Le Monde, 29/10/2008: 

Associations: stratégies variées face au nucléaire

Sortir du nucléaire, la Criirad, l'ACRO et Greenpeace divergent sur les modes d'action. Pour des résultats différents.

La France, avec ses 79 % d'électricité d'origine nucléaire, est une terre d'élection pour les associations qui combattent cette énergie ou, à tout le moins, exercent leur vigilance sur cette activité à risque. Chacune a sa stratégie, face à une puissance publique, un monde industriel et une opinion qui considèrent l'atome comme incontournable.

"La population perçoit le nucléaire comme un mal nécessaire, commente Stéphane Lhomme, porte-parole du réseau Sortir du nucléaire. Nous, nous disons que c'est quand même un mal, et pas si nécessaire." Revendiquant 834 associations adhérentes et un budget de 1 million d'euros, "financé uniquement par des dons", Sortir du nucléaire compte 13 salariés. Le réseau tire parti d'Internet pour organiser des actions "décentralisées, mais nationales". Pas question de participer aux instances d'information ou de réflexion sur le nucléaire. Soit parce que le réseau n'y est pas convié, comme lors du Grenelle de l'environnement, qui n'abordait pas du tout le sujet du nucléaire. Soit parce que le réseau dénonce leur manque de transparence, comme il l'a fait à propos du nouveau Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire.

Basée à Valence, la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) a, elle aussi, décidé de boycotter ce "haut comité pour la propagande", indique son président, Roland Desbordes, parce qu'il a "fermé la porte au citoyen". Née après Tchernobyl, la Criirad, avec ses 13 salariés, ses 4 000 adhérents et ses 677 000 euros de budget, est avant tout un laboratoire dont le statut vise à "améliorer la radioprotection de la population". Sa trésorerie, jadis fragile, est aujourd'hui assainie. Pour assurer son indépendance, l'association ne dépend qu'à 5 % environ de subventions. "Notre obsession, c'est d'avoir suffisamment d'adhérents pour garantir notre autonomie financière, indique Roland Desbordes. Pour nous, il est plus important d'être indépendants que d'exister." Devenue incontournable, l'association a pu assouplir des arrêtés et des décrets qui auraient mis en péril son indépendance, en menaçant les pouvoir publics de simplement disparaître.

Son alter ego, l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest (ACRO), qui anime un réseau de surveillance radiologique avec ses quatre salariés, suit un chemin différent. "Nous avons accepté une démarche de participation citoyenne, indique son président, David Boilley. Nous sommes représentés dans de nombreux comités et instances d'évaluation." Le bilan est mitigé. " Nous avons beaucoup appris techniquement et contribué à abaisser les rejets de l'usine d'Areva à la Hague, note David Boilley. Mais l'association a parfois servi à son corps défendant de caution à la filière nucléaire ", regrette-t-il. Et la trésorerie de l'ACRO reste fragile. Elle attend toujours la subvention du ministère de l'environnement pour 2008.

Pour éviter ces désagréments, Greenpeace "ne travaille jamais sur financements publics", explique Frédéric Marillier, l'un des deux salariés de l'organisation dédiés aux campagnes "nucléaire". Greenpeace ne voit pas de compromission dans le fait de participer au cas par cas aux réflexions des pouvoirs publics. "Si on pense pouvoir faire évoluer les choses, apporter nos documents, nous y allons", indique Frédéric Marillier, qui plaide pour "le pragmatisme".

Même souci d'efficacité chez Robin des bois et sa poignée de salariés. L'association, en redressement judiciaire, est montrée du doigt dans le monde écologiste pour sa participation à divers comités. "Etre pragmatique ne veut pas dire flexible, se défend son président, Jacky Bonnemains. Nous pensons pouvoir faire bouger les choses autant de l'intérieur que de l'extérieur."