Quand
la presse traite d'un problème, pour de nombreuses raisons,
elle semble oublier parfois le passé, l'histoire pour
expliquer au lecteur, au téléspectateur, à
l'auditeur, un problème.
Dans le cas de l'Argentine, c'est essentiel. Si l'on veut comprendre
ce qui se passe aujourd'hui, il est important de regarder en
arrière. Par exemple, pour savoir qui est ce Duhalde,
le nouveau président argentin.
Duhalde
: l'homme nouveau de l'ancien régime
Alfredo
Yabran, important chef d'entreprise, disait que " le pouvoir,
c'est jouir de l'impunité. Qu'être puissant, c'est
être impuni, un homme à qui il n'arrive rien ".
Yabran appartenait à une des mafias cleptocratiques de
Menem - ancien président argentin péroniste, jusqu'à
ce qu'une vendetta mette fin selon toute vraisemblance à
ses jours. Officiellement, il s'agit d'un suicide, mais quand
il était en vie, Yabran était un des prototypes
de l'Etat délinquant que dirigea le tandem Menem - Cavallo
(ministre de l'économie jusqu'à ces dernières
semaines) au bénéfice de la " patrie financière
", des entreprises transnationales et des requins du secteur
bancaire.
Carlos
Duhalde, l'actuel président argentin, fait partie de cette
même trame obscure du pouvoir. Homme de l'appareil du Parti
justicialiste, il fut vice-président de Menem et gouverneur
de la province de Buenos Aires (la capitale) à l'époque
de l'apogée du " gatillo facil ", nom donné
aux exécutions sommaires de présumés délinquants
aux mains de la police provinciale, formée par des cadres
qui participèrent à la répression durant
la dictature militaire et qui hérita d'une structure de
pouvoir parallèle basée sur le contrôle de
la prostitution et des drogues.
C'est
le même Duhalde qui fut une pièce maîtresse
dans la structuration et la consolidation de l'Etat néo-oligarchique
de Menem qui aujourd'hui subit les foudres de la rue.
La
mémoire collective n'oublie pas que quand le pays fut
érigé par les organismes financiers internationaux
(FMI, Banque mondiale, Banque Interaméricaine de Développement)
comme un modèle en matière de réformes monétaires,
ces réformes qui détruisirent la classe moyenne,
Duhalde émergea comme le dauphin, le successeur naturel
de Carlos Menem qui devait permettre à tous les Argentins
de faire partie du Premier Monde.
Tout
comme Cavallo & Menem, Duhalde a servi aussi cette oligarchie
parasitaire et de rentiers, ce pouvoir conservateur qui a mené
à la désindustrialisation du pays au même
moment où les dessous de tables, l'argent de la drogue
et les subsides des entreprises générèrent
une concentration encore plus importante de la richesse dans
les mains de quelques-uns.
Duhalde
fut un des artisans importants du projet néolibéral,
projet imposé dans le sang par les militaires, au temps
de la dictature (comme dans le cas de Pinochet au Chili), et
qui s'est poursuivi avec la " démocratisation "
ménemiste à coups d'ajustements structurels, de
privatisations, de dérégulations, de flexibilisation
du travail ,
Dans
l'Argentine de Menem, être pauvre équivalait à
être délinquant. Une société dominée
par des contre-valeurs où l'humain disparaissait derrière
les chiffres macroéconomiques, s'est développée
alors que la corruption s'érigeait en système.
C'est ce modèle que le président Duhalde prétend
renier aujourd'hui
"
Le pouvoir, c'est jouir de l'impunité ", disait Yabran.
Et effectivement, au milieu d'un climat de grande impunité,
dans l'Argentine des années 90, il existe un lien direct
entre le crime organisé et les fonctions de l'Etat, moyennant
lequel des personnages sinistres de la dictature militaire, des
hommes d'affaires, des financiers, des délinquants, des
terroristes d'extrême droite, des fonctionnaires publics,
des policiers, des magistrats et des représentants d'un
pouvoir démocratiquement légitimé restent
liés à tout un ensemble d'intérêts
occultes.
Après
la chute du radical Fernando de la Rua et la guerre mafieuse
entre clans du parti justicialiste , Carlos Duhalde émerge
aujourd'hui comme le prototype du capitalisme cleptocratique.
Il ne faut pas se faire d'illusions. Derrière ce semblant
de nouveau discours, derrière les artifices, ce conservateur
pragmatique et populiste est un digne représentant de
l'oligarchie dominante qui, à l'ère du néolibéralisme,
a fait du pouvoir et de l'impunité une manière
de vivre.
Face
à un tel pouvoir, c'est de nouveau la rue qui devra, si
elle le veut, si elle le peut, décider. Décembre
2001 a été un exemple puissant du pouvoir de l'action
directe des " masses ", espérons que ce ne soit
qu'un début
Source : La Jornada, Mexique >>>
Lien
conseillé :
Observatoire Géopolitique des Drogues (OGD) : Le Rapport
1998 - 1999 permet de mieux comprendre le narcosystème
de l'ancien président Menem >>>
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