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Incident à Nogent-sur-Seine :
Toujours du nouveau dans le nucléaire...
ou quand un assemblage de combustible joue les équilibristes

On ne risque pas de s'ennuyer avec nos réacteurs car il y a toujours du nouveau dans le nucléaire avec des incidents inédits. C'est ainsi qu'il y a eu une première en France à Nogent sur le réacteur n°1, avec seulement 5 incidents analogues répertoriés dans le monde, tous aux USA dont un sur un réacteur Westinghouse (Indian Point 3 ; 965 MWe, couplé au réseau en 1976).

Au cours de l'opération de déchargement qui vise à remplacer une partie du combustible usé par du combustible neuf et nécessite le transfert en piscine de tous les assemblages du coeur, un assemblage combustible usé est resté suspendu à la structure interne supérieure de la cuve, à 4 mètres au-dessus du coeur.

Ne tombera pas ? Tombera ? Se cassera s'il tombe (en libérant les produits radioactifs dans l'eau) ? En endommageant les autres assemblages ? Ne se cassera pas ? Le suspense a duré près d'un mois avant que l'assemblage ne soit décoincé et transféré dans la piscine.

Un tel assemblage pèse plus de 750 kg et renferme plus de 600 kg d'oxyde d'uranium. Voilà un type de "projectile interne" qui n'avait pas été envisagé jusque là dans les analyses de sûreté !

Les lecteurs du Monde n'ont eu connaissance de l'incident que le 12 septembre puis ont eu droit à un entrefilet lorsque l'assemblage de combustible enfin libéré a été amené dans la piscine. Pourtant la direction EDF de la centrale de Nogent l'a annoncé dès le 20 août. Les autorités de sûreté ont publié le communiqué ci-après le 28 août.

Nogent-sur-Seine (Aube) Fonctionnement normal du réacteur 2. Arrêt du réacteur 1 depuis le 13 août pour visite décennale et rechargement en combustible.

Réacteur 1 : Extraction intempestive d'un assemblage combustible hors du coeur du réacteur lors de l'enlèvement des éléments internes supérieurs de la cuve. Le 19 août, alors que le réacteur était arrêté pour maintenance et remplacement de combustible, un assemblage combustible est resté accroché aux structures internes supérieures de la cuve au cours de leur enlèvement. La cuve du réacteur contient le combustible nucléaire, constitué de 193 assemblages combustibles. Ces assemblages sont maintenus dans la cuve par des structures dénommées "internes inférieurs" et "internes supérieurs". À l'issue de chaque cycle de fonctionnement, les assemblages combustibles sont déchargés puis entreposés dans la piscine du bâtiment du combustible. Leur déchargement impose, après l'ouverture de la cuve, l'enlèvement des structures internes supérieures. L'ensemble de ces opérations de manutention sont effectuées sous eau, afin d'assurer le refroidissement des assemblages combustibles et la protection radiologique des opérateurs. Le 19 août, alors qu'il procédait à la remontée progressive des internes supérieurs, l'exploitant a constaté qu'un assemblage combustible était accroché à ces matériels. Les opérations ont été arrêtées ; l'assemblage toujours intégralement sous eau est resté suspendu aux internes supérieurs. Il avait été extrait du coeur sur environ 4 mètres, sa longueur totale étant de près de 5 mètres. Aucune émission de produit radioactif n'a été détectée dans le bâtiment réacteur. L'exploitant a néanmoins fait procéder à l'évacuation totale de ce bâtiment et en a interdit l'accès. L'analyse par la DSIN, la DRIRE et l'IPSN des dispositions prévues par l'exploitant est en cours. Compte tenu de l'apparition d'une anomalie susceptible d'affecter l'intégrité d'un assemblage combustible, cet incident, initialement déclaré au niveau 0 de l'échelle INES, a été reclassé au niveau 1 par l'Autorité de sûreté.

On notera que l'incident a été jugé assez sérieux pour que l'exploitant évacue le bâtiment réacteur dont l'accès a été interdit.

D'après les renseignements fournis par la direction de la centrale de Nogent, la structure interne supérieure comprend une plaque d'acier de 65 tonnes. Elle maintient les assemblages en place et a aussi une fonction antisismique. C'est sur cette plaque supérieure que l'assemblage est resté accroché.

Pouvoir continuer à monter la plaque pour extraire complètement l'assemblage du coeur et ainsi déplacer l'assemblage sans qu'il tombe puis le dégager de la plaque n'a pas été un problème facile à résoudre pour EDF en fonction du meilleur rapport sûreté/délai. Il a fallu concevoir et fabriquer un outil spécial, genre bras manipulé, pour bien maintenir l'assemblage. Les spécialistes EDF sont allés voir aux USA comment les Américains avaient fait. Finalement c'est la solution Framatome qui a été retenue et validée le 30 août par la DSIN.

Dans les documents EDF sur les centrales nucléaires du palier 1300 MW "Textes du rapport de sûreté. Édition publique" on peut lire à propos des assemblages combustibles que le cadre de l'embout supérieur de chaque assemblage comporte deux logements dans lesquels viennent s'insérer deux pions de centrage de la plaque supérieure "assurant ainsi un positionnement rigoureux de l'assemblage". Selon les informations recueillies auprès de la direction de la centrale de Nogent, l'anomalie se serait, en fait, produite des mois auparavant sans avoir été décelée puisque ce serait au cours de l'opération de chargement qu'un pion se serait tordu lors de l'abaissement de la plaque supérieure du coeur et cela n'aurait été vu qu'au déchargement, lorsque la remontée de la plaque supérieure a entraîné avec elle l'assemblage combustible. (Un pion de centrage est un cylindre en acier d'environ 2 cm de diamètre sur 8 à 10 cm de haut. Il est vraisemblable de penser que les deux pions étaient abîmés).

L'assemblage était-il mal positionné (mauvais alignement) ? Si oui, pour quelles raisons ? Y a-t-il eu erreur de manipulation ? Y a-t-il eu blocage par un élément indésirable (une vis par exemple) ? D'après la DSIN interrogée le 10 octobre l'analyse de l'incident n'était pas terminée à cette date.

En plus d'avoir été un projectile potentiel au cours de l'incident, cet assemblage en équilibre révèle ainsi que si ces pions ont été tordus au chargement, le positionnement rigoureux de l'assemblage lors du fonctionnement du réacteur, laissait plutôt à désirer, y compris celui du tube d'instrumentation qui lui est associé, y compris celui des 24 tube-guides des crayons de la grappe de contrôle qui "doit pouvoir être insérée rapidement en cas de besoin". Si l'alignement n'est pas rigoureux, n'est-ce pas une cause de frottement qui pourrait empêcher la grappe de contrôle de tomber rapidement ? Ainsi il n'y a pas que l'intégrité de l'assemblage qui risquait d'être affectée par un tel incident.

Des pions tordus qui ont vraiment leur importance.

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