorporés dans l'organisme, il y en a 1000 dans le cœur, 3000 dans les reins… Pas de doute, l'incorporation est différenciée!

Tchernobyl, ce n'est pas Hiroshima

Les enfants incorporent bien plus de radionucléides que les adultes: moindre poids du corps, métabolisme plus rapide. Il faut donc examiner en premier lieu les enfants. Et pour cela, se rendre sur place, dans les villes et villages. Comment faire si l'Etat ne donne pas un sou? Alors le professeur, accompagné de sa femme Galina et de ses étudiants, se met lui-même à sillonner la Biélorussie. En 9 ans ils ont examiné plusieurs milliers de garçons et de filles. La plupart des enfants avaient accumulés 50 Bq/kg et plus (seuil au-delà duquel les altérations pathologiques des organes vitaux commencent). Certains en avaient jusqu'à 500 ou même 800. 80% de ces enfants souffraient de troubles cardiaques. Au niveau des cellules le potassium est évincé par le césium radioactif, ce qui perturbe le rythme du muscle cardiaque. Pourtant on n'a jamais observé ce phénomène chez les victimes d'Hiroshima. Pourquoi? La population d'Hiroshima a subi une forte irradiation ponctuelle qui a tué un grand nombre de gens mais cette population n'a pas dû ensuite se nourrir de manière chronique d'aliments contaminés comme celle du Belarus, pays pauvre couvert de retombées radioactives.

Le professeur savait qu'il allait d'un moment à l'autre passer sous le rouleau compresseur de l'Etat mais au lieu de se ronger les freins, il se mit à élever des hamsters. Dès que la femelle tombait enceinte, il lui inoculait 100 Bq de césium. 59% des petits naissaient avec des malformations! Aujourd'hui 2500 enfants naissent annuellement au Belarus avec des malformations génétiques: becs de lièvre, malformations des os, 6 doigts au lieu de 5, anomalies des organes internes, anencéphalies (absence du cerveau), absence ou développement retardé des membres. L'examen à Gomel d'une centaine d'adolescentes fit l'effet d'un choc: il s'avéra que les cellules génitales féminines étaient évincées par des cellules masculines!

Huit livres — huit ans de prison

En poursuivant ses recherches en radiopathologie, Bandazhevsky ne pensait pas faire peur à la société. Ses recherches pouvaient-elles effrayer davantage que la blouse blanche du médecin? Pour protéger la nation et son avenir il fallait coûte que coûte protéger les enfants en éliminant les radionucléides de leur organisme à l'aide d'adsorbants comme la pectine, il fallait évacuer les femmes enceintes et les enfants de moins de 3 ans des zones contaminées vers des régions propres… Il fallait faire tout ce qui était économiquement possible par des moyens simples et abordables.

Cet été le tribunal militaire de la Cour Suprême de la République du Belarus a condamné Bandazhevsky, accusé soi-disant de corruption, à 8 ans de détention. Le procureur qui réclamait 9 ans de prison a ajouté par erreur (ou a trahi une intention?) qu'après sa libération le savant ne serait pas autorisé à poursuivre ses activités scientifiques pendant 5 ans.

L'auteur de la dénonciation qui a déclenché la poursuite a repris son travail à l'institut. Le nouveau recteur a mis un point final aux recherches en radiopathologie. Quant à Bandazhevsky, il a occupé sa place à la colonie à régime renforcé de Minsk.

Liudmila PROCHAK
Gomel.

 

 

www.multimania.com/mat66/

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Plusieurs associations dénoncent la condamnat
by xx. pour Marie-Pierre Subtil 8:00pm Fri Dec 28 '01

 

ï ARTICLE PARU DANS "Le Monde" EDITION DU 27.12.01

Le parquet militaire avait requis neuf ans de prison. Grigori Pasko, lui, espérait un acquittement, tout comme les associations de défense des droits de l'homme et de l'environnement, pour lesquelles "l'affaire Pasko" est devenue hautement symbolique. Leurs espoirs ont été déçus mardi 25 décembre. Au terme d'un procès de cinq mois, le journaliste militaire, jugé pour "haute trahison" et "espionnage", a été condamné, à Vladivostok, à quatre ans de détention par la cour militaire de la flotte du Pacifique.

Grigori Pasko a toujours clamé son innocence. Au cours des années 1990, ce journaliste militaire, capitaine de frégate correspondant de la flotte du Pacifique, écrit sur le mauvais état de la marine russe, sur la corruption qui y règne et sur ses pratiques de déversement de déchets en mer. Certains de ses reportages sont diffusés au Japon. Accusé d'espionnage et de haute trahison, il passe dix-neuf mois en prison. On lui reproche d'avoir remis, en 1997, à des médias japonais, des informations secrètes sur des déversements chimiques et radioactifs en mer du Japon.

AMNISTIE ET APPELS

Au terme d'un premier procès à huis clos, en juillet 1999, le tribunal militaire de Vladivostok le condamne à trois ans de prison pour "abus de pouvoir", rejetant les chefs d'accusation plus graves rassemblés par le FSB (ex-KGB). Une amnistie votée par le Parlement lui vaut la liberté. Mais ni le journaliste ni le parquet militaire ne veulent en rester là. Grigori Pasko souhaite être clairement innocenté, et les juges militaires veulent faire appliquer leur décision. Les deux parties décident de faire appel auprès de la Cour suprême. En novembre 2000, celle-ci renvoie l'affaire devant la cour militaire de Vladivostok, pour un deuxième procès.

Un seul des dix griefs initialement faits à Grigori Pasko a été cette fois retenu.
voir séquence

InternationalLe journaliste est aujourd'hui condamné pour avoir, le 11 septembre 1997, assisté illégalement à une réunion de l'état-major de la flotte du Pacifique, au cours de laquelle il a recueilli deux pages de notes que, selon le FSB, il a ensuite transmises à des médias japonais. Malgré cet unique chef d'accusation, l'ex-KGB a tout lieu d'être satisfait du verdict. "Pasko a recueilli une information sur ordre d'étrangers. Son activité n'a rien à voir avec la protection de l'environnement", a affirmé Alexandre Zdanovitch, porte-parole du FSB, en qualifiant le verdict d'"absolument juste".

Ayant quitté l'armée en juillet, le journaliste militaire, outre sa condamnation à quatre ans de détention, s'est vu priver de son grade de capitaine de frégate et perd, par conséquence, tout droit à la retraite. Agé de quarante ans, il travaillait ces derniers temps pour le journal Novaïa Gazeta et pour Radio Svoboda (Liberté). Comme il avait déjà purgé une partie de sa peine précédente, il lui reste à effectuer vingt-huit mois d'emprisonnement, qu'il devra passer dans un centre de haute sécurité. Son avocat a fait part de son intention de faire appel devant la Cour suprême.

"DES TEXTES ILLÉGAUX"

Le verdict de Vladivostok montre "la vraie nature du régime de Vladimir Poutine, libéral pour l'Occident, policier pour la Russie", s'est indigné Lev Ponomarev, du mouvement Pour les droits de l'homme. L'organisation norvégienne de défense de l'environnement Bellona s'est, elle aussi, insurgée contre ce verdict, en soulignant que les éléments à charge étaient "fondés sur des textes illégaux", comme dans l'affaire Nikitine, cet ancien militaire de Saint-Pétersbourg qui avait conclu victorieusement son bras de fer avec la justice. Pour Igor Koudrik, représentant de Bellona, le verdict rendu mardi à l'encontre de Grigori Pasko montre que "la Russie devient moins ouverte face aux questions écologiques", et le fait que le journaliste ait été traduit devant cette cour "discrédite le système judiciaire russe, dont la réforme commence".

De leur côté, le quotidien Vedomosti et plusieurs défenseurs des droits de l'homme ont pressé le président V. Poutine d'intervenir en faveur Grigori Pasko. "Poutine doit critiquer publiquement le verdict en tant que garant de la Constitution pour défendre la liberté de la presse", a estimé le quotidien russe. L'organisation de défense des journalistes Reporters sans frontières (RSF) s'est déclarée "indignée" par ce verdict prononcé à l'encontre de Grigori Pasko, dans une lettre adressé à Vladimir Poutine. "La condamnation inacceptable et scandaleuse dont il fait l'objet n'a qu'un seul but: intimider et réduire au silence la presse russe sur les sujets parmi les plus importants et les plus sensibles", a souligné Robert Ménard, secrétaire général de RSF. "Nous demandons la libération immédiate de Grigori Pasko, l'annulation de ce verdict et sa réhabilitation", a-t-il ajouté dans cette lettre également adressée à la Cour suprême russe. Les organisations russes de défense des droits de l'Homme ont continué à critiquer le verdict. Grigori Pasko "est devenu le symbole de la lutte" entre la société civile et la bureaucratie, et "la société a pu une nouvelle fois constater l'indifférence du pouvoir envers les problèmes qui la préoccupent".

Le sort de Grigori Pasko ne semble toutefois pas primordial aux yeux de l'opinion. Mardi soir, le journal télévisé de la chaîne publique RTR n'a annoncé le verdict qu'au bout de quinze minutes, après avoir fait état des chutes de neige dans le sud du pays.

Marie-Pierre Subtil

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by xx pour Libération 8:11pm Fri Dec 28 '01

 

Si les services secrets russes ont essuyé une défaite à mon procès, ce système, à qui l'on doit le goulag, dirige toujours l'Etat.
Moi, éternel client du KGB

Par GREGORI PASKO

Trois semaines après le verdict de mon procès, un journal de Vladivostok a publié une longue interview du chef du département du FSB (nouvelle appellation du KGB, ndlr) de la flotte du Pacifique de l'armée russe, où il se plaignait franchement que «l'espion Pasko» n'ait pas été condamné à une lourde peine et ne retourne pas en prison. Or, si j'ai été condamné à une peine plus légère (bien qu'injuste), je suis sorti libre du tribunal car j'étais depuis vingt mois en prison. Que s'est-il passé? Serait-ce donc vrai que la démocratie en Russie soit allée si loin que même ce «bureau» si puissant de l'ex-KGB ne parvienne pas toujours à ses fins? Contrairement à certains de mes défenseurs, je ne crois pas qu'en Russie quelque chose ait radicalement changé dans la période postsoviétique et que la démocratie soit réellement apparue. «On ne peut pas être libre dans un marais», dit-on. On peut discuter longtemps d'un tel sujet, je voudrais simplement dire l'opinion d'un homme qui a connu l'expérience de la prison et celle de mes relations avec ces gebechniks (les collaborateurs du KGB-FSB, ndlr) qui essaient de se réhabiliter aux yeux de la société.

Qu'est-ce que cela veut dire? Qu'ils ne sont plus si indifférents à l'opinion publique? Ou bien ne serait-ce pas plutôt une nouvelle manifestation d'un cynisme contemporain? Sans doute l'appareil du KGB-FSB a-t-il essuyé une défaite dans «l'affaire Pasko», ainsi qu'ils l'ont surnommée. Sans doute a-t-on porté là un coup sensible à tout leur système. Ils ne savent pas perdre et ils n'aiment pas perdre (bien que, ces derniers temps, ils ne fassent rien d'autre que perdre). Ils vont s'accrocher au leitmotiv: «Pasko est un espion japonais.» Et ils vont le faire d'autant plus que l'un des leurs est à la tête du gouvernement russe. Ce n'est pas le premier. Hier Primakov puis Stépachine, aujourd'hui Poutine. Qui sera le suivant? J'étais en prison quand ces trois-là se sont succédé au pouvoir. Et les trois ont fait comme s'il ne se passait rien de particulier dans le domaine des droits de l'homme en Russie. Je n'ai donc aucune confiance en eux, de même que je n'ai pas confiance dans ceux qui les accueillent dans des mouvements politiques. Mais il me semble que mon peuple commence à mieux comprendre qui est qui dans le monde de la politique et dans celui du pouvoir. Il deviendra de plus en plus difficile de le tromper encore une fois.

Pour ce qui me concerne, je n'ai pas d'illusions. Et depuis longtemps. Depuis le jour où j'ai demandé à un jeune gebechnik de 28 ans pourquoi il était une «canaille». Il m'a répondu: «Parce qu'on nous a appris à l'être.» Quel avenir peut avoir un pays avec des professeurs pareils? Mon peuple oscille entre la confusion et l'indifférence. A propos de «l'affaire Pasko», plus de 22 000 lettres ont été envoyées du monde entier au président Eltsine, au directeur du FSB Poutine et au tribunal militaire de la flotte du Pacifique. On y demandait de changer la mesure de coercition, de cesser de persécuter illégalement un homme qui avait osé publier la vérité sur la situation écologique de la flotte de l'océan Pacifique. Parmi toutes ces lettres, une seule venait de Russie. Elle avait été envoyée par un détenu de Komsomolsk-sur-Amour.

En revanche, après mon verdict et qu'on m'eut libéré dans la salle du tribunal, j'ai reçu 20 lettres: on me félicitait, on m'invitait à la maison. Je suis reconnaissant à tous. A ces 22 000 et 20 correspondants. A ces derniers peut-être même plus, parce qu'ils ont dû surmonter une peur génétique. Mais de quoi et de qui avons-nous peur? Des Poutine? Des Stépachine? C'est drôle, n'est-ce pas? Ils ne ressemblent pas à des monstres ou à des gens rendus dangereux par un handicap physique ou mental. On a peur d'eux parce qu'ils personnifient le système, parce qu'ils perpétuent tout le mécanisme de goulag. Aujourd'hui, ce système veut montrer qu'il est indispensable.

Sait-on combien de collaborateurs travaillent au FSB? Qui osera dire la somme réelle que l'on dépense pour entretenir cette armée qui lutte contre son propre peuple? Et à la fin, qui, réellement, pourra contrôler les activités du KGB-FSB et les mettre en accord avec les lois en vigueur? Je me suis rendu compte que le parquet, les tribunaux, la douane et les journalistes servent le FSB comme des valets. Il faut changer les lois fédérales, lesquelles actuellement accordent des droits illimités au FSB et n'autorisent aucun contrôle réel sur ses activités. Comment parler de contrôle alors que le parquet lui-même applique des mesures de répression, parfois mieux que n'importe quel organe du FSB et du MVD (ministère de l'Intérieur, ndlr)? Il faut changer la nature même du FSB, en sorte qu'il ne s'occupe que des fonctions qui lui sont propres (elles ne sont pas si nombreuses). Pourquoi cela semble-t-il tellement impossible aujourd'hui? Parce qu'il n'y a aucun précédent en matière de punition pénale concernant des collaborateurs du FSB, des membres du parquet ayant fabriqué des «preuves» afin d'emprisonner des personnes innocentes. Si ces «canailles» qui ont fabriqué «l'affaire Pasko» se trouvaient en prison, leurs collègues y réfléchiraient à deux fois avant de les imiter.

Mais, pour l'instant, les faits ne vont pas dans ce sens. Se soucie-t-on si peu de ce que nous deviendrons demain? Et après-demain nos enfants? Avons-nous oublié 1937 et les autres années? Avons-nous perdu la mémoire? Eux, ils n'ont rien oublié. Ils se souviennent bien de toutes les méthodes pour fabriquer des enquêtes sur chacun de nous: un médecin, un écrivain, un journaliste... Ils se souviennent de tous ceux qui, selon leurs critères, ont été mal notés ou considérés comme dangereux, dangereux avant tout pour eux et non pour le pays, parce qu'à leurs yeux le pays, c'est eux-mêmes, et non pas nous. Ils n'oublieront jamais leur défaite dans «l'affaire Pasko». Ils se préparent déjà à un nouvel examen de cette affaire dans le collège militaire de la Cour suprême et, n'en doutez pas, ils se souviendront des vilenies que recèle l'arsenal de leurs caves.

Trois jours après le verdict, deux miliciens ont arrêté ma voiture et m'ont demandé d'en ouvrir le coffre. «Qu'est-ce que vous cherchez?» «De la drogue et des armes», ont-ils répondu. Après quoi je leur ai demandé: «Alors, vous avez trouvé quelque chose?» «Aujourd'hui, non», ont-ils répondu en souriant. Ainsi, par l'intermédiaire de son frère cadet, la milice, le KGB m'a rappelé que j'étais son client éternel. Chacun de nous est son client. Ils ont besoin de nous comme lapins de laboratoire, comme moyen de subsistance, afin de nourrir leurs ambitions et leurs complexes. Mais nous, avons-nous besoin de cela?.

Traduit du russe par Zoïa Svetova.
Libération le samedi 11 et dimanche 12 septembre 1999


Gregori Pasko, est journaliste à Vladivostok et pigiste pour un journal et une chaîne de télévision japonais.
Gregori Pasko, journaliste à Vladivostok et pigiste pour un journal et une chaîne de télévision japonais, a dénoncé dans ses reportages les dangers de pollution nucléaire dans le Pacifique et montré les méfaits de la Flotte du Pacifique russe en la matière. Accusé d'«intelligence avec des puissances étrangères», il a été arrêté le 27 novembre 1997 par le FSB et jeté en prison. Le Pen Club, Amnesty International, Reporters sans frontières et d'autres ont pris sa défense, son procès dans l'Extrême-Orient russe a été couvert par la presse internationale (Libération du 21 janvier). Faute de preuve, Pasko a tout de même été condamné pour «abus de fonction» à trois années de prison et libéré le jour de son verdict. Pasko et ses avocats ont fait appel de ce jugement.

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