La France n'est pas "tout nucléaire"

Il y a quelque temps EDF lançait une campagne publicitaire (particulièrement intéressante financièrement pour les médias) : le train de votre gamin n'est pas un train électrique mais un train nucléaire, le matin vous vous rasez avec un rasoir nucléaire, cette lumière veloutée qui révèle ma beauté est une lumière nucléaire, etc. Le nucléaire avait investi notre vie quotidienne. Y renoncer c'était changer de civilisation. Le message était d'autant plus redoutable que les antinucléaires dénonçaient EDF pour sa politique du "tout nucléaire". En somme il y avait unanimité pour dire que nous vivions dans le "tout nucléaire" ce qui est pour le moins décourageant et démobilisant.
Mais que représente la consommation d'énergie électrique dans la totalité de notre consommation énergétique? EDF n'a pas osé montrer une voiture avec "votre voiture est nucléaire". Sommes-nous dans le "tout nucléaire"? Il faut faire un bilan correct de notre consommation d'énergie avant d'accepter cet oukase.
L'énergie nucléaire n'est disponible pour la consommation d'énergie que sous la forme de sa production électrique. D'après les statistiques publiées par EDF, le bilan de la production électrique pour 1996 montre que l'électricité produite par nos réacteurs nucléaires représente environ 77 % de la production nationale d'électricité (Résultats Techniques d'Exploitation 1996, EDF, 1997). Si l'on s'en tient à la consommation intérieure, en soustrayant l'électricité exportée de la production nucléaire, l'électronucléaire réellement consomméen France représente 73 % de la consommation totale d'électricité et ceci inclut l'autoconsommation nucléaire car l'industrie nucléaire est elle-même une grosse consommatrice de l'électricité qu'elle produit.
La consommation de l'énergie primaire tient compte de toutes les sources d'énergie consommées tant domestiques qu'industrielles, gaz, charbon, pétrole, énergies renouvelables et pas seulementde l'énergie électrique. L'électricité ne représenteque 37,6 % de l'énergie primaire consommée en France et l'électronucléaire seulement 27,5 %. On est assez loin d'un "tout nucléaire" énergétique.
De plus, si l'on se réfère uniquement à la production électrique actuelle des divers équipements on a un reflet trompeur de la situation car EDF, pour rentabiliser et justifier le parc nucléaire, sous-utilise volontairement les équipements non nucléaires : hydraulique et centrales électriques à charbon et fioul (on a très peu de centrales électriques à gaz en France actuellement). Les capacités de production électrique, au 31 décembre 1996, étaient de 60 gigawatts pour le nucléaire et de 51,35 gigawatts pour les installations non nucléaires (1 gigawatt= 1 million de kilowatts). Ainsi la capacité réelle du parc nucléaire, en tenant compte d'une utilisation maximum des autres équipements, ne représenterait qu'environ 15 % de la consommation d'énergie en France. On est très loin du "tout nucléaire" proclamé par les nucléocrates d'EDF et les combattants antinucléaires.
Pourquoi cette campagne publicitaire d'EDF sur le "tout nucléaire"? Ce n'est certainement pas pour vendre plus de kWh. Cela contribue bien sûr à l'équilibre financier des médias et normalement il devrait y avoir des retombées positives pour l'organisme qui finance. Mais ce qui est visé est beaucoup plus important. Convaincre la population qu'elle est dans le "tout nucléaire" devrait faire passer à la trappe tout désir d'exiger un arrêt rapide de l'électronucléaire. Si tout est nucléaire on n'a guère de possibilité d'ensortir. Mais quand les "antinucléaires" reprennent ce thème ils renforcent ce slogan EDF. Il y a là une conjonction assez étrange mais finalement assez logique si l'on remarque que les écologistes et les antinucléaires, du moins ceux qui se disent représentatifs du mouvement, ne désirent qu'une sortie douce, progressive, c'est-à-dire préservant la rentabilité financière des investissements nucléaires. Ceci est très grave car EDF, en surcapacité nucléaire, veut commencer à démanteler son parc decentrales électriques à charbon et à fioul pour le réduire de plus de 40 % ce qui limitera d'autant les possibilités de sortie rapide du nucléaire.
Finalement EDF a largement gagné sa campagne publicitaire si écologistes et antinucléaires ont repris ses slogans pronucléaires sans avoir besoin qu'on les finance.

Lettre d'information du comité Stop Nogent-sur-Seine n°79, janvier-mars 1998.