Uranium/RDC: l'opposition katangaise opposée à l'exclusivité de la France

15/4/2009 - Neuf partis d'opposition de la province du Katanga dans le sud de la République démocratique du Congo ont émis mercredi de "sérieuses réserves" sur "l'exclusivité d'exploitation" par la France de l'uranium congolais, dans une déclaration dont l'AFP a reçu copie à Kinshasa.

"L'opposition politique au Katanga émet de sérieuses réserves" sur "l'exclusivité de l'exploitation de l'uranium de la RDC par la seule France", écrivent ces partis dont le Mouvement de libération du Congo (MLC), principale formation d'opposition représentée au Parlement national.

En marge de la visite-éclair, le 26 mars, du président français Nicolas Sarkozy à Kinshasa, la présidente du groupe nucléaire Areva, Anne Lauvergeon, avait signé avec le ministre congolais des Mines, Martin Kabwelulu, un accord portant sur la recherche et l'exploitation de futures mines d'uranium sur tout le territoire de l'ancien Zaïre. Cet accord vise à recenser l'ensemble des relevés géologiques existants et à les compiler pour définir les zones prometteuses et lancer des campagnes d'exploration.

Les signataires de la déclaration "encouragent l'exploitation de l'uranium comme tous les autres minerais" mais "souhaitent qu'elle soit confiée au meilleur offrant, plutôt qu'à la seule France" dans tout le pays. Ils appellent le gouvernement à "éviter un contrat qui brade une fois de plus les intérêts politiques et économiques du pays", en référence à un gros contrat signé en 2007 avec un groupement d'entreprises chinoises dans le cadre de la reconstruction de la RDC.

Ce contrat, qui prévoit notamment l'exploitation par les compagnies chinoises des minerais du sous-sol congolais, porte sur 9 milliards USD. L'ex-Zaïre abrite l'une des plus vieilles mines d'uranium au monde, à Shinkolobwe, dans le Katanga, dont les ressources avaient servi à fabriquer la bombe d'Hiroshima.

 


Le Monde 5 mai 2001:

Kinshasa, marché clandestin de substances radioactives

L'uranium est la seule richesse du sous-sol qui n'est mentionnée nulle part dans le volumineux rapport d'enquête des Nations unies sur "l'exploitation illégale des ressources naturelles" du Congo, lequel traite en détail du trafic de diamants, d'or, de cuivre, de cobalt et même de niobium. C'est d'autant plus surprenant qu'il suffit de s'attarder près des ambassades étrangères, à Kinshasa, pour être abordé en vue de l'achat d'une gemme, d'une poudre précieuse ou d'un "casque" d'uranium.

Dans la capitale congolaise, depuis une dizaine d'années abandonnée au désordre et à la misère, tout se vend. Or l'uranium et, plus encore, les déchets nucléaires des années 1960, hautement radioactifs parce que mal retraités à l'époque, sont très demandés. A des points de vente connus en ville, ou dans les discrets bureaux de compagnies minières, ces substances dangereuses sont des marchandises courantes.

Des "échantillons" proviennent du Centre de recherches et d'expérimentation nucléaire de Kinshasa (Crenka), où les Etats-Unis avaient installé, sous le régime Mobutu, dès la fin des années 1960, deux réacteurs expérimentaux. L'un d'eux est arrêté et, selon un ingénieur congolais, "fuit". L'autre est toujours opérationnel. Cependant, déjà du temps du maréchal-président, Washington s'était proposé de démonter à ses frais ces installations. Mais le président Mobutu aurait fait monter les enchères, selon l'un de ses anciens conseillers.

Les Etats-Unis seraient revenus à la charge auprès de son successeur, Laurent-Désiré Kabila, arrivé au pouvoir c avec le soutien américain c en mai 1997. Or, refusant l'offre, le "tombeur de Mobutu" aurait, lui aussi, tenté de monnayer son accord. Selon une source dans son entourage, il aurait même fait évaluer la valeur marchande des aiguilles radioactives du Crenka sur le marché noir. En revanche, dès sa première venue à Washington, quinze jours seulement après l'assassinat de son père, le 16 janvier, son fils et successeur Joseph Kabila aurait accepté le principe d'un "nettoyage" du site dans les règles.
Le trafic d'uranium et, surtout, des déchets nucléaires occidentaux "entreposés" dans l'ex-Zaïre dans les années 1960 et 1970 constitue un danger infiniment plus grave. Dès la première vague de pillages déclenchée par les anciennes Forces armées zaïroises (FAZ), en 1991, la mine d'uranium de Ntenke Fungerema, dans la province méridionale du Katanga, aurait fait l'objet de vols et de détournements. On se souvient que c'est de ce gisement congolais qu'a été extraite la matière fissile ayant permis la construction des bombes américaines larguées sur Hiroshima et Nagasaki. Fermée par la suite, la mine de Ntenke Fungerema a été longtemps gardée comme une "zone de sécurité absolue", strictement interdite d'accès. Mais le délitement du régime mobutiste, à partir de 1990, a eu raison de toutes les précautions prises, selon des diplomates occidentaux en poste à Kinshasa.


FOLLES RUMEURS

Il faut le croire, à en juger par les listes de matières radioactives proposées à la vente à Kinshasa, mais aussi de l'autre côté du fleuve Congo, à Brazzaville. Il ne s'agit pas seulement de minerai d'uranium à l'état naturel. Apparemment, des déchets nucléaires stockés dans le passé au Zaïre, souvent d'origine américaine, inondent également un marché clandestin qui, au grand dam des services secrets occidentaux, attire des acheteurs en provenance de tous les "Etats voyous" intéressés par la prolifération de matières enrichies ou propres à être retraitées. Un expatrié français, d'origine corse, aurait été repéré comme intermédiaire. Une source crédible affirme même que feu le président Laurent-Désiré Kabila aurait expédié, à bord de son avion personnel, "des fûts de déchets radioactifs à Djerba", en Tunisie, où des agents du colonel Kadhafi seraient venus les récupérer. En échange, le chef de l'Etat libyen aurait contribué au financement de l'effort de guerre du régime de Kinshasa.
Le caractère illicite et clandestin de ce "trafic de déchets" ne permet pas une évaluation des risques de santé qu'encourent ceux qui s'y adonnent, du "creuseur" au vendeur en passant par le transporteur. Les rumeurs les plus folles circulent à Kinshasa au sujet de "gens auparavant bien portants" qui auraient "subitement perdu leurs cheveux" ou seraient "frappés d'impuissance". Aucune recherche sérieuse n'a été entreprise et, dans les hôpitaux délabrés d'une mégapole de 6millions d'habitants, les médecins haussent les épaules. "Dans tout ce qu'on voit ici, du sida à la malnutrition, on ne l'aurait même pas remarqué", explique l'un d'eux.

Stephen Smith

 


Le Monde 5 mai 2001:

D'un parking kinois à Paris, itinéraire d'un "casque" d'uranium "récupéré" par la DGSE

KINSHASA: C'était il y a un an, précisément le 18 mai 2000. Ce jour-là, à Kinshasa, deux Français rencontrent, dans son bureau, le PDG de la Société minière du Congo (Somico), Naluhwindja Mukuba Philémon. Puis, au terme d'un parcours complexe, préalablement étudié dans tous ses détails, les trois hommes se retrouvent dans le sous-sol d'un parking où a été amené un 4 x 4 Landcruiser chargé d'une cantine.

Les deux Français et le Congolais inspectent son contenu. Ils vérifient qu'elle abrite bien ce que l'on appelle un "casque" d'uranium, une sorte de fait-tout en plomb, à l'intérieur duquel peut être transporté l'élément radioactif. Sur le "casque" est vissé un panonceau argenté portant cette inscription : "XR 238 U, 30/10/1968, OL AMT Corps Cincinnati, Ohio-USA".

Les deux Français sont munis d'appareils photo. Après quelques prises de vue de l'objet de leur curiosité, auprès duquel ils placent un quotidien du jour pour dater l'image, ils repartent à l'hôtel. Quant au "casque" d'uranium, il quitte plus tard le Congo à bord d'un avion à destination de Paris. En France, il a été examiné par des experts qui auraient constaté qu'il ne contenait rien de très dangereux, ni de très précieux. Il s'agissait soit d'un déchet nucléaire à très faible radioactivité, soit d'une "imitation" destinée à soutirer une forte somme à un néophyte en la matière. dans la capitale congolaise, un "casque" se négocie autour de 700 000 francs.


"MISSION DÉLICATE"

L'expertise des spécialistes français n'est pas accessible au public. Car ceux-ci ont examiné l'objet rapporté en catimini du Congo-Kinshasa pour le compte de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), les services secrets français. C'est la DGSE qui a monté l'opération de récupération du "casque" d'uranium, dès lors que Xavier Houzel lui a confirmé qu'il pouvait s'en procurer un sans difficultés. Xavier Houzel est l'un des deux Français qui sont allés "au contact" pour établir la preuve de l'existence d'un trafic d'uranium à Kinshasa. L'autre est le journaliste-écrivain Pierre Péan, qui séjournait alors dans la capitale congolaise dans le cadre de son enquête sur l'attentat contre le DC-10 d'UTA, abattu en septembre 1989 au-dessus du désert du Ténéré. Fondé sur cette recherche, son dernier livre, Manipulations africaines, est paru au mois de février.

Qui est Xavier Houzel ? Comme d'autres journalistes d'investigation parisiens, Pierre Péan connaît de longue date ce négociant en pétrole, un intermédiaire bien informé, familier de l'Afrique et du monde arabe. "Je l'avais surtout fréquenté dans les années 1970, explique-t-il ; je ne l'avais pas revu depuis cinq ou six ans. Mais quand il m'a demandé, à Kinshasa, où je l'ai croisé dans le hall de l'hôtel, si je voulais bien l'accompagner dans une mission délicate, simplement pour être témoin "au cas où", j'ai accepté". C'est ainsi que le journaliste a assisté au transfert du "casque" d'uranium. Il a pris des photos mais sa pellicule, confiée à la DGSE, ne lui a jamais été restituée en France.


ÉPILOGUE SANGLANT

Egalement contacté à Paris, Xavier Houzel, contrarié à l'idée de "retrouver -son-nom dans les journaux", s'en est tenu à des explications minimales. Tout en précisant qu'il ne fait "pas partie des services", il se prévaut de contacts au plus haut niveau, et depuis fort longtemps, dans le monde du renseignement français. Préoccupé par les risques sanitaires et sécuritaires d'une prolifération sauvage de substances radioactives, il affirme avoir prévenu "nos autorités", quand l'occasion s'est présentée à lui de récupérer un "casque" auprès du PDG de la Somico. Pour le reste, il fait "confiance à notre gouvernement et à nos services qui sont au courant".

L'histoire a pourtant connu un épilogue sanglant en France. "Exfiltré" à Paris avec toute sa famille, sa femme et ses cinq enfants, Naluhwindja Philémon, le PDG congolais pourvoyeur du "casque" d'uranium, a été longuement "débriefé", pendant l'été 2000, par la DGSE. Chef traditionnel - "mwami" - originaire du Sud-Kivu, une province orientale du Congo, il avait beaucoup à apprendre aux services français, pas seulement sur le trafic d'isotopes radioactifs à Kinshasa, mais aussi sur les miliciens autochtones - les "maï-maï" - qui s'y battent contre les soldats rwandais qui ont envahi leur pays, et sur feu le président congolais Laurent-Désiré Kabila qui finançait cette "résistance populaire" en passant, entre autres, par le PDG de la Somico.

Ensuite, la trace de cet homme, qui avait troqué un "casque" contre un visa et des billets d'avion, se perd. Jusqu'au soir du 28 décembre, lorsque son corps à moitié calciné est extrait par des policiers d'un véhicule en flammes dans la banlieue lyonnaise. Tout comme le conducteur de la voiture, Aimé Atenbina, un capitaine de l'ancienne garde présidentielle du maréchal Mobutu, le mwami trafiquant d'uranium a été exécuté de deux balles dans la nuque.

Stephen Smith