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Analyse des propositions antiterroristes de l'UE
by John Brown 1:43pm Tue Nov 20 '01
johannesbrown@hotmail.com

Les propositions antiterroristes de la Commission européenne rompent avec la treadition de l'Etat de droit et renouent avec des doctrines pénales des années 30

LA DÉFINITION DU TERRORISME: UNE INNOVATION OU LE RETOUR DíUN PASSÉ OBSCUR

QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LES DERNIÈRES INITIATIVES LÉGISLATIVES EUROPÉENNES EN MATIÈRE ANTITERRORISTE

Le monde, nous dit-on, ne sera plus le même après le 11 septembre. Cette phrase vide qui nous est constamment ressassée par les médias ne sert quíà une chose: à installer dans nos esprits líévidence de líétat díexception. Cela sert, entre autres choses à mieux faire passer une batterie de décrets et autres normes liberticides tant au niveau national quíau niveau européen. Le terrorisme devient ainsi le croque-mitaine qui pousse les populations à abdiquer leur citoyenneté au nom de la sécurité et díune double peur: la peur du terrorisme qui menace fondamentalement la population civile et la peur de la répression pratiquée par les appareils díEtat au nom de la lutte contre le terrorisme. La proposition de Décision-cadre sur le terrorisme qui a été soumise par la Commission européenne au Conseil de líUnion européenne síinscrit dans cette logique. Elle síaffirme déjà comme une étape décisive dans líévolution de la doctrine pénale internationale. Pour bien comprendre la signification de ce texte, il convient díabord de retracer les principales étapes de la législation antiterroriste internationale; ceci nous permettra de découvrir le changement de principes et de valeurs qui, de façon très discrète, síy est produit.


I. Les premiers pas: la lutte contre la piraterie aérienne

Cíest le développement à partir des années 60 de líaviation civile comme moyen de transport de masse qui permettra à de nombreuses organisations violentes poursuivant des buts politiques de détourner ou de détruire des avions et de prendre en otage leurs passagers et líéquipage. Líavion est, en effet, outre un symbole fort de la mondialisation, un moyen de transport vulnérable dans la mesure où quand il est en vol, sa protection face à des attaques ne dépend que de son équipage et éventuellement des passagers. Díautre part, à líinstar des bateaux, ses ancêtres, líaéronef possède une certaine extraterritorialité, voire une certaine souveraineté propre, du fait que, pendant son vol, elle ne relève plus dans la pratique des autorités díun Etat. Díoù certains rituels militarisants qui sont toujours très présents dans le cadre de líaviation: uniformes, grades «militaires», discipline interne. Tout ceci contribue à établir le cadre symbolique díune souveraineté au dessus des nuées. La facilité technique du détournement et le fort pouvoir symbolique díune souveraineté à líéchelle réduite, bien plus vulnérable que celle des Etats, étaient deux éléments fort attrayants pour des groupes armés. Ceux-ci, candidats pour la plupart à la «prise du pouvoir» ou à la fondation díEtats, pouvaient jouer dans les avions détournés le rôle de petits dieux mortels face à des civils désarmés pris en otage. Ils étaient «souverains» pour quelques heures dans le sens très précis que Michel Foucault donne à ce terme: «souverain est celui qui peut donner la mort».

Un Tiers Monde en révolte pour son indépendance ou pour líobtention de transformations de líordre social hérité du colonialisme servait de pépinière à des centaines de groupes capables de ces actes. Díoù la multiplication des attaques contre des avions ou des aéroports pendant les années 60 et 70, à la faveur de líintensification de la guerre froide dans le monde colonial ou néocolonial. Cíest ainsi, tout naturellement, que les premiers textes de ce qui constituera une législation antiterroriste internationale porteront sur la répression de ce qui se dénommait encore dans un cadre journalistique la «piraterie aérienne». Le terme de «terrorisme» níétant encore que très marginalement utilisé au niveau juridique, on essayait de comprendre les actes auxquels il síappliquait dans le cadre conceptuel du droit commun en les assimilant à la piraterie ou au banditisme.
La piraterie et le banditisme sont, en effet, des actes contraires au fonctionnement du marché et à la liberté de ses agents, pour cette raison, dans une société fondée sur le marché, leur répression devient prioritaire et a souvent donné lieu à la création díappareils répressifs spécifiquement consacrés à cette tâche (gendarmerie, carabinieri, guardia civil, etc.). Cependant, les premières mesures légales qui sont prises à l'égard de cette catégorie d'actes au niveau international ne tiennent compte que de leurs résultats, et ignorent leur finalité.

Líarsenal législatif antiterroriste des années 60 jusquíà la fin des années 70 est donc constitué de textes qui répriment des actes concrets que líon juge nuisibles à la libre circulation, notamment en ce qui concerne le transport aérien. Leur liste chronologique est extrêmement éloquente:
- convention relative aux infractions et à certains actes survenant à bord des aéronefs (Tokyo, 14 septembre 1963);
- convention pour la répression de la capture illicite d'aéronefs [convention sur le détournement d'avions] (La Haye, 16 décembre 1970);
- convention pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile (Montréal, 23 septembre 1971);
- convention internationale contre la prise d'otages (New-York, 17 décembre 1979);
- protocole pour la répression des actes illicites de violence dans les aéroports servant à l'aviation internationale, ainsi que la convention pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile (Montréal, 24 février 1988).

Dans un terrible présage, la législation antiterroriste contemporaine síest fondamentalement axée jusquíaux années 90 sur ce point faible de la circulation des biens et des personnes au niveau planétaire quíest líaviation, líinstrument le plus visible de la mondialisation avant líInternet. Certes, díautres formes díaction violente seront également visées: dans les instances internationales, díautres textes, qui portent sur díautres actes de violence souvent díinspiration politique ont aussi été adoptés, tels que la convention sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d'une protection internationale, y compris les agents diplomatiques (New-York, 14 décembre 1973); la convention sur la protection des matières nucléaires (Vienne, 3 mars 1980). Dans tous ces cas, comme lorsquíil síagit de líaviation, on cherche à punir et à prévenir des actes concrets et bien souvent on y chercherait en vain le terme de «terrorisme».

II. La tradition de líEtat de droit comme obstacle à une définition du terrorisme


Le terme de «terrorisme» apparaît pour la première fois en droit international dans deux textes très récents: la convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif (New-York, 15 décembre 1997); et la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (New-York, 9 décembre 1999). Ces deux textes présentent un paradoxe intéressant dans la mesure où ils ne donnent pas une définition directe du mot «terrorisme» qui figure cependant comme adjectif ou comme substantif dans le titre des deux actes, alors que díautres concepts essentiels au dispositif y son expressément définis. Certes, des efforts sont faits pour passer de la pluralité des actes punissables qui faisait líobjet des dispositions précédentes à une délimitation générale des circonstances du fait terroriste mais cette délimitation níarrive pas à en devenir une définition expresse.

Une certaine réticence semble donc exister à définir un terme qui devrait pourtant être fondamental dans ces textes législatifs, puisquíil figure dans leurs titres, et qui deviendra rétroactivement la clef de voûte díune nouvelle doctrine juridique. Comme le dit la Commission dans líexposition de motifs de sa proposition de Décision-cadre:

«Selon la convention contre le financement du terrorisme, le fait de fournir ou de collecter des fonds, directement ou indirectement, illicitement et intentionnellement, en vue de les utiliser ou en sachant qu'ils seront utilisés pour commettre tout acte relevant du champ d'application des conventions susmentionnées (à l'exception de la convention relative aux infractions et à certains actes survenant à bord des aéronefs, qui n'est pas comprise) constitue une infraction. Cela signifie que, même si les termes "terrorisme" ou "actes terroristes" n'apparaissent pas dans la plupart de ces conventions, elles concernent les infractions terroristes.»

Sans le savoir, comme Monsieur Jourdan faisait de la prose, le législateur international des années 60 à 80 aurait déjà fait de líantiterrorisme.

Nous ne saurions partager cet avis: il y a une énorme distance entre la définition díactes concrets que le législateur estime punissables et la formulation díune catégorie juridique générale comme celle de «terrorisme» qui recouvre ces actes et bien díautres en les unifiant sous une finalité commune díordre politique. Cette distance est parfaitement visible dans la différente finalité des textes qui définissent des actes et ceux qui définiront le terrorisme.

Le but des premiers textes est en général de favoriser la coopération internationale dans la lutte contre certains actes de violence particulièrement dangereux ou odieux. Pour cela, il importait de les distinguer des actes politiques, de refuser de leur reconnaître tout caractère politique pour les inclure dans líordre du droit commun. Ceci est díailleurs indispensable dans des systèmes légaux démocratiques et garantistes qui ne connaissent pas de délits politiques et qui ne sauraient sanctionner que des actes et jamais des opinions.
Ainsi, díaprès líarticle 6 de la Convention sur la répression du financement du terrorisme:

«Chaque Etat Partie adopte les mesures qui peuvent être nécessaires, y compris, s'il y a lieu, une législation interne, pour garantir que les actes criminels relevant de la présente convention ne puissent en aucune circonstance être justifiés par des considérations de nature politique, philosophique, idéologique, raciale, ethnique, religieuse ou d'autres motifs analogues.»

Cette rédaction coïncide avec celle de líarticle 5 de la Convention sur les attentats terroristes à líexplosif et, au niveau européen avec celle de la Convention du Conseil de líEurope de 1977.

Cíest donc líaspect non politique de líacte terroriste qui doit être mis en exergue. Pour cette raison, le seul élément qui distingue les actes terroristes des actes de droit commun, cíest à dire la finalité politique de ces premiers, doit être systématiquement mis entre parenthèses, ce qui rend impossible la définition de ces premiers. Inversément, la définition du terrorisme demandera quíune finalité politique soit plus ou moins clairement invoquée.

Quoiquíen dehors díune définition du terrorisme proprement dite, la convention sur le financement du terrorisme (article 2, 1,b)) considère constitutif díinfraction en sus des actes concrets visés par les différentes conventions internationales:

«Tout [Ö] acte destiné à causer la mort ou des dommages corporels graves à toute personne civile, ou à toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte est destiné à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque.»

Cette définition mérite díêtre analysée avec un peu díattention: elle constitue, en effet, une première ébauche de définition du terrorisme, mais en outre elle juxtapose deux conceptions différentes, voire contradictoires de ce phénomène. La première, celle qui insiste sur les dommages causés à la population civile, se situe dans la ligne des principes du tribunal de Nuremberg; la deuxième, qui insistera sur la subversion de líordre politique, trouvera son expression dans le Terrorism Act du Royaume Uni et inspirera la proposition de la Commission.


III. Une double définition

Le terrorisme est vu en effet, comme un acte de guerre illicite dans la mesure où il síattaque à la population civile, qui, du moins díaprès les règles traditionnelles de la guerre, devait rester en marge díun conflit dont les acteurs níétaient que les forces armées. Ainsi, il est assimilé à un crime de guerre au sens des principes du Tribunal de Nuremberg (6, B)) pour lesquels ce genre de crime se définissait ainsi:

«Les violations des lois et coutumes de la guerre qui comprennent, sans y être limitées, les assassinats, les mauvais traitements ou la déportation pour les travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, l'assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l'exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction perverse des villes ou villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires.»

Si on devait définir le terrorisme, cette définition serait la plus évidente et la plus acceptable dans la mesure où, ne faisant pas intervenir des considérations díordre politique, elle identifie líacte terroriste à un dommage important fait à la société et aux personnes. Cependant, les violations des lois et des coutumes de la guerre et les attaques contre la population civile sont líessence même de la guerre actuelle qui fait depuis le XXème siècle surtout des victimes parmi la population civile. Ceci est dû au fait quíune fois la guerre interdite (déclarer la guerre constitue un crime contre la paix), líennemi devient un criminel et les vieilles «lois et coutumes» qui épargnaient les civils tombent en désuétude. La guerre contre líennemi, qui connaissait des lois et des limites, est remplacée par la punition díun criminel pour laquelle tous les moyens sont bons, le plan díégalité sur lequel se jouait la guerre étant désormais remplacé par une dualité de plans entre la hauteur morale et la bassesse du crime que chacun des contendants interprète, bien sûr, díaprès son propre point de vue.

Si dans un ordre des relations internationales qui reconnaissait à la guerre un statut et des règles précises, cette définition aurait été suffisante et le terrorisme serait tout naturellement devenu synonyme de crime de guerre, ce níest plus le cas aujourdíhui. Il faut établir pour le terrorisme une différence spécifique qui le distingue du crime de guerre. Celle-ci sera trouvée dans sa finalité politique, reconnue dans la deuxième partie de la définition «implicite» qui en fera un acte «destiné à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque». Líétablissement de cette caractéristique fondamentale du terrorisme moderne permettra díopérer un changement radical de paradigme: finies les listes précises et les descriptions fastidieuses de ces crimes odieux dont le but politique devait être systématiquement ignoré. Désormais, cíest à la finalité politique que líon fera appel pour fonder la nouvelle catégorie délictive; malheureusement, ce níest pas dans le cadre tatillon et nominaliste du droit pénal que líon trouvera líinspiration pour ce tournant copernicien. On la puisera dans le terrain réaliste par excellence de la police.

Cette idée de finalité politique jettera, en effet, ses racines dans une définition policière du terrorisme, celle qui est reprise dans líénumération des tâches du directeur du FBI (1981):

«Le terrorisme consiste en une utilisation illicite de la force et la violence contre des personnes ou des biens dans le but díintimider ou de contraindre un gouvernement, la population civile ou une partie de celle-ci, dans la poursuite díobjectifs politiques ou sociaux» .

Si dans le cadre de la tradition du droit pénal, la définition du terrorisme se heurte à des obstacles qui dérivent des principes mêmes díun droit pénal garantiste, ces obstacles seront surmontés grâce à la définition policière américaine qui servira de base aux nouvelles définitions «juridiques» et en tout premier lieu à celle du Terrorism Act 2000 du Royaume Uni et notamment à celle qui figure dans la proposition de la Commission européenne (COM (2001) 521 final).

La fertilité législative de la norme policière est facilement reconnaissable derrière quelques menus changements de style qui ont été introduits dans les textes qui síen inspirent. Ainsi, selon le texte britannique, le terrorisme est «la pratique ou la menace díune action» dans le cas où «la pratique ou la menace de líaction ont pour but díinfluencer le gouvernement ou díintimider le public ou une partie de celui-ci et [Ö]» ceci «à fin de promouvoir une cause politique, religieuse ou idéologique». On retrouvera dans le texte britannique les deux principaux buts du terrorisme énoncés dans la définition du FBI: líinfluence ou la contrainte sur le gouvernement ou la population et la finalité politique ultime de líacte qui peut se combiner avec díautres éléments qui ne font quíen décliner la finalité politique (sociaux, religieux, idéologiques).

La définition de la Commission ne síéloigne pas beaucoup de ce modèle quíelle reconnaît suivre. Toutefois, elle limite líextension du terme défini à une série díactes qui recoupent les sujets díincrimination de la législation internationale (meurtre, chantage, prise díotages, attentats, etc.) en y ajoutant toute une série díautres actes plus proches de la désobéissance civile ou de moyens de lutte syndicale ou citoyenne (occupation de lieux publics ou díinfrastructures, certains dommages à des propriétés qui ont une valeur symbolique, cyberactions). Ce qui regroupe sous un concept tous ces actes est toujours líintention, dans la mesure où ils doivent être commis «contre un ou plusieurs pays ou leur population» et visent «à les menacer et à porter gravement atteinte ou à détruire les structures politiques, économiques ou sociales díun pays». Une action anticapitaliste qui se servirait de moyens à la limite de la légalité voire illégaux mais en aucune manière violents serait considérée comme du terrorisme. On dira quíil est illégitime de tirer cette conclusion: le texte est cependant suffisamment éloquent . Díun côté, il établit une liste díactes, mais ces actes ne sont pas définis de manière claire et univoque. Pour que leur caractérisation comme actes criminels soit complète on doit faire appel à un critère díinterprétation très dangereux en droit pénal: líanalogie et concrètement, líanalogie díintention. Le passage de la description précise et autant que faire se peut univoque de líacte à une détermination de líacte par sa finalité suppose un changement radical de doctrine pénale. Malgré sa coïncidence peu fortuite avec des textes policiers américains, la proposition de la Commission ainsi que toute la nouvelle panoplie antiterroriste síinscrivent dans une école de pensée juridique qui, en réalité, comme nous le verrons, níest pas si nouvelle en Europe.


IV. De líinterdiction de líanalogie à líanalogie obligatoire

Une vieille formule latine exprime le sens et les limites de tout droit pénal garantiste: «nullum crimen sine lege; nulla poena sine lege», il níy a pas de crime sans loi; il níy a pas de peine sans loi. Ceci signifie que face à tout arbitraire du pouvoir, les autorités ne peuvent considérer comme un délit et punir en conséquence que des actes qui ont été préalablement définis par la loi. Ce principe de base exige en toute logique que líinfraction soit définie avec la plus grande précision, les autorités ne devant jouir que díune marge díinterprétation assez étroite. Sans cela, on comprend bien que le principe serait facilement vidé de tout sens: si une interprétation large de líénoncé de la loi était possible, des actes de toute autre nature pourraient être assimilés à des actes criminels dans líintérêt des autorités ou de certains appareils díEtat.

Ce refus díune interprétation trop large síexprime dans le principe de non-analogie qui síapplique traditionnellement aux chef díincrimination pénale dans les Etats de droit. Dans une interprétation analogique, en effet, un acte quelconque serait assimilé à un acte punissable en vertu díune certaine propriété ou relation interne commune aux deux actes. Un cas concret de líanalogie est bien líanalogie de finalité, qui est à la base de líinterprétation téléologique de la norme pénale dont le grand théoricien dans líAllemagne des années 30 est Erich SCHWINGE, líauteur de Teleologische Begriffsbildung (La conceptualisation téléologique), un des ouvrages de référence de la doctrine national-socialiste du droit pénal. Un autre pénaliste du troisième Reich, SCHAFFSTEIN reconnaîtrait même que líinterprétation téléologique en droit pénal contribue à «la liquidation de la division des pouvoirs propre à líEtat de droit et au rétablissement de la sécurité et de la fiabilité du droit en fonction de valeurs juridiques nouvelles et différentes».

Quelles sont ces valeurs? Díabord la sécurité. Ainsi, Carl SCHMITT, qui fondait sa théorie du droit sur le principe du Chef (Führersprinzip) et affirmait que «La loi est la volonté et le plan du Führer», oppose de façon pleinement cohérente au «principe "nulla poena sine lege" [pas de peine sans loi] propre à líEtat de droit, le principe "nullum crimen sine poena" [pas de crime sans peine]» qui correspond à líEtat sécuritaire. Du point de vue de la législation, le principe de líinterdiction de líanalogie (Analogieverbot) qui figurait au chapitre 2 du code pénal allemand fut remplacé dès 1935 par líobligation díanalogie (Analogiegebot). Ceci permettait aux autorités de modifier constamment le contenu de la loi conformément au volontarisme qui inspire le Führersprinzip à fin que le prétendu criminel ne puisse échapper au châtiment. Le contenu et le caractère obligatoire de la loi sont remplacés par líexception permanente, líEtat sécuritaire nazi se reconnaissant comme un Etat díexception permanente par opposition à líempire de la loi et sa normalité.

Une conséquence de ce qui précède est que le juge, libre díinterpréter largement des préceptes légaux, perd paradoxalement son indépendance et peut devenir un instrument de líarbitraire de líexécutif. Dans líAllemagne national-socialiste ainsi que dans tous les Etats qui se sont écartés en vertu díurgences répressives ou policières de ce principe fondamental de líEtat de droit, le juge est, en effet, devenu un auxiliaire de la police . Or un des dangers de nos sociétés modernes est bien que la police síarroge un rôle législatif. Foucault líavait déjà affirmé par rapport à líorigine de la prison, cette «pénalité qui a pour fonction non pas díêtre une réponse à une infraction, mais de corriger les individus au niveau de leurs comportements, de leurs attitudes, de leurs dispositions, du danger quíils représentent, au niveau de leurs virtualités possibles [Ö] est une idée policière, née parallèlement à la justice, en dehors de la justice» .

Líeffet de líapplication du principe díanalogie et de líinterprétation téléologique est de subordonner le droit et la justice à la logique policière du contrôle de la «dangérosité»: ce níest plus líacte qui est incriminé et puni, mais la virtualité criminelle díun sujet qui fera líobjet de toute une série de mesures de surveillance et de répression. Dans le cas de la législation antiterroriste proposée au niveau européen, la finalité, qui est un cas particulier du principe díanalogie, permettait de définir líacte terroriste. Ainsi, raisonne-t-on, comme tous les terroristes prétendent subvertir líordre établi (ce quíil faudrait díailleurs démontrer, le contraire étant bien souvent la règle), tous ceux qui veulent «porter gravement atteinte ou [Ö] détruire les structures politiques, économiques ou sociales díun pays» seront des terroristes. Líextrême indéfinition de certains des actes qui doivent accompagner cette finalité nous montre bien que líélément fondamental de líincrimination dans les délits de terrorisme níest pas líacte mais líintention, cíest à dire le sujet lui-même.


Conclusions

Le matraquage médiatique sur le terrorisme ne devrait pas nous faire oublier que le terrorisme a des causes et que dans une grande mesure elles sont intestines au capitalisme néolibéral globalisé et ne sont souvent pas séparables des agissements irresponsables díune politique étrangère impériale qui a joué avec du feu et a souvent accepté de pratiquer la violence contre les populations civiles.

Líincrimination du terrorisme à líéchelle de líUE, appelée de ses vúux par la Commission européenne peut avoir des conséquences néfastes pour la démocratie. Ainsi, peut-on facilement arriver à ce que des personnes ou des groupes de personnes qui souhaitent transformer radicalement les structures politiques, économiques ou sociales de nos pays, soient visées par cette législation antiterroriste, non à cause díactes quíils auraient réalisés, mais en fonction du fait quíils seraient susceptibles de les réaliser en raison de leur idéologie. Les individus se voient ainsi jugés pour ce quíils sont au lieu de líêtre pour ce quíils font. On arriverait ainsi au paradoxe que des démocraties síen prennent à ces mêmes citoyens qui souhaitent exercer activement leurs droits et qui, par là même, maintiennent vivant le principe du régime démocratique; alors que les terroristes et leurs complices pourraient aisément prospérer à líabri de pratiques nuisibles à la démocratie comme le traffic díarmes ou la spéculation financière qui, elles ne sont nullement réprimées mais au contraire, vivement encouragées par les pouvoirs en place.

Nos régimes sécuritaires feraient bien díécouter líavertissement que Spinoza adressait aux gouvernants dans son Traité théologico-politique (chapitre XX):

« [...] il est évident que les lois concernant les opinions menacent, non les criminels, mais les hommes de caractère indépendant, quíelles sont moins faites pour contenir les méchants que pour irriter les plus honnêtes et quíelles ne peuvent être maintenues, en conséquence, sans grand danger pour líEtat».

Ceci dit, il ne faut pas croire que le plus grand danger pour líEtat soit que les puissants perdent le pouvoir, mais au contraire que la multitude des citoyens soit réduite au silence et à la passivité. Dans une démocratie, encore plus que pour tout autre régime, la vraie sécurité ne saurait jamais síobtenir au prix de la liberté. Cíest encore Spinoza qui nous le rappelle:

«Des fondements de líEtat, tels que nous les avons expliqués[Ö], il résulte avec la dernière évidence que sa fin dernière níest pas la domination; ce níest pas pour tenir líhomme par la crainte et faire quíil appartienne à un autre que líEtat est institué; au contraire, cíest pour libérer líindividu de la crainte, pour quíil vive autant que possible en sécurité, cíest à dire conserve, aussi bien quíil se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel díexister et díagir. Non, je le répète, la fin de líEtat níest pas de faire passer les hommes de la condition díêtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou díautomates.»


John Brown
Novembre 2001
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