[photo et schéma rajoutés par Infonucléaire]

Le Figaro, 18/08/2004:

Un physicien inventif mais contesté

Carlo Rubbia n'en est pas à sa première invention géniale dans le domaine de l'énergie. Le Prix Nobel de physique 1984 s'est déjà distingué dans les années 90 avec son projet de «Rubbiatron», comme on l'a surnommé. Présenté en 1993, alors qu'il était encore directeur général du Centre européen de la recherche nucléaire (Cern), il s'agit d'une nouvelle filière nucléaire reposant sur un réacteur hybride associant un accélérateur de particules et un coeur nucléaire au thorium refroidi par du plomb en fusion en lieu et place de l'uranium et de l'eau dans les réacteurs classiques.

Un de ses avantages est, selon son inventeur, d'éliminer les déchets nucléaires (lire: La science-fiction appliquée au déchets). Ce procédé révolutionnaire doit également permettre un meilleur contrôle des réactions de fission, en utilisant un élément fissile non pas à base d'uranium mais de thorium, abondant dans la croûte terrestre. Contrairement à une centrale classique, l'idée est qu'on peut arrêter la réaction nucléaire spontanément en coupant simplement le cyclotron. Dans les centrales actuelles, il se produit ce qu'on appelle une réaction en chaîne, c'est-à-dire que la réaction est dif ficile à contrôler. La centrale de Rubbia offre, elle, une garantie de sécurité supplémentaire.

Sur le papier, le projet est fort séduisant. Il a d'ailleurs reçu un accueil enthousiaste. Grâce à sa force de conviction et son charisme, Carlo Rubbia a convaincu des scientifiques de renom comme Georges Charpak, Prix Nobel de physique 1992 (lire: Georges Charpak un pronucléaire virulant et intéressé et Le syndrome du Prix Nobel, disserter sur tout). Mais il a aussi rencontré sur son chemin nombre d'opposants, sceptiques à l'égard de son projet. Car si le cyclotron permet effectivement de couper la réaction nucléaire, il n'empêche pas, selon certains d'entre eux, de devoir maintenir le refroidissement du réacteur. Le risque d'explosion existe donc toujours à leurs yeux.

La deuxième faille mise en avant par ses contradicteurs concerne le confinement. L'accélérateur de particules devant être placé à l'extérieur, il faut une ouverture dans l'enceinte de confinement qui laisse passer le faisceau de particules produites par l'accélérateur, sans pour autant brûler la fenêtre. Or, l'expérience Lisor menée au Paul Scherrer Institut (PSI) de Zurich en 2002 a montré qu'après 36 heures d'irradiation à pleine puissance, la fenêtre a été percée.

«Ce système, s'il présente certains avantages sur des points précis, n'apporte pas d'avantages décisifs par rapport aux réacteurs actuels. Surtout, il est par nature plus compliqué», conclut André Gsponer, physicien du Centre universitaire d'étude des problèmes de l'énergie (Cuepe) de Genève.

Une audition des adversaires et partisans de projet a été organisée par l'Office parlementaire pour l'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) en 1995, sous la présidence du député Claude Birraux. Un représentant de la Cogema avait alors affirmé que «même si l'idée est bonne ­ ce qui reste à démontrer ­ elle ne sera pas opérationnelle avant trente ans». Il ne faut en tout état de cause pas perdre de vue que de nombreux intérêts sont en jeu. Si Carlo Rubbia est venu insuffler un vent nouveau à la communauté nucléaire, il apparaît en même temps comme une menace pour certains projets concurrents. Le projet de prototype, un temps en visagé en Espagne, à la fin des années 90, a été abandonné. Le physicien italien poursuit ses recherches pour améliorer un projet auquel il croit toujours.

Caroline de Malet