RIA-Novosti, 12/08/2005 : 

Tchernobyl reste un site radioactif dangereux

Des cas d'irradiation d'ouvriers du bâtiment occupés à la reconstruction du sarcophage recouvrant le réacteur nucléaire détruit voici 19 ans par une explosion ont été signalés.
Quoique la vie de ces hommes ne soit pas directement menacée, le Comité pour la sécurité à la centrale nucléaire de Tchernobyl se montre très préoccupé. D'après les médecins, l'irradiation s'est produite consécutivement à la pénétration de substances radioactives dans l'organisme - eau, aliments - ou encore par les voies respiratoires.
Le sarcophage avait été construit en 1986 à la va-vite, au prix de la vie et de la santé de dizaines de milliers de liquidateurs de l'accident
(19 ans après c'est déjà pour les «liquidateurs» plus de 25 000 morts et plus de 200 000 invalides). A l'époque, toutes les décisions avaient été prises sur-le-champ, à tâtons. L'Abri-1, comme le sarcophage est appelé officiellement, est une construction gigantesque haute comme un immeuble de 25 niveaux. Il recouvre 185 tonnes de combustible nucléaire dont l'activité totale atteint 17 millions de curies, souligne le docteur en physique Alexandre Borovoï, chef du Groupe scientifique opérationnel de l'Institut Kourtchatov.
Une partie du combustible (3-5 pour cent) avait été dispersée par l'explosion sur le territoire limitrophe de la centrale nucléaire. 30 pour cent du césium contenu dans le combustible se sont évaporés et ont été transportés par les courants aériens sur des milliers de kilomètres. Etant donné que la période de demi-vie du césium et du plutonium est respectivement de 30 ans et de 24.000 ans, on peut dire que la "blessure" radioactive de Tchernobyl n'est pas près de se cicatriser et que très longtemps encore elle constituera une menace pour les gens.
Selon Alexandre Borovoï, le sarcophage s'est malheureusement avéré insuffisamment sûr. De nombreux travaux sont réalisés au moyen de télécommandes et leur qualité s'en ressent. Par exemple, il n'a pas été possible d'éviter les fissures. Quand il pleut de l'eau pénètre à l'intérieur de l'abri, elle dissout les substances radioactives qui se mélangent aux nappes phréatiques.
Actuellement, la surface totale de ces fissures se compte en centaines de mètres carrés. De la poussière de plutonium s'en échappe et les gens peuvent la respirer. Qui plus est, le sarcophage repose sur un fondement qui a été soumis aux effets de l'explosion et du feu. Par conséquent, l'éventualité d'un effondrement n'est pas à écarter.
La communauté internationale a décidé de rectifier la situation et aussi de financer la construction de l'Abri-2. Un milliard de dollars a été alloué pour réaliser le projet appelé à réduire au minimum l'impact nocif de Tchernobyl. Il est prévu de construire une structure en acier et béton, qui constituera en quelque sorte le deuxième couvercle, plus hermétique, du réacteur. En attendant, on renforce l'ancien sarcophage et on en bouche les fissures.
Sur la demande de la partie ukrainienne des spécialistes de l'Institut Kourtchatov ont réalisé un important volume de travaux dans un environnement radioactif non dénué de risques, élaboré des instructions diverses visant à améliorer les travaux et l'efficacité des mesures préventives. Cependant, les spécialistes regrettent que leurs recommandations ne soient pas appliquées comme elles le devraient. Pour eux, cela explique pourquoi des gens sont contaminés par des nucléides radioactifs.
Malheureusement, nulle part dans le monde on ne s'intéresse à l'amère expérience de Tchernobyl, dit l'académicien Evguéni Velikhov, président du centre de recherche Kourtchatov. Chez nous en Russie il y a maintenant le ministère des Situations d'urgence, aux Etats-Unis c'est la Homeland Security. Seulement, cette dernière emploie un personnel qui est initié uniquement à la théorie de l'explosion radioactive technologique.
Et si jamais la théorie doit un jour être mise en pratique, alors ce sera de nouveau le chaos et la confusion.
Pour Evguéni Velikhov, la Russie pourrait être d'un grand secours dans la préparation d'un programme international sérieux visant à synthétiser avec rigueur l'expérience pratique de Tchernobyl.

 

"Tchernobyl, un alibi en béton",
un documentaire de 58mn en Realvideo 33Kb.

Le démantèlement du monstre nucléaire est un processus long, dangereux et coûteux qui s'étalera sur des années, voir plusieurs décennies, et dont l'ardoise de plusieurs milliards de dollars sera réglée presque entièrement par l'Occident.

 

Tchernobyl: 200 millions de dollars pour bâtir une chape d'acier

LONDRES (13 mai 2005) - Les pays donateurs se sont engagés à débloquer 200 millions de dollars supplémentaires pour la construction d'une chape d'acier au-dessus de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Ce montant s'ajoute aux 600 millions d'euros déjà promis jusqu'ici.
«Nous avons promis plus d'argent pour achever cette tâche importante», a déclaré jeudi le Britannique Ian Downing, président du groupe de sécurité nucléaire du G8, au cours d'une conférence de presse à Londres. Il s'exprimait à l'issue d'une réunion des 28 pays donateurs membres du Fonds international pour le sarcophage de Tchernobyl.
La plus grosse contribution est venue du G8, avec 185 millions de dollars (225 millions de francs). La Russie a pour la première fois promis de participer à l'effort financier, a souligné dans un communiqué la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd), qui administre ce fonds.
Le montant de la contribution russe n'a pas été précisé. Mais «nous pensons qu'il s'agit d'une question de jours pour que la Russie s'engage à verser un montant significatif», a souligné au cours de la conférence de presse le vice-président de la Berd chargé des questions de sécurité nucléaire, M. Frabrizio Saccomani.
«Cinq ou six autres pays n'ont pas été en mesure d'annoncer dès aujourd'hui le montant de leur contribution» et devraient le faire prochainement, a-t-il ajouté.
La Berd espère achever en 2008-2009 la construction d'une gigantesque arche de métal destinée à recouvrir le sarcophage de béton qui, construit à la va-vite après l'accident le 26 avril 1986, menace de s'effondrer.

 

 

Député ukrainien : il existe un risque d'accident à la centrale nucléaire de Tchernobyl

KIEV, 19/01/2005 - RIA Novosti. Il subsiste un risque d'accident à la centrale atomique de Tchernobyl dans la mesure où le combustible nucléaire de la centrale arrêtée en 2000 n'a toujours pas été déchargé des réacteurs, a déclaré le député du peuple de l'Ukraine, Vladimir Yavorivski.
Le service de presse de la fraction parlementaire Notre Ukraine a fait savoir à RIA Novosti que le député du peuple avait adressé une requête appropriée au premier ministre par intérim d'Ukraine, Nikolai Azarov, dans laquelle il demande que ce problème soit résolu.
Vladimir Yarovivski, a déclaré que tous les entrepôts de combustible nucléaire situés sur le territoire de l'Ukraine sont combles et que la mise en oeuvre des projets de construction de dépôts de déchets nucléaires et d'entreprises de recyclage de ces déchets traînait en longueur.
Dans le même temps, la Russie, pays fournisseur de combustible atomique, et tenue, en vertu des dispositions de la législation internationale appropriée, de récupérer les déchets nucléaires, n'honore pas ses engagements en la matière, a relevé le député du peuple.
La centrale atomique de Tchernobyl où, en avril 1986, s'est produite la plus grande catastrophe nucléaire du XXe siècle, a été définitivement fermée le 15 décembre 2000

 

 

L'Express du 06/12/2004

Tchernobyl
La catastrophe à petit feu

Dix-huit ans après, les matériaux radioactifs continuent de chauffer sous la carcasse branlante qui recouvre le réacteur. En attendant la construction d'un deuxième sarcophage... Pour la santé des habitants des zones contaminées, en Ukraine et en Biélorussie, le plus grand accident de l'histoire du nucléaire n'est toujours pas terminé

Rien ne bouge. Rien que le vent qui glisse en silence entre les feuilles dorées, qui caresse les toits de bois des hameaux vides. Il fait beau, cet automne, en Ukraine, du côté de Tchernobyl, à 80 kilomètres de la «révolution orange» qui agite Kiev. Tout est normal. Rien ne l'est. La mort, ici, ne se voit pas. Elle rampe dans la peinture pâle des volets qui s'émiettent. Pousse en buissons vigoureux, en champignons ventripotents. Imprègne la poupée abandonnée sur le sol de la cuisine, le revers des lambeaux du papier peint moisi, derrière le poêle à bois éteint depuis longtemps. Depuis un certain printemps de 1986, un jour où le soleil brillait aussi. Quelques heures plus tôt, le 26 avril 1986, le réacteur n° 4 de la centrale nucléaire voisine avait explosé, engendrant la plus grande catastrophe de toute l'histoire de l'atome civil et faisant au passage 31 morts - «bilan» officiel qui ferait sourire s'il n'était à pleurer.

«Il reste 50 à 80 tonnes de lave, 3 000 mètres cubes d'eau contaminée et des tonnes de poussière»

Bâtie à la hâte, la carcasse d'acier qui abrite le magma à peine tiédi menace ruine un peu plus chaque jour. On l'appelle «sarcophage», mais ce qu'il cuirasse est encore vivant. Le 15 novembre 2004, les entreprises candidates à la construction de la structure qui coiffera ce Meccano fulminant ont déposé leurs dossiers en réponse à l'appel d'offres lancé par la Berd (Banque européenne pour la reconstruction et le développement). En attendant, des travaux de consolidation commenceront début 2005. Mais comment guérir les gens qui vivent depuis près de vingt ans aux abords du no man's land que les autorités nomment la «zone d'exclusion», au coeur des territoires contaminés par les fumées mortifères de l'incendie? (voir: "Tchernobyl, un alibi en béton", un documentaire de 58mn en Realvideo 19Kb)

En russe, tchernobyl signifie absinthe. Elle pousse partout, la plante de l'oubli, l'herbe qui rend aveugle. «Avant», la centrale nucléaire exemplaire, inaugurée en 1977, portait le très honorifique nom de Lénine. Son buste n'a pas été déboulonné: le père de la révolution bolchevique trône toujours au pied des bâtiments administratifs de la centrale. Les gens de Pripiat, la ville modèle qui dressait ses immeubles ultramodernes, ses équipements sportifs et culturels tout neufs à moins de 10 kilomètres des réacteurs, se souviennent de n'avoir pas compris tout de suite que la radio parlait d'eux, ce printemps-là. Certains se sont même mariés, le samedi 27 avril. Au musée Tchernobyl de Kiev, le film de la noce donne froid dans le dos: les flashs blafards qui parcourent la pellicule trahissent la radioactivité qui régnait ce jour-là. Dix-huit ans après, traverser la zone d'exclusion signifie se soumettre à trois barrages de contrôle, montrer inlassablement ses papiers, ses autorisations. Il y a quelques années, on devait changer de vêtements et passer ses chaussures au compteur.

Dans un rayon de 30 kilomètres - un territoire plus vaste que le Luxembourg - 135 000 habitants ont été évacués dès les premiers jours; 76 villes et villages rayés de la carte de part et d'autre de la frontière ukraino-biélorusse. Pripiat n'est plus qu'une cité fantôme vidée de ses 50 000 âmes, où les peupliers percent le béton pour grandir dans une anarchie d'apocalypse. L'Apocalypse selon saint Jean qui, pour les Ukrainiens, raconte si bien ce qui s'est passé ici. Aucun enfant n'aura jamais pris place à bord de la grande roue de la fête foraine qui devait être inaugurée le 1er mai 1986. Les autos tamponneuses rouillent, les manèges grincent dans le silence épais. Aux alentours, une poignée de vieilles gens, peut-être 300, sont revenues finir leurs jours chez elles, malgré le danger. Chaque semaine, on leur livre un peu de pain, et elles mangent les produits de leur jardin... On dit aussi que le no man's land abrite des fuyards, des clandestins, des délinquants recherchés. On ne peut guère rêver meilleure planque que ces vastes territoires désertés.
Pour entrer dans la centrale, on doit se glisser en sandwich dans des engins de mesure de la radioactivité, porter sur soi le dosimètre qui comptabilise les rayonnements encaissés. Aux abords du sarcophage, l'appareil se réveille. «Ça crache», comme on dit dans le jargon nucléaire. Employée à la centrale, Ioulia Marusich obéit aux mêmes consignes que ses 3 700 collègues travaillant sur le site: quinze jours de travail, quinze jours chez soi, et une surveillance médicale régulière. Dans l'enceinte de la centrale, c'est un peu comme si rien n'était jamais arrivé. La cantine et ses fourneaux précambriens datent de bien avant la catastrophe. Mais, bien qu'âgé d'à peine trois décennies, tout fleure bon les années 1950.

Une forteresse de 20 000 tonnes

La mine un peu blasée, Ioulia récite la sinistre comptabilité du drame, provoqué par une expérimentation mal maîtrisée qui a emballé le réacteur: «Pendant l'incendie, la chaleur est montée jusqu'à 1 000 °C à l'intérieur du réacteur, explique-t-elle. Il y règne toujours une activité de 20 millions de curies. On prend quotidiennement la température des débris. Actuellement, il fait 36 °C à proximité des matériaux radioactifs.» Dehors, on frissonne dans la brise d'octobre. «Le coeur du réacteur a fondu verticalement, et la plus grosse partie s'est figée en forme de pied d'éléphant», décrit Véronique Lhomme, ingénieur en chef du projet sarcophage à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Depuis 1996, avec leurs homologues allemands, des ingénieurs français dressent l'état des lieux de Tchernobyl, afin de constituer une base de données fiable en vue des grands travaux à venir. «On a ainsi pu déterminer une durée d'exposition maximale selon les zones, pour que les ouvriers puissent travailler dans les meilleures conditions possible de sécurité, explique Véronique Lhomme. En lieu et place des 190 tonnes de combustibles, il reste 50 à 80 tonnes de lave, 3 000 mètres cubes d'eau contaminée et des tonnes de poussière.» Le mélange de gravats, de sable et d'eau, provenant pour partie de l'extinction de l'incendie, s'avère loin d'être stable: «Ce sont des matériaux en transformation permanente, précise froidement Ioulia Marusich. Une réaction en chaîne est toujours possible.» D'autant plus que l'eau de pluie ruisselle à travers les plaques d'acier mal jointées du toit, accomplissant inexorablement l'uvre de destruction du bunker déglingué. A l'époque, on avait eu recours à des grues pour assembler, de loin, les tôles arrimées à la va-vite. Trop dangereux pour s'approcher. Aujourd'hui, les fissures de l'édifice poreux laissent filtrer des poussières redoutables.

Il aura fallu attendre le 15 décembre 2000 pour que l'Ukraine accepte d'éteindre le dernier des trois autres réacteurs de type RBMK de la centrale, en échange d'une aide occidentale de 2,5 milliards de dollars. Jusqu'alors, même le réacteur n° 3, adossé à son jumeau détruit, fonctionnait normalement. Pourtant, les grandes manuvres ne font que commencer: il faut maintenant démanteler ce Lego toxique. La Berd et le programme Tacis d'assistance technique de la Commission européenne aux pays de l'ex-URSS financent pour une bonne part les installations: une unité d'entreposage des combustibles usés des trois réacteurs indemnes, une autre destinée à traiter les 25 000 mètres cubes d'effluents liquides contaminés, et un site de stockage des déchets solides. En parallèle commencent, ces jours-ci, les travaux de consolidation du sarcophage effectués par un consortium ukraino-russe.

A 200 mètres de là, des bulldozers s'activent. Il s'agit de raboter, pour les sécuriser, les terrains où sera installé le chantier de l'Arche, autrement dit le sarcophage du sarcophage. Une forteresse de 20 000 tonnes, 150 mètres de largeur, 257 mètres de longueur et 108 mètres de hauteur, la plus grande architecture mobile jamais bâtie: pour limiter l'exposition des ouvriers à la radioactivité, elle sera assemblée à distance, puis on la fera coulisser sur des rails. Un système de monitoring sismique et de contrôle des matières radioactives compléteront le dispositif. Montant estimé de la facture globale: 1,1 milliard de dollars. En 1995, les Etats membres du G 7 s'étaient engagés à financer les travaux à hauteur de 720 millions de dollars, soit l'estimation du prix de la sécurisation du sarcophage à l'époque, en échange de la fermeture de la centrale. Les 380 millions de dollars supplémentaires - inflation oblige - manquent toujours à l'appel. Les travaux devraient débuter en 2007, si tout va bien. Et s'achèveront en 2010, si tout va très bien. L'opération mettra le monde à l'abri du réacteur n° 4 pour un siècle. Mais qui se souviendra alors de ce qui se cache sous ce blindage?

Tchernobyl, l'absinthe, l'oubli: l'amnésie guette, aussi insidieuse que les radiations. Le césium 137 se dégrade au rythme de 2% par an, moins vite que la mémoire. On ne sait déjà plus très bien où sont enterrés les déchets hâtivement enfouis après l'explosion. La terre qu'on a profondément raclée dans un rayon de 10 kilomètres autour de la centrale, les villages qu'on a dû démonter puis ensevelir, les objets, téléviseurs, meubles, véhicules tellement contaminés qu'il a fallu les enterrer dans des fosses. Et même un bois entier, la «forêt rousse», ainsi nommée parce que l'haleine brûlante de l'incendie en avait torréfié le feuillage.

«Réserve radiologique naturelle»

Où sont-elles, ces centaines de tranchées - au moins 800 - qu'on appelle les «tombes» en langage tchernobylien? «Du côté ukrainien, on n'en connaît que la moitié, estime Gérard Deville-Cavelin, ingénieur et chercheur en radioécologie à l'IRSN, qui a identifié leur emplacement. La transmission orale des lieux est en train de disparaître.» Pour en établir une cartographie et prendre des mesures de radioprotection, il a fallu survoler toute la zone en hélicoptère avec des détecteurs gamma, scruter la campagne pour déceler les petits tumulus qui trahissent la présence des fosses, promener des «poêles à frire» dans les zones suspectes. Un travail de fourmi, gêné par le «bruit de fond» généré en surface par la présence de particules chaudes.

La radioactivité migre dans les sols, s'enfonce chaque année un peu plus, contamine les nappes phréatiques. Dans la zone d'exclusion, mais aussi aux abords. Les frontières sont ténues, et la contamination s'est déposée en «taches de léopard»: si «seulement» 5% du territoire ukrainien ont été touchés, la Biélorussie a, elle, été contaminée à 23% - la faute au sens du vent qui a dirigé le nuage vers le nord. Une petite route tient lieu de bornage entre zone habitable et secteur évacué. Délimitation arbitraire et illusoire, surtout pour ce village dont une seule maison se trouvait du «bon» côté de la chaussée, et dont les habitants ont dû tempêter pour être relogés comme les autres. Un peu plus loin, quelques boîtes aux lettres indiquent qu'autrefois un village existait là: contaminé, on a dû le raser.

«Autrefois, on venait ici de Minsk, en villégiature ou en colonie de vacances, se lamente Ludmila, la directrice de l'école du bourg de Komarin. C'était la plus belle région du pays, avec ses rivières et ses lacs.» La «Biélorussie aux yeux bleus» et ses paysages dignes de Tourgueniev ne sont plus aujourd'hui qu'un territoire sinistré, et la moitié du district appartient désormais à la «réserve radiologique naturelle» - douce et ironique dénomination de la zone d'exclusion, de ce côté-ci de la frontière.

Il n'empêche, le coin est toujours aussi charmant, peut-être même encore plus depuis que l'homme ne s'y aventure guère plus. On y croise des animaux à foison, de rares perdrix et cigognes noires, des sangliers, des élans, des chevaux de Prjevalski et des bisons réintroduits d'autres coins du pays, des lynx et même des loups en pagaille, qui vont et viennent sans entraves hors des limites de la réserve. «Les loups nous posent un vrai problème: en 2003, une dizaine de personnes ont été attaquées par des animaux enragés, et ils causent de gros dégâts au bétail, explique le garde de la réserve pour le district, Mikhaïl Rubachenko.
Pour juguler les populations, nous organisons une soixantaine de chasses par an dans l'enceinte de la zone contaminée.» Des chasses en hélicoptère, payantes, qui attirent des chasseurs fortunés amateurs de sensations fortes. Il leur en coûte 300 euros de participation, plus 120 euros pour conserver la dépouille en cas de prise. Cette année, trois Français sont venus tirer du loup de Tchernobyl...

Autrefois prospère, le district de Bragin est aujourd'hui sinistré. De 38 560 en 1986, on est passé à 16 900 habitants. Les riches kolkhozes, qui approvisionnaient tout le pays, sont un souvenir lointain. Beaucoup d'entre eux ont disparu, et ceux qui restent écoulent leur production tant bien que mal. Car, pour continuer à cultiver, il a fallu prendre de drastiques contre-mesures radiologiques: les sols sont amendés avec des engrais spéciaux pour faire baisser leur radioactivité, les légumes, sélectionnés en fonction de leur capacité à absorber ou pas les radionucléides du sol, le bétail est passé au bleu de Prusse... Des méthodes efficaces mais onéreuses. Difficile d'écouler sur le marché des produits de Tchernobyl, surtout s'ils sont plus chers que les autres.

Bilan officiel: 31 morts
(... Mais depuis 1986 sont décédés plus de 25.000 "liquidateurs", ces militaires et civils venus d'Ukraine, de Russie, du Bélarus et d'autres pays faisant alors partie de l'URSS... Quelques 2,3 millions d'Ukrainiens, dont 450.000 enfants, souffrent de maux liés aux radiations, parmi lesquels un nombre important de cancers de la thyroïde, selon le ministère ukrainien de la Santé. [Texte de la commémoration de la catastrophe de Tchernobyl, Ambassade d'Ukraine à Bruxelles le 26/04/2004]. Le bilan final de la catastrophe oscillera entre 40 000 et 560 000 morts, voir davantage, selon les estimations.)

Quant aux habitants de la région, majoritairement des paysans qui cultivent leur propre lopin pour se nourrir, ils n'ont pas les moyens de mettre en uvre ces méthodes. Quand ils en connaissent l'existence. Pis: la plupart d'entre eux, selon une tradition en usage depuis des siècles, se régalent de baies sauvages, de champignons, de gibier, appoint vital de leur maigre revenu. Des denrées particulièrement chargées en radionucléides. «On a le choix: mourir de la radioactivité ou mourir de faim, ironise Svetlana, ingénieur forestier à Komarin. Que voulez-vous qu'on fasse?»

A Krasnoe, Tatiana et Piotr Kotlabay, l'infirmière-chef du petit dispensaire et son époux dosimétriste, font ce qu'ils peuvent pour inculquer un semblant de «culture radiologique» aux habitants. Ce matin d'octobre, on leur a apporté de magnifiques cèpes dont la teneur en césium 137 est dix fois supérieure à la norme admissible. «Nous proposons aux gens de les jeter, mais c'est très difficile pour eux, explique Tatiana. Alors on leur explique comment traiter les produits pour faire baisser la radioactivité. Par exemple, en faisant tremper la viande dans de l'eau salée, puis en la faisant bouillir deux fois dans des eaux différentes avant de la mettre dans la soupe.» L'infirmière raconte le cas d'une famille dont les deux enfants présentaient des résultats anthropogammamétriques très élevés: il s'est avéré que leur père, chasseur, avait tué un sanglier contaminé cet hiver-là. La famille s'était régalée tout l'hiver de viande irradiée...

«Parce qu'elles complètent leur alimentation avec des produits de leur cueillette et de leur chasse, les familles les plus pauvres sont aussi les plus exposées», déplore Catherine Luccioni, médecin français responsable d'un programme Core (Coopération pour la réhabilitation, dont sont partie prenante notamment les Nations unies et la Commission européenne) dans le district de Chechersk. Chaque année, les 450 000 enfants des zones contaminées (1,5 million de Biélorusses au total) sont envoyés faire une cure de quatre semaines dans l'un des sept centres de santé créés spécialement à cet effet. Là, on les soumet à une batterie d'examens.

Quid des résultats? Les enquêtes épidémiologiques laissent songeur: sur la période 1990-1998, 1 800 cas de cancer de la thyroïde ont été dénombrés chez des personnes qui avaient moins de 18 ans en 1986. Rien de probant concernant les autres pathologies cancéreuses, les leucémies, les malformations, si l'on en croit les médecins. Pour avoir affirmé le contraire, le Pr youri Bandajevski a été condamné, en 2001, à huit ans de prison. Après trois années de détention, le savant biélorusse est désormais en résidence surveillée. Son crime? Affirmer depuis des années que l'exposition au césium provoque non seulement des cancers, mais également des lésions cardiaques, des atteintes au foie, aux reins, aux systèmes immunitaire et endocrinien. Des 600 000 «liquidateurs», médecins, pompiers, mineurs, soldats intervenus dans les premiers mois de la catastrophe, on ne sait pas grand-chose. Pas plus qu'on ne connaît le sort des habitants de Pripiat et des villages voisins. Tchernobyl aura fait 31 morts: circulez, il n'y a plus rien à voir.

Marion Festraëts

 

 


Démantèlement de Tchernobyl: une opération délicate étalée sur des décennies

PARIS, 7 déc 2000 - Le démantèlement de la centrale de Tchernobyl, à l'origine de la plus grande catastrophe de l'histoire du nucléaire civil, est un processus long, coûteux et délicat qui s'étalera sur plusieurs décennies, ont souligné jeudi des experts français.
Pour éviter toute nouvelle contamination, la mise à l'arrêt définitif de la centrale, qui doit intervenir le 15 décembre, va se faire selon un scénario complexe, grâce à une importante aide occidentale.

L'accord signé en 1995 entre l'Ukraine et les pays du G7 a chiffré l'ardoise de la mise à l'arrêt et de la sécurisation à 2,3 milliards de dollars, dont 1,4 milliard a déjà été investi à ce jour par les pays occidentaux et les organismes internationaux, ont rappelé au cours d'une conférence de presse les experts de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN, France), qui participe sur place avec d'autres organismes européens aux évaluations de sûreté.

Problème numéro un pour les experts nucléaires: sécuriser le "sarcophage", une structure de béton construite à la hâte au-dessus du réacteur accidenté en 1986 et intégrant tout ce qui traînait sur place. Une très grande partie des 190 tonnes du combustible du réacteur s'y trouvent toujours.

Le but de cette structure était d'empêcher que la radioactivité se disperse, d'éviter que l'eau de pluie pénètre et de permettre la poursuite de l'exploitation de deux réacteurs voisins. "C'est une structure à la fois simple et efficace, depuis seize ans ça tient, mais personne ne sait si ça peut tenir longtemps", a souligné Xavier Conte, expert de l'IPSN.

Effondrement

Les experts craignent surtout l'effondrement du sarcophage, qui provoquerait un nuage de poussières radioactives exposant gravement le personnel du site. Les experts n'excluent pas non plus totalement, même s'ils le considèrent comme hautement improbable, le risque de criticité, c'est-à-dire le redémarrage spontané d'une réaction en chaîne dans le combustible fondu.

Des travaux de renforcement de cette structure ont déjà été réalisés, mais seuls les plus urgents ont été menés à terme. Un projet baptisé SIP (Shelter Implementation Plan) a été lancé en 1998 pour huit ans, pour un montant actuel de 760 millions de dollars, dont 50 millions du gouvernement ukrainien. "Le principe d'un second sarcophage a été décidé, mais on ne sait pas encore comment il sera réalisé", selon l'expert français.

Les spécialistes tentent également de réunir un maximum de données fiables sur ce qui a été construit dans l'urgence, pour pouvoir travailler le plus possible par la suite sur des modèles informatiques.

D'autres chantiers destinés à sécuriser la centrale après qu'elle ait produit ses derniers kilowatt/heures sont également prévus. La construction d'une nouvelle installation d'entreposage de combustibles irradiés a démarré en juin et doit être opérationnelle en 2003. Constituée de 256 "casemates" en béton, la structure pourra abriter l'ensemble des combustibles nucléaires ayant servi dans la centrale, et qui se trouvent encore dans les réacteurs ou refroidissent en piscine. Le coût de ce projet est de 80 millions d'euros.

Une installation de traitement des effluents liquides, essentiellement les eaux contaminées utilisées par exemple pour le refroidissement des réacteurs, est également en construction.

Prévu pour 2002, cet atelier transformera les eaux contaminées, actuellement stockées dans des cuves, en colis de déchets solides. Le montant de ce projet est de 25 millions d'euros.

 

Tchernobyl ferme ses portes mais la menace persiste

KIEV, 12 déc 2000 - La centrale ukrainienne de Tchernobyl, théâtre du plus grave accident nucléaire de tous les temps, fermera ses portes vendredi sous les applaudissements de la communauté internationale mais restera une menace pendant encore des décennies.
Des délégations d'une dizaine de pays -- notamment des Etats-Unis, d'Allemagne, de Russie et du Japon -- assisteront à la mise à mort du monstre nucléaire dont l'explosion du quatrième réacteur en avril 1986 avait contaminé les trois-quarts de l'Europe et frappé des millions de personnes.

Près de 15 ans plus tard, seul le troisième réacteur est encore opérationnel -- sur les quatre tranches d'origine. De conception soviétique ancienne, il est au bout du rouleau et des pannes le paralysent régulièrement.

En 1999, des dizaines de fissures avaient été découvertes dans son circuit de refroidissement, poussant l'Occident à exiger sa fermeture.

Le réacteur numéro deux a été arrêté en 1991 à la suite d'un incendie et le numéro un a été mis hors service en 1996 dans le cadre d'un accord international.

Tchernobyl fait d'autant plus peur que ses réacteurs, de type RBMK (Reaktor Bolchoï Mochnosti Kanalny -- réacteur de grande puissance à tubes de force), sont considérés comme peu fiables.

Des vices de conception les rendent notamment instables à faible puissance. En outre, ils sont dépourvus d'enceinte de confinement capable de contenir la radioactivité dans le cas d'une forte explosion. (En France, l'enceinte est censée résister à une explosion, mais après Tchernobyl une soupape de sécurité appelée " filtre à sable " a commencé à être installée preuve que la résistance de l'enceinte n'est pas suffisante en cas d'explosion violente)

Après des années de tergiversations, l'arrêt définitif de la centrale maudite représente donc une victoire indiscutable pour la sécurité nucléaire de l'Europe.

La note en est cependant élevée. Kiev n'a accepté de condamner l'installation nucléaire qu'en échange d'une aide des sept pays les plus industrialisés (G7) de 2,3 milliards de dollars.

Ces fonds serviront essentiellement à construire en Ukraine deux nouveaux réacteurs visant à remplacer la production de Tchernobyl, à financer des programmes sociaux et à accroître la sécurité dans les quatre autres centrales du pays (Rivne, Khmelnitsky, Pivdenno Ukrainska et Zaporijia).

Mais cette victoire n'est que partielle. La menace persistera pendant encore des décennies car trop de questions restent en suspens. (La menace persiste à cause des dangers du nucléaire, pas à cause de questions !)

Le problème le plus alarmant est le délabrement accéléré de la chape de béton -- baptisée sarcophage -- qui recouvre les ruines du quatrième réacteur. Cette structure -- montée à la va-vite entre mai et novembre 1986 dans des conditions hasardeuses -- est aujourd'hui fissurée et menacerait de s'écrouler, exposant alors un magma radioactif de 160 tonnes à l'air libre.

Son renforcement est une opération délicate qui prendra au moins dix ans. Grâce à des dons internationaux, les 760 millions de dollars nécessaires ont été presque entièrement réunis et les travaux viennent d'être lancés.

Les experts n'excluent pas non plus la possibilité d'une réaction nucléaire au sein du combustible fondu qui couve sous le sarcophage dans une atmosphère saturée d'humidité. Ce serait alors l'explosion. Un Tchernobyl bis aux conséquences imprévisibles.

Ces dernières années, les émissions de neutrons et de rayons gamma s'étaient d'ailleurs inexplicablement emballées à deux reprises. Puis tout était rentré dans l'ordre.

Enfin, les déchets, accumulés au fond du quatrième réacteur, pénètrent lentement les sols, menaçant (contaminant) rivières et fleuves environnants qui, en aval, alimentent en eau potable des millions de personnes.

Pourtant, l'extraction et le stockage en lieu sûr du magma nucléaire ne sont toujours pas d'actualité. L'opération est jugée trop difficile, trop dangereuse et surtout trop coûteuse.