Histoire et
actualite italienne. Le devoir de memoire est plus que jamais
indispensable.
La police de
Gênes a été la cible d'un attentat à
l'explosif dans la nuit du dimanche 8 décembre au lundi
9, qui a soufflé les vitres d'une partie des bureaux de
la préfecture, sans faire de victime. L'attentat s'est
produit vers 4 heures du matin, deux engins
de faible puissance explosant l'un après l'autre, avec
dix minutes d'intervalle, dans un square situé à
une trentaine de mètres des bâtiments de la police.
Samedi 14 décembre
etait justement prévue une manifestation nationale a Genes
: 1) en solidarité avec les récents inculpés
dans le cadre des suites judiciaires du G8, et 2) pour exiger
la vérité sur la mort de Carlo Giuliani (le carabinier
Mario Pacanica, responsable de l'homicide, a été
innocente pour "légitime défense" la
semaine passée). Difficile de ne pas lier les faits.
Le lundi 9 décembre, les
pistes privilégiées par les enqueteurs et répercutées
dans la presse étaient au nombre de trois: forcement les
"anarcho-insurrectionnels" en tete, suivis des islamistes
et de la mafia albanaise ensuite. Heureusement, le mouvement
"No Global" faisait preuve de mémoire en dénoncant
une nouvelle "stratégie de la tension". Le soir, une lettre de revendication arrivait a
la rédaction du "Secolo XIX" signée par
la mystérieuse "Brigate 20 luglio" (le 20 juillet
fait référence au jour de la mort de Carlo Giuliani),
la meme signature que pour l'explosion au ministère de
l'Intérieur a Rome en février.
Le mardi matin, toute la presse italienne stigmatisait
unanimement les "anarcho-insurrectionalistes". Petit
exemple parmi d'autres, en première page de "l'Unità"
(fonde par le communiste italien Gramsci) on pouvait lire : "Genes,
deux bombes a la préfecture : Naturellement elles sont
anarchistes" (sic) Dans les années septante, «
l'Unità » avait déjà accusé
de « gauchisme vélléitaire et aventuriste
» des subversifs pour des actes dont il fut prouvé
plus tard qu'ils étaient innocents.
Une succession d'alertes a la bombe ont encore
précédé la manifestation du samedi 14 a
Genes. Ses habitants n'ont cependant pas cédé a
la pression des médias et les commerces étaient
ouverts tout le long du parcours. Vingt mille personnes se sont
données rendez-vous a la place « Carlo Giuliani
» (que certains s'évertuent encore a appeler place
« Alimonda ») pour un long cortège pacifique
dans les rues de la belle ville portuaire. En tete Forum Social,
comité « Piazza Carlo Giuliani », No Global,
suivis du syndicat CGIL, des « Disobbeddienti »,
En fin de cortège, on trouvait la Fédération
Anarchiste Italienne en nombre suivie de près d'une rangée
serrée d'hommes en bleu ne semblant pas gouter les accords
jazzys de la fanfare anarchiste Milanaise.
Plusieurs paquets piégés ont été
envoyés depuis Milan jusqu'en Espagne (dont une au journal
« El pais »). Aucune n'a fait de victimes jusqu'à
présent. Ces envois sont revendiquées par un autre
groupe s'intitulant « les cinq C » et exigeant la
libération de plusieurs prisonniers politiques. La presse
italienne parle déjà d'« internationale de
la bombe » et accentue sa stigmatisation des anarchistes.
Hormis quelques membres du mouvement "No Global", plus
personne dans la presse n'évoque l'extreme-droite ou les
services secrets italiens en tant que responsables possibles,
directs ou indirects (manipulations, infiltrations, double-jeu,
etc) des récents attentats. On sait cependant que plusieurs
bombes avaient également précédé
l'ouverture du G8 à Genes et servi comme prétexte
supplementaire a la mise en place de l'appareil répressif.
On peut s'inquiéter de cette soudaine unanimité
pour s'empresser de pointer le doigt vers les coupables tout
désignés (surtout si ils s'accusent eux-meme n'est-ce
pas ?).
"Stratégie
de la tension": Les faits sont connus et les similitudes
historiques sont aussi nombreuses que les différences,
mais quelques rappels pourraient malgre tout s'averer utiles
pour ceux qui, comme moi, n'étaient pas encore nés
lors des "années de plomb" des années
70 en Italie. Par contre, je suis suffisamment vieux que pour
avoir connu les "années de plomb" des années
80 en Belgique avec les tueries du Brabant Wallon, les attentats
a la bombe des Cellules Communistes Combattantes, le réseau
Gladio, l'Etat policier, etc. Ce n'était pas triste non
plus. Je n'étais qu'un enfant alors, mais je me souviens
distinctement de ce climat de peur permanente, des gendarmes
a chaque coin de rue, de ma grand-mère qui n'osait plus
faire ses courses au supermarché car une des fusillades
sanglantes avait eu lieu pas loin de chez nous. J'espérais
ne jamais connaître cela a nouveau.
Sinon il y a précisement 33 ans de cela,
l'anarchiste Giuseppe Pinelli tombait de la fenetre de la préfecture
de police de Milan... Voila ce texte est dédié
a sa mémoire et a celle de Pietro Valpreda. En effet,
c'est malheureusement le premier « anniversaire »
de la mort de Pinelli en l'absence de Pietro Valpreda. Paix a
eux.
Vérité
et justice,
Xavier Bekaert
(Alliance Libertaire, Bruxelles ; en exil a Padoue)
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Les informations
qui suivent sont tirées du lexique de Valeria Tasca placé
après la pièce de Dario Fo, "Mort accidentelle
d'un anarchiste", Ed. Dramaturgie (1997)
Attentats de 1969 -
25 avril : a Milan, bombes au pavillon Fiat de la foire et au
bureau de change de la gare - 8-9 aout : onze
bombes dans des trains - 12 décembre
: a Rome, une bombe a l'autel de la patrie et une autre dans
les souterrains de la banque du travail ; a Milan, une bombe
a la banque de l'agriculture, place Fontana (16 morts et 88 blesses),
une autre, qui n'explose pas, a la banque commerciale. On inculpa pour ces bombes presque uniquement des
anarchistes.
Giuseppe Pinelli
Cheminot anarchiste, arreté le 12 décembre.
Sa garde a vue fut illégalement prolongée. Interroge
par le commissaire Calabresi pendant la nuit du 15 au 16 décembre,
il tomba du quatrième étage de la préfecture
de police de Milan. Apres des mois de déclarations contradictoires,
que démontre la piece "Mort accidentelle d'un anarchiste",
l'affaire fut classée le 3 juillet 1970.
Pietro Valpreda Anarchiste convoque
a Milan le 15 décembre par le juge Amati pour "injure
au pape". Il fut arrete avant meme d'avoir franchi la porte
du magistrat. Ramené a Rome et interroge par le substitut,
il fut accusé de l'attentat de la Place Fontana et incarcéré.
Les médias présentèrent Valpreda comme un
"monstre humain" et trainèrent dans la boue
ce danseur de music-hall, fabricant d'abat-jour. Les témoins
à décharge "disparurent" mystérieusement
(accidents de voiture suspects, noyades dans des flaques d'eau,
suicides, assassinats et meme morts naturelles...)
Trame nere (litteralement « complots noirs
») Depuis la fin des années 60
et pendant les années 70, face a une situation politique
de plus en plus instable, la droite a essaye de s'engager de
plusieurs facons sur le terrain de l'illégalisme. D'un cote la droite qui s'est infiltrée
dans l'appareil de l'Etat, et en particulier dans les services
secrets, appuie de veritables tentatives de coup d'Etat, comme
en 1970 et 1974. Toutes ces tentatives échouent faute
de forces militaires suffisantes pour les soutenir. Plus efficace
est ce qu'on appelle la "strategie des massacres".
Les enquetes judiciaires, bien qu'elles aient donnes peu de résultat,
permettent de remonter a une fraction des services secrets. On
ignore encore qui sont les auteurs directs de ces massacres,
qui frappent toujours au hasard. Ils ont évidemment pour
but de désorienter l'opinion publique et de la rendre
favorable a un changement au sommet de l'Etat, en faveur de l'autoritarisme. |