Cdurable.info, 26 mai 2010:
François Roussely, l'ancien président
d'EDF, a remis à Nicolas Sarkozy le 11 mai dernier son
rapport sur l'organisation industrielle de la filière nucléaire
civile française. Selon l'hebdomadaire Le Point, le rapport
a été classé "secret
défense" par l'Elysée. Le président
de la République aurait voulu éviter toute fuite
concernant ce rapport partiel auquel manque encore la partie consacrée
au nucléaire militaire. "Il
donnera lieu à des décisions dans les semaines qui
suivent", ont indiqué les services de Nicolas Sarkozy.
Le Réseau sortir du nucléaire s'étonne
du classement du rapport Roussely. "Il est révélateur
que cette classification "secret défense" touche
même la partie du rapport consacrée au nucléaire
civil. On peut présumer qu'il s'agit de cacher des données
"explosives" sur les très grandes difficultés
traversées par le nucléaire français"
estime l'association anti-nucléaire. Pour les Amis de
la Terre, la classification "secret défense"
de ce rapport confirme, si besoin était, combien toute
distinction entre nucléaire civil et militaire est illusoire.
Une information a toutefois filtré sur le contenu de ce
rapport qui préconiserait, selon Les Echos, la création
d'un groupement d'intérêt économique incluant
Areva, EDF, Alsthom, GDF-Suez et le Commissariat à l'énergie
atomique, afin qu'une coordination des alliances et partenariats
évite le renouvellement de l'échec essuyé
en décembre 2009 lors de l'appel d'offres d'Abou Dabi pour
la construction de 4 réacteurs.
Pourquoi le rapport est-il classé défense ?
"Le rapport Roussely contient-il des éléments
encore plus graves que ce qui est déjà connu ?"
s'interroge le Réseau Sortir du Nucléaire
qui estime que :
- Le réseau électrique français est
en piteux état, et particulièrement vulnérable :
"en cas d'atteinte à un nombre même restreint
de pylônes haute tension, le black-out est possible".
- Le parc nucléaire français est dans un état
de délabrement extrêmement inquiétant. Ainsi,
"la vétusté des générateurs
de vapeur, composants majeurs des réacteurs nucléaires,
reste un handicap majeur pour la production des centrales françaises
jusqu'à leur remplacement qui ne sera effectif qu'en 2030",
estimait la semaine dernière l'autorité de sureté
nucléaire (ASN). La France qui produit près
de 80% de son électricité à partir de 58
réacteurs nucléaires, souffre depuis 2006 des arrêts
fréquents des centrales à cause des générateurs
de vapeur vieillissants. "Tous ces pépins sont
liés au fait que les générateurs de vapeur
ont vécu", reconnait Guillaume Wack, responsable
des centrales nucléaires à l'ASN. "Pour
la France, fière de son indépendance électrique
et qui entend valoriser ses 35 ans d'expertise dans le nucléaire
pour être à la tête de la renaissance de la
filière, le coup est dur", constate Le Point.
L'Hexagone a ainsi été
en 2009 importateur net d'électricité durant
57 jours contre six en 2008 et 20 en 2007, selon le Réseau
de transport d'électricité (RTE). L'an dernier,
la part de la production d'électricité d'origine
nucléaire est tombée à 78%, soit son plus
bas niveau depuis 1992.
- Du fait de la vétusté des réacteurs
français, leur disponibilité est tombée à
son plus bas niveau depuis 18 ans. Et la prolongation annoncée
de la durée de vie des réacteurs français
coûterait une fortune à EDF (35 milliards d'euros
selon Henri Proglio), alors même que des pièces cruciales
comme les générateurs de vapeur ne peuvent être
remplacées qu'à un rythme extrêmement lent.
De plus, avec le projet de loi sur la "nouvelle organisation
du marché de l'électricité" (NOME),
EDF, qui doit faire face à ces investissements faramineux,
devra également revendre jusqu'à un quart de la
production de son parc nucléaire à ses concurrents
(GDF Suez, Poweo, Direct Energie...), afin de permettre à
ces derniers d'accéder à une électricité
à bas coût tout en renforçant la concurrence
sur le marché français, à la demande des
instances européennes. Pour assurer ce bas coût,
EDF n'aurait pas d'autre solution que d'augmenter les tarifs pour
les particuliers et les petits professionnels. Selon des projections
de la Commission de régulation de l'énergie
(CRE), les tarifs pourraient être relevés de 11,4 %
une fois la loi votée et de 3,5 % par an entre 2011
et 2025. Le gouvernement et EDF ont démenti l'information,
dénonçant des "allégations totalement
fausses et dénuées de tout fondement"...
- Selon le Réseau Sortir du nucléaire,
"à l'instar des autres installations nucléaires
françaises, le réacteur EPR n'est pas conçu
pour résister au crash d'un avion
de ligne, et sa conception accroît dangereusement les
risques d'accident nucléaire grave".
- En cas d'accident nucléaire majeur, les dispositifs
prévus (plan ORSEC-Rad) seraient
notoirement insuffisants pour protéger les populations.
Même une distribution
symbolique de pastilles d'iode à toute la population
serait impossible, le nombre de lits d'hôpitaux disponibles
dérisoire... et surtout, qui serait volontaire pour "liquider"
les conséquences de la catastrophe au péril de sa
vie ?
"Enfin, l'information la plus explosive contenue par le
rapport Roussely, pronostique l'ONG, celle que Nicolas
Sarkozy souhaite soigneusement dissimuler, est peut-être
la suivante : les difficultés gigantesques du nucléaire
français rendent indispensable l'arrêt immédiat
du programme EPR".
Réaction des Amis de la Terre
Les Amis de la Terre sont scandalisés de voir les priorités
énergétiques se concentrer à l'international
sur l'exportation de technologies nucléaires quand chacun
des 58 réacteurs de l'Hexagone produit déjà
en moins de 15 jours les quelques kilos de plutonium requis pour
fabriquer une bombe atomique comme celle qui détruisit
Nagasaki. Et quand la radioactivité de quelques milligrammes
à peine d'un cocktail de césium 137, strontium 90
et isotopes du plutonium déposés par km2 suffit
pour atteindre le nombre de curies justifiant l'évacuation
obligatoire et définitive des populations concernées.
Pour Marie-Christine Gamberini, référente sur le
nucléaire aux Amis de la Terre : "Les Français
ont le droit de connaître les vrais risques, croissants,
que leur font courir les dirigeants qui prétendent protéger
leurs intérêts. Nous demandons donc la déclassification
du rapport Roussely, et un débat parlementaire transparent
et approfondi sur toutes les questions énergétiques,
stratégiques, sanitaires et géopolitiques que ce
rapport aborde."
Pour les Amis de la Terre, tout réacteur électronucléaire
français ayant dépassé les 30 ans d'âge
calculés suivant les critères de l'AIEA doit maintenant
fermer, et être remplacé d'urgence par d'autres modes
de production d'électricité. Par ailleurs, les encouragements
à la surconsommation de courant et à la multiplication
des usages de l'électricité dont les services commerciaux
d'EDF se rendent coupables avec l'aval du gouvernement doivent
immédiatement cesser.
David Naulin
PARIS (11/6/2010) -
Commandé en fanfare fin 2009 et très attendu, le
rapport Roussely sur la réorganisation de la filière
nucléaire française ne sera vraisemblablement publié
que sous une forme édulcorée, s'il l'est même
un jour.
D'abord annoncé pour avril puis remis en mai au président
Nicolas Sarkozy, ce rapport a été classé
secret défense pour éviter les fuites et l'Elysée
s'est montré de plus en plus vague, au fil des semaines,
sur le sort qui lui serait réservé.
Aux dernières nouvelles, le chef de l'Etat attend une version
allégée susceptible d'être rendue publique.
De source proche de la commission présidée par l'ancien
président d'EDF François Roussely, on confirme qu'une
sorte de "résumé" destiné à
être publié à l'occasion d'une intervention
de Nicolas Sarkozy sur la filière nucléaire est
en préparation.
Cela pourrait avoir lieu "avant l'été",
dit-on. Mais l'entourage du président de la République
affirme qu'il n'y a pas encore de date précise fixée.
Ce flou entretient dans les milieux industriels concernés
comme du côté des experts et des parlementaires familiers
du dossier le sentiment que le rapport pourrait bien être
enterré.
Pour les uns, il s'agissait avant tout d'une arme de guerre contre
la présidente d'Areva, Anne Lauvergeon. Mais il n'aurait
plus de raison d'être maintenant qu'"Atomic Anne"
semble assurée d'aller au bout de son mandat.
D'autres estiment, à en juger par les auditions de la commission,
que le rapport devrait être "très équilibré",
voire relativement creux, et en aucun cas révolutionnaire.
Pour une troisième catégorie, son contenu serait
tellement en contradiction avec l'analyse du président
qu'il serait de facto condamné à rester secret ou
à être réécrit.
SARKOZY FAVORABLE À EDF EN CHEF DE FILE
"Le fait que l'Elysée ne le rende pas public veut
peut-être dire qu'il y a des choses difficiles à
avaler dedans", résume Jean-Marie Chevalier, professeur
d'économie à Paris-Dauphine.
Nicolas Sarkozy l'a commandé fin octobre 2009, deux mois
avant le fiasco d'un consortium constitué des principaux
acteurs du nucléaire en France, dont Areva, EDF et GDF-Suez,
qui ont laissé échapper, au profit de la Corée
du Sud, un contrat de quatre centrales aux Emirats arabes unis.
Cet échec, ajouté aux besoins en capitaux d'Areva
et à une vive rivalité entre Anne Lauvergeon et
le nouveau P-DG d'EDF Henri Proglio, a conforté le chef
de l'Etat dans l'idée qu'une réorganisation de la
filière à l'export s'imposait.
C'est précisément un des sujets, avec la stratégie
en matière d'alliances et de partenariats et la place de
l'Etat, sur lesquels il a demandé à François
Roussely de se pencher.
"Qui peut être assemblier, qui peut monter des centrales
? De mon point de vue, c'est EDF", confiait Nicolas Sarkozy
quelque temps avant de recevoir le rapport.
Le chef de l'Etat arguait notamment des difficultés d'Areva
en Finlande, où la construction du premier réacteur
EPR a pris quatre ans de retard, avec une facture presque doublée.
Dans son esprit, Areva doit cependant rester le fournisseur du
coeur des centrales nucléaires tout en élargissant
son offre.
"L'EPR est une Rolls tout à fait adaptée à
des pays comme la Chine, la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis,
mais pas forcément à des pays de 10 millions d'habitants",
a-t-il coutume de dire.
Il souhaitait enfin que la réorganisation de la filière
fasse une place à GDF-Suez et au pétrolier Total,
"qui ne peut pas rester uniquement branché sur l'énergie
fossile".
"ÉCOUTER LE CLIENT"
Selon des informations parues dans la presse bien avant qu'il
ne soit remis à Nicolas Sarkozy, le rapport préconiserait
la création d'un comité stratégique auprès
du Premier ministre.
Ce comité pourrait notamment décider de la configuration
du consortium qui répondra à tel ou tel appel d'offres
étranger.
Le rapport devrait confirmer en outre la nécessité
d'une diversification de l'offre française de réacteurs.
Areva développe avec le japonais Mitsubishi un réacteur
plus petit (1.100 MW) et moins cher que l'EPR, l'Atmea, auquel
l'Autorité de sûreté nucléaire française
tarde à donner son feu vert bien qu'il soit présélectionné
par la Jordanie.
Le P-DG de GDF-Suez, Gérard Mestrallet, s'est dit prêt
à s'associer à Areva pour en construire un prototype
en France.
Il n'est pas du tout certain en revanche que le rapport Roussely
affirme la prééminence d'EDF, contrairement à
ce que laissaient entendre les premières fuites, ni même
qu'il propose la constitution d'un groupement d'intérêt
économique (GIE).
Selon une source industrielle, François Roussely a donné
l'assurance aux dirigeants d'Areva qu'il ne recommanderait pas
un démantèlement du groupe dans son rapport et que
son modèle intégré - des mines d'uranium
au retraitement des combustibles usés - serait conforté.
Ce qui semble aussi exclure un meccano industriel et une montée
d'EDF dans le capital d'Areva.
Quant au GIE, "ce n'est pas absolument nécessaire",
juge le député UMP Claude Gatignol, coprésident
du groupe énergie de l'Assemblée nationale. "Je
ne veux pas que la responsabilité soit diluée sous
l'appellation GIE ou quelque chose comme ça."
En tout état de cause, spécialistes et industriels
militent plutôt pour une formule assez souple, avec des
consortiums à géométrie variable, selon les
projets.
"Il faut avant tout écouter le client. Certains ne
veulent voir qu'EDF, d'autres ne veulent pas voir EDF, qui appartient
à 85% à l'Etat francais", souligne une source
industrielle.
Emmanuel Jarry
Le Point, 21/5/2010:
Des décisions sur l'avenir de la filière
nucléaire française seront prises dans les prochaines
semaines sur la base du rapport rédigé par l'ancien
patron d'EDF François Roussely, a indiqué vendredi
l'Élysée.
"Le rapport a été classifié secret-défense",
a-t-on précisé de même source, confirmant
une information du Point. "Il a été
remis, il y a huit jours, au président et est actuellement
en cours d'étude. Il donnera lieu à des décisions
dans les semaines qui viennent", a encore indiqué
la présidence de la République.
Commandé par Nicolas Sarkozy, le rapport Roussely doit
donner des pistes à l'État sur "l'évolution
du nucléaire civil à l'horizon 2030". Il s'agit
notamment d'éviter que ne se reproduise le cuisant échec
de l'appel d'offres d'Abou Dhabi en décembre dernier. Areva,
EDF, GDF Suez et Total s'étaient fait alors souffler par
les Coréens un contrat de 20 milliards de dollars pour
construire quatre réacteurs, dans un contexte de fortes
dissensions internes.
Initialement, il était prévu que seule une partie
du rapport, notamment celle consacrée aux "enjeux
civilo-militaires" du nucléaire, soit classée
secret-défense. Mais, selon les informations recueillies
par Le Point, le chef de l'État aurait voulu "éviter
toute fuite avant d'avoir pu lire le rapport complet".
L'État "va mettre de l'ordre" dans la filière
(Sarkozy)
Cette classification sert à "cacher le dangereux délabrement
du nucléaire français", a pour sa part dénoncé
le réseau associatif Sortir du nucléaire, dans un
communiqué publié vendredi. Selon le quotidien Les
Échos, le rapport proposerait de créer un groupement
d'intérêt économique (GIE) regroupant les
grands acteurs de l'industrie nucléaire française,
qui serait chargé de "défendre les couleurs
de la France à l'étranger".
François Roussely et les experts qui l'épaulent
ont auditionné quelque 200 personnes et avaient prévu
de rendre leurs recommandations avant la fin avril. L'État
va "mettre de l'ordre" dans la filière, avait
promis Nicolas Sarkozy mi-mars. "Au minimum, il faut que
la filière s'organise pour que les équipes de France
ne se fassent pas concurrence de façon contre-productive",
avait-il jugé. Quelque 500 réacteurs nucléaires
pourraient être mis en service dans le monde d'ici à
2030 [Bah voyons], un marché de plusieurs centaines de milliards
d'euros.
L'industrie nucléaire française a laissé
éclater ses querelles au grand jour en début d'année,
quand Areva et EDF se sont écharpés sur des contrats
de recyclage et d'enrichissement d'uranium. À tel point
que le Premier ministre François Fillon avait dû
intervenir en convoquant les deux patrons à Matignon. La
guerre nucléaire avait été ravivée
en novembre par la volonté du nouveau patron d'EDF, Henri
Proglio, de faire de son groupe le "leader" de la filière.