Les défaillances en chaîne de Tokai-mura

Le directeur de la centrale nipponne avoue qu'il a modifié les règles de sécurité.

Par FRÉDÉRIQUE AMAOUA

Le lundi 4 octobre 1999

Tokyo de notre correspondante
C'est à reculons que les quelque 40 familles qui résident dans un rayon de 350 m autour de l'usine de Tokai-mura ont rejoint hier matin leur domicile. L'ordre d'évacuation de cette zone limitrophe, décidé cinq heures après l'accident nucléaire de jeudi dernier, a pourtant été levé samedi, mais les habitants, peu rassurés, ont pour la plupart attendu le lendemain avant de rentrer chez eux. "J'étais sur le point de réaliser des travaux chez moi. Mais depuis l'accident j'ai décidé de déménager", dit Norio Owada, qui réside à quelque 200 m de l'usine. "Je suis très en colère à l'égard de JCO", la société propriétaire de l'usine.

Violation systématique. Quatre jours après le plus grave accident nucléaire qu'ait connu le Japon, chacun se demande désormais s'il a été provoqué uniquement par une erreur humaine, comme le soutenait jusqu'à présent l'opérateur de l'usine ou, plus grave, s'il est le résultat d'une violation systématique des règles de sécurité élémentaires par les responsables de cette usine. Et, dans ces conditions, le résultat aussi d'un flagrant défaut de contrôle de la part de la commission japonaise de Sûreté nucléaire. Après avoir d'abord tenté de faire porter le chapeau à ses employés irradiés, qui étaient toujours hier dans un état très critique, les responsables de JCO ont fait samedi machine arrière.

Peu après l'accident, ils avaient déclaré que les employés n'avaient pas respecté le manuel d'instruction de l'entreprise et par conséquent avaient violé les "procédures élémentaires" de sécurité. La société a ensuite admis qu'elle-même n'avait pas respecté les procédures en matière de retraitement approuvées par le gouvernement et avait modifié illégalement son manuel d'instructions interne de façon à accélérer la fabrication du combustible. Le manuel de JCO autorise en effet les employés à utiliser des récipients en acier inoxydable, similaires à des seaux, pour transférer une solution d'uranium dans une cuve de mélange. La pratique, qui met en évidence l'incroyable laxisme des dirigeants en matière de sécurité, était courante dans l'entreprise depuis quatre à cinq ans. Ainsi, au lieu d'avoir recours à des équipements sophistiqués, requis normalement dans une usine nucléaire, les employés se servaient simplement de leurs mains pour verser cette solution potentiellement mortelle. Mais surtout, et c'est ce qui a provoqué la réaction en chaîne, ils ont mis 16 kg d'uranium d'un seul coup, c'est-à-dire six fois plus que le seuil autorisé.

Manque d'expérience. Les médias japonais ont en plus révélé le manque de compétence et de pratique des salariés de JCO. Deux des trois employés gravement irradiés n'avaient aucune expérience de ce genre de manipulation et le troisième n'avait travaillé que quelques mois dans cette unité de retraitement. "C'est impardonnable! C'est tout ce que je peux dire", s'est exclamé Masaru Hashimoto, le gouvernement de la préfecture d'Ibararaki. Pour Hiromu Nonaka, le porte-parole du gouvernement, "cet accident va à l'encontre de tout ce qui fait la réputation du Japon et de sa position en tant que leader du développement technologique".

S'il a ordonné dès vendredi une révision de toutes les installations nucléaires du pays, le gouvernement est aussi mis en cause pour avoir mal organisé le contrôle de ces installations. Le président de JCO, qui s'est rendu samedi au centre d'accueil des familles évacuées après l'accident, a été accueilli par des huées et des cris de colère. Il a tenté de s'excuser, à genoux, face contre terre, devant les villageois. Mais les habitants de Tokai-mura ont refusé ses excuses.