La Nouvelle République, 16/10/2008: 

Rejets du nucléaire: on sollicite votre avis

La centrale de Civaux ne produit-elle que de la vapeur d'eau ? Non. Une enquête publique relate actuellement l'étendue des rejets radioactifs ou non.

Depuis la mise en exploitation de la centrale, c'est la première fois qu'une enquête publique est lancée. Et, sauf décision inattendue du législateur, il se pourrait aussi que ce soit la dernière puisque les rejets sont accordés jusqu'au dernier souffle (radioactif) de la centrale (40 ou 50 ans). Jusqu'au 13 novembre, pas moins de vingt-sept communes sont concernés dans la Vienne et l'Indre-et-Loire. Trois gros classeurs, des milliers de pages, de graphiques... l'enquête publique sur le renouvellement des autorisations de prise d'eau, de rejets liquides et gazeux (radioactifs et non radioactifs) du Centre nucléaire de production d'électricité de Civaux (CNPE) est à la mesure de l'installation. La Nouvelle république s'est plongée dans ce dossier.

Pourquoi cette enquête ? Parce que deux arrêtés préfectoraux pris en 1991 et 1995 autorisant les rejets liquides non radioactifs et la prise d'eau dans la Vienne arrivent à expiration en août 2009.

Quel est le besoin en eau ? Enorme. Pour refroidir les réacteurs grâce aux aéroréfrigérants, une centrale comme Civaux a consommé de 2000 à 2006, quelque 107 millions de m3 d'eau prélevés dans la Vienne (1) mais aussi dans le réseau communal de Fontjoin et Lussac.

Quelle est l'origine des rejets radioactifs liquides et gazeux ? La réaction de fission nucléaire produit des corps radioactifs et l'eau du circuit primaire contient aussi du bore et du lithium pour contrôler cette réaction.

Quels sont les effluents gazeux rejetés et leurs niveaux de radioactivité ? Il y a des gaz rares comme le xénon 133 et 135, du krypton 85, de l'argon 41, du carbone 14, de l'iode 131 et 133 et des aérosols comme le cobalt 58 et 60, le césium 134 et 137. Les limites annuelles de rejets sont de 1.400 GBq (2) par an pour le carbone 14, 6.000 pour le tritium (3), 45.000 pour les gaz rares et 0,8 pour les iodes.

Et les rejets liquides ? La centrale rejette chaque année 70 tonnes d'acide borique, 14 kilos de lithine, 150 kilos d'hydrazine, plus d'une tonne d'azote, 800 kilos de phosphore, 3 tonnes de détergents (4).

Quelle est l'incidence sur la population ? D'après EDF qui a mis en place ses propres modes de calculs (5), « l'impact sanitaire des rejets radioactifs n'est pas directement mesurable ». Pour l'entreprise, la radioactivité étant omniprésente (examens médicaux, rayonnement solaire, radon...), les centrales nucléaires ne sont responsables qu'à hauteur de 0,01 % d'une improbable contamination [non la contamination est certaine, voir les rejets radioactifs liquides et gazeux ci-dessus!].

 

(1) Ce que la centrale avale n'est pas rendu à l'identique : sur cette même période, 68,2 millions de m3 ont été rendus à la rivière et 38,8 millions de m3 ont été évaporés.
(2) Symbole du gigabecquerel, unité de mesure d'activité radiologique, valant 10 puissance 9 becquerels.
(3) Le tritium, formé par la fission du combustible, présent dans les réservoirs et piscines du réacteur, est acheminé par la ventilation et rejeté de manière continue sous forme de vapeur d'eau.
(4) Liste non exhaustive.
(5) "EDF Mirrage" pour les rejets gazeux et "Bliqid" pour les rejets liquides.

 

Energie "propre" ?

Autant le dire tout de suite : la lecture d'une enquête publique sur le nucléaire ne donne pas vraiment la sensation d'être en face d'une énergie « propre ». En dehors du fait que la question du recyclage des déchets radioactifs n'est toujours pas résolue, la NR a été surprise de découvrir l'impressionnant inventaire à la Prévert des rejets radioactifs. Et puis il y a cette demande d'augmentation des rejets de tritium (de 80.000 à 90.000 Gbq par an).
« Comme le tritium est directement proportionnel à l'énergie produite, on en rejettera plus », indique-t-on chez EDF. Quant à l'impact sanitaire des rejets calculée par une entreprise qui devient ainsi juge et partie, EDF admet « que la logique voudrait que ce soit l'ASN qui propose ces modes de calcul mais dans certains domaines, il n'y a pas de science exacte ». La science exacte se borne en effet à rappeler que le plutonium 239 est radioactif pendant 24.100 ans et l'uranium 238 pendant plus de quatre milliards d'années. C'est propre, net et précis...

 

"Sortir du nucléaire" : "On se moque du monde"

Stéphane Lhomme, porte-parole du Réseau « Sortir du nucléaire » (834 associations membres) n'envisage pas une seule seconde que cette enquête publique permette aux opposants à l'énergie nucléaire de se réconcilier avec l'atome. « Le problème est que tout est légal : les rejets radioactifs dans l'air et dans l'eau, l'utilisation de quantités astronomiques de produits chlorés très problématiques pour l'environnement sans oublier les productions d'amibes et de légionelles. Dans tous les cas, les centrales nucléaires de France déclarent ce qu'elles veulent. Car en plus des rejets "légaux", il y a très régulièrement des rejets supplémentaires au-delà des limites fixées. On se moque du monde ! Tout le discours officiel sur "on pollue de moins en moins" est faux. »