Enseignement à tirer de l'accident du 11 mars 1997 survenu à Tokai-Mura (Japon)

Conseil Supérieur de Sûreté et d'Information Nucléaires
Réunion du 24 juin 1997

Un incendie et une explosion se sont produits le mardi 11 mars 1997 dans l'atelier de conditionnement par bitumage de déchets de faible activité provenant de l'usine de retraitement de combustibles nucléaires de Tokaï-Mura au Japon. Cette usine est exploitée par la compagnie PNC (Power Reactor and Nuclear fuel development Corporation), qui est en quelque sorte l'équivalent japonais du C.E.A., spécialisée dans l'ensemble des activités du cycle du combustible et les réacteurs à neutrons rapides. Elle a été mise en service en 1977 et comporte plus d'une dizaine d'ateliers. Dans l'atelier concerné, les concentrats résultant de l'évaporation d'effluents liquides de faible activité sont conditionnés par enrobage dans du bitume.
Un fût en cours de refroidissement dans la cellule de coulée de bitume a pris feu à 10 h 06. Une fois l'incendie détecté, l'exploitant a déclenché le système d'extinction manuel (arrosage à l'eau) et a jugé l'incendie maîtrisé une minute plus tard. Ce n'était pas le cas.
Les ventilateurs d'extraction d'air de la cellule, se sont rapidement arrêtés, probablement à la suite du colmatage des filtres par les suies dégagées par l'incendie. L'exploitant a dû, par la suite, arrêter manuellement le soufflage. L'extraction de l'air de la cellule, qui nécessitait un changement de filtres, n'a pas pu être rétablie malgré des tentatives répétées de l'exploitant. La cellule n'était donc plus ventilée.
Une dizaine d'heures après l'incendie, à 20 h 04, et alors que des opérateurs s'apprêtaient à pénétrer dans l'installation pour tenter de nouveau de changer les filtres, une violente explosion s'est produite dans le même bâtiment. Cette explosion a provoqué d'importants dégâts dans la cellule, des bris de vitres aux quatre niveaux du bâtiment et l'ouverture des portes donnant sur l'extérieur.
Cette explosion a entraîné des rejets de fumée contenant des matières radioactives (césium, ruthénium et iode). Le rejet d'iode 129 mesuré à la cheminée est estimé à environ 40 % de l'autorisation annuelle de rejet pour l'usine; cette valeur sous-estime sans doute le rejet réel du fait des ouvertures de l'installation résultant de l'accident.
Les conséquences radiologiques sur l'environnement et sur le personnel ont été limitées. Sur 112 personnes évacuées et contrôlées, 37 ont été légèrement contaminées. L'exploitant a mis en place une zone d'exclusion de 10 000 M2. Cet accident a été classé au niveau 3 de l'échelle
[médiatique] INÈS qui comprend 7 niveaux.
Les causes de cet accident sont encore en cours d'analyse. Néanmoins, certaines hypothèses peuvent être avancées.
Ainsi, pour l'incendie, il convient de noter que le procédé utilisé implique une température de coulée de bitume élevée (environ 200°C). Le refroidissement des fûts contenant les déchets bituminés était peut-être insuffisant pour empêcher une réaction exothermique entre la charge saline des concentrats et le bitume, et donc un phénomène de pyrolyse entraînant l'émission de gaz inflammables. Il semble par ailleurs que les opérateurs de l'atelier avaient modifié les paramètres de production afin d'accroître la quantité d'effluent par fût de bitume.
En ce qui concerne l'explosion, l'arrosage des fûts a certainement été trop bref (1 minute) pour permettre leur refroidissement et l'arrêt des réactions exothermiques. Les gaz inflammables ont pu s'accumuler pendant 10 heures dans la cellule non ventilée et atteindre leur domaine d'inflammation.
Ces hypothèses ne pourront être confirmées qu'après une analyse plus détaillée des compléments qui seront transmis par les autorités japonaises.
Un certain nombre de leçons peuvent d'ores et déjà être tirées en France, d'autant que ce risque d'accident n'est pas spécifique aux installations de retraitement de combustibles irradiés. Le procédé de bitumage est parfois employé dans d'autres types d'installations ayant à traiter des effluent radioactifs (centre de recherche, laboratoire, usines).
Plusieurs accidents de ce type se sont déjà produits, tant en France qu'à l'étranger, sans toutefois entraîner de conséquences radiologiques graves pour l'homme ou l'environnement. Ainsi, en France, on recense 3 accidents survenus dans la zone de gestion des effluents liquides (INB 35) du centre d'Études du C.E.A. à Saclay (91). Le plus récent a eu lieu le 21 octobre 1992: une inflammation de bitume s'est produite dans l'appareil d'enrobage, sans entraîner de rejets radioactifs dans l'environnement.
L'utilisation du bitumage est en régression dans les installations françaises. En effet, outre le risque d'inflammation lors des opérations d'enrobage que le bitume présente, des anomalies ont pu être constatées dans le comportement à moyen terme des fûts créés (entre autres, dans les casemates d'entreposage des installations secrètes de Marcoule). Le C.E.A. avait déjà indiqué à la DSIN en janvier 1997 qu'il remplacerait à Saclay d'ici 5 ans ce procédé par celui de la cimentation. De même, COGEMA a mis en place à la Hague une nouvelle gestion des effluents qui lui a permis de diminuer considérablement le nombre de fûts de bitume créés. La question reste toutefois ouverte de l'utilisation de ce procédé pour conditionner des boues anciennes entreposées sur place. En tout état de cause, même si ce procédé est appelé à court terme à être remplacé, la vigilance reste de rigueur vis-à-vis des installations actuellement en service qui continuent à l'utiliser.
La DSIN, après l'accident de Tokaï-Mura, a demandé aux exploitants français qui utilisent un procédé de bitumage de même nature (C.E.A. et COGEMA) d'analyser les enseignements et les éventuelles améliorations que leur suggère cet événement en ce qui concerne leurs propres installations. Par ailleurs, des inspections ont été programmées par la DSlN.
Lors de l'inspection du 7 avril à l'installation de traitement des effluents liquide du Centre de Saclay du C.E.A., les inspecteurs ont constaté un nombre important d'écarts concernant le risque incendie. En outre, aucune réflexion n'avait été engagée à partir de l'événement de Tokaï-Mura. Bien que les procédés, la conception des installations et les risques soient différents, la DSIN a considéré que cette situation n'était pas acceptable et a suspendu l'autorisation d'exploitation de cette unité d'enrobage bitume le 10 avril 1997.
En vue d'obtenir l'autorisation de redémarrage, le C.E.A. a transmis à l'Autorité de sûreté un nouveau dossier qui est actuellement en cours d'examen.
Du point de vue de la communication, la très forte couverture médiatique donnée à cet accident au Japon est en grande partie due à la mauvaise qualité de l'information donnée au public par l'exploitant et les pouvoirs publics : cette information a été lente, souvent approximative et largement contradictoire.
PNC n'a pas retenu sur ce sujet la leçon de l'accident de MONJU. Il semble même que PNC serait responsable d'une fausse déclaration concernant l'extinction de l'incendie. Une enquête est en cours sur cette déclaration. Il faut par ailleurs être conscient que la volonté de coordination et de recherche de consensus du système bureaucratique japonais tend à être un frein à une bonne gestion de l'information en situation de crise.
Cette affaire est porteuse de leçons. Il serait illusoire de croire que la France serait exempte de risques de retard et de confusion dans l'information donnée au public en cas de crise nucléaire. Les exercices de crise que la DSIN organise en France ont déjà fait apparaître l'importance considérable que prendraient les problèmes de communications. C'est pourquoi la DSIN a souhaité qu'une pression médiatique soit systématiquement simulée dans ces exercices afin de rendre plus réalistes les conditions auxquelles sont soumises les différentes équipes de crise. Cet effort doit être maintenu et prendre en compte le cas d'accidents à cinétique rapide.
En conclusion, l'accident survenu le 11 mars 1997 dans les installations de Tokaï-Mura apparaît porteur d'enseignements importants pour la France.
D'un point de vue technique, il doit amener à maintenir la vigilance vis-à-vis d'installations utilisant le procédé de bitumage et à renforcer les efforts actuellement menés pour la mise en oeuvre de procédés alternatifs.
Du point de vue de la communication, il met en évidence la nécessité d'anticiper la coordination des différents acteurs impliqués en situation de crise nucléaire pour éviter des retards préjudiciables et obtenir une bonne gestion de l'information.

La Gazette Nucléaire n°159/160, juillet 1997.
(La Gazette du Nucléaire est éditée sur Internet grace à Yves Renaud)