Miguel a participé
aux journées qui ont ébranlé líArgentine.
Il a consigné par écrit ce quíil a vécu.
Lundi 17 décembre,
des gens sans travail et affamés se sont mis à
vider des magasins du centre de Buenos Aires. Mardi, le phénomène
gagnait toute la ville. Avec quelques militants, nous nous sommes
réunis en lieu sûr pour discuter rapidement de nos
tâches. Le lendemain, nous nous rendrions dans les quartiers
où nous avons les meilleurs liens avec les masses, dans
le sud de la ville. Il níy a pas eu la moindre discussion
ou hésitation, nous suivrions le mouvement.
Líaprès-midi, un concert de casseroles
a débuté dans tous les quartiers de la ville. Cíétait
encore assez «léger», les gens níallaient
pas plus loin que le pas de leur porte. Mais progressivement,
ces gens de la classe moyenne ont tourné le coin de la
rue, puis se sont dirigés vers un carrefour central du
quartier, puis ont gagné les grands boulevards et, enfin,
la Plaza de Mayo. Le spectacle était indescriptible. Une
marée humaine de plusieurs kilomètres avait envahi
les boulevards. Des dizaines de milliers de personnes marchaient,
animées díune combativité incroyable.
Des balcons, des riverains inclinaient
des écriteaux sur lesquels ils indiquaient que Cavallo,
le ministre de líEconomie, avait démissionné.
Tout en célébrant
la nouvelle, les gens continuaient. Ils voulaient davantage,
la peau du président De la Rúa. Malgré líannonce
de líétat de siège, les gens poursuivaient.
Les slogans ne disaient plus seulement «Argentina, Argentina»,
mais aussi «Assassins! Assassins!» Désormais,
les gens manifestaient aussi contre les assassinats de la police
car la répression avait éclaté dans toute
sa brutalité. Nous avons entendu des rafales. Le premier
martyre du peuple est tombé sur les marches du siège
du parlement.
Líimage
de ces dizaines de milliers de personnes refusant de se retirer
mía fortement secoué. Ils résistaient. Líinfanterie,
les gaz lacrymogènes, les balles en caoutchouc et la police
motorisée faisaient face à des milliers de jeunes
et moins jeunes. Après quelques heures de combat, nous
nous sommes repliés une première fois.
Jeudi matin, nous nous sommes à nouveau
rendus à la Plaza. Quelques-unes des Mères de la
Plaza de Mayo síy trouvaient et síétaient
fait molester par la police. Au bout díun certain temps,
nous avons vu rappliquer des centaines de personnes ayant vu
à la télé les Mères se faire tabasser.
La police síest retirée, effrayée, car dès
ce moment, la composition sociale de líArgentinazo a commencé
à changer. Il síagissait maintenant de jeunes et
díadultes des quartiers populaires, díouvriers
et de chômeurs, díenseignants, de fonctionnaires
et díuniversitaires.
Nous
avons tenté díétendre les combats et les
barricades à toute la ville, de manière à
pouvoir disperser et épuiser les forces de répression.
Pendant des heures, la police a attaqué et les jeunes
lui ont résisté. Nous avons réussi à
capturer un certain nombre de flics et à les désarmer.
Líun díentre eux a été lynché,
et il nía pas été le seul. Le gouvernement
níen a toutefois pas parlé, afin de ne pas donner
davantage de lustre à la victoire du peuple sur les forces
de répression.
Sur
une superficie de plusieurs kilomètres carrés,
impossible díencore trouver une banque qui níait
pas été incendiée. Quelques pavillons McDo
y sont passés aussi. Vers 20 heures, la police síest
brusquement retirée. Nous avons appris que De la Rúa
avait été démis de ses fonctions. Une première
et magnifique victoire du peuple!
Les
jeunes travailleurs et chômeurs de Buenos Aires, héros
de ces derniers jours, ont maintenant dans la peau líincroyable
expérience díune quasi-insurrection populaire.
Dans leur coeur, ils emportent le souvenir de leurs camarades
tombés. Et sous leur oreiller, se trouve tout ce quíils
ont ramassé en deux jours de victoire sur les forces de
répression. |