L'hypothèse
du savant américain fou relativise la puissance des réseaux
terroristes.
Le tueur à
l'anthrax serait-il un savant fou américain ?
Et si l'épidémie
d'anthrax qui a terrorisé les Etats-Unis en octobre n'avait
pas Ben Laden pour auteur, mais un chercheur américain,
militaire de surcroît ? C'est l'hypothèse qui
circule chez les enquêteurs et dans la communauté
des experts en armes biologiques, et que vient de renforcer un
article paru mercredi dans le magazine de Greenpeace Allemagne.
L'organisation écologiste s'appuie en fait sur deux experts
en armes biologiques, Barbara Rosenberg, spécialiste de
ces armes à l'université de New York et ancienne
conseillère du président Clinton sur cette question,
et Jan van Aken, expert travaillant pour une ONG spécialisée
dans les armes biologiques, The Sunshine Project.
M. van Aken, que Le Monde a pu joindre jeudi
matin, explique que la suspicion des enquêteurs est venue
du fait que les lettres envoyées en octobre ne visaient
pas à tuer, puisqu'elles étaient accompagnées
de consignes de prudence, mais à répandre l'effroi.
Des terroristes auraient au contraire
cherché à occire leurs victimes. De surcroît,
la source des lettres est unique. Enfin, l'agent infectieux était
conditionné dans une matière asséchante,
la silice, qui est utilisée habituellement par les laboratoires
américains d'armes biologiques, alors que d'autres pays
recourent généralement à la bentonite.
Ces différents éléments,
et sans doute d'autres, ont conduit les investigateurs à
réorienter leurs recherches : dans le discours qu'elle
a prononcé en tant qu'organisation représentative,
mercredi 21 novembre, devant la conférence sur les
armes biologiques qui se tient à Genève, Mme Rosenberg
a affirmé que l'auteur de l'épidémie postale
de la maladie du charbon était maintenant recherché
au sein de la communauté américaine de défense
biologique. Mme Rosenberg, experte dans ce domaine depuis des
années, a des contacts fréquents avec les services
officiels spécialisés. Vendredi, M. van Aken
a parlé dans les couloirs de la conférence à
une femme officier de la délégation américaine ;
celle-ci lui a indiqué que le crime avait sans doute pour
source un chercheur des services de défense biologique
qui serait devenu fou.
Les
informations délivrées par les deux experts indépendants
apparaissent crédibles, au moment où les autorités
américaines laissent entendre que l'épidémie
d'anthrax pouvait avoir une origine interne : le 22 novembre,
le ministre de la justice, John Ashcroft, déclarait sur
CNN que "le type d'indices (que nous recevons) tend à
nous conduire dans la direction d'une source intérieure".
Des chercheurs se servant de leur savoir pour commettre des actes
criminels : ce scénario a déjà eu des
précédents. Dans les années 1990, l'un d'entre
eux, Theodore Kaczinsky, avait envoyé des colis piégés
avant d'être arrêté.
Le 16 novembre, un biochimiste, Don C. Wiley,
professeur à l'université Harvard, a disparu dans
des circonstances mystérieuses. Pourrait-il être
la source de l'épidémie d'anthrax recherchée
par le FBI ? "Wiley était un spécialiste du
virus Ebola, dit Jan van Aken, c'est une spécialité
très différente de la maladie du charbon. Mais
tout est possible..." Quoi qu'il en soit, l'hypothèse
du savant américain fou relativise la puissance des réseaux
terroristes.
Hervé
Kempf ï ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU
30.11.01
www.lemonde.fr
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