Agora Vox, 3/2/2012:

Nucléaire, explosion des prix !

A la lumière du rapport de la Cour des Comptes qui vient de paraître, on découvre l'étendue de la facture nucléaire, rapport encore bien éloigné de la réalité.

227,8 milliards d'euros, c'est le chiffre annoncé par la Cour des Comptes dans un rapport accablant concernant les investissements dans l'électricité nucléaire en France, ajoutant qu'il reste de grosses zones d'incertitude.

Les dépenses passées se montent à 188 milliards d'euros, 121 milliards c'est le cout du parc actuel des 58 réacteurs, 12 milliards c'est ce qu'a coûté « Superphénix  », 19 milliards, c'est le coût du cycle du combustible, et 55 milliards correspondent aux investissements en matière de recherche et de développement sauf que pour « 
super » phénix, il manque une donnée essentielle, le cout du démantèlement.

Rappelons que cette installation qui se voulait révolutionnaire n'a fonctionné que 176 jours en dix ans et qu'elle est en cours de démantèlement.

Sa construction a coûté 12 milliards d'euros, et sa déconstruction, estimée à l'époque à 900 millions d'euros, coutera en fin de compte entre 9 et 18 milliards d'euros, comme l'avait écrit Isabelle Barré dans un article récent du « Canard Enchaîné », soit beaucoup plus que prévu. lien


Or, constatant l'écart entre la prévision et la réalité, si on applique une simple règle de trois aux 19 centrales nucléaires françaises, leur démantèlement coutera autant que leur construction, c'est-à-dire au moins 121 milliards d'euros.

La Cour des Comptes avoue d'ailleurs avoir eu de la peine a estimer ce chiffre faute d'expérience, et s'en est tenu modestement à 31,9 milliards.


De plus, les dépenses de maintenance sont estimées de 1,7 milliard à 3,7 par an, et là aussi, avec les demandes récentes de l'ASN, on peut facilement déduire que ces chiffres sont encore très optimistes, car c'est sans compter avec l'évolution des dépenses de maintenance des installations qui va plus que doubler entre 2011 et 2025.

Les exigences de l'ASN (autorité de sûreté nucléaire) entraineront en effet au moins un surcoût de 10 milliards au delà des investissements déjà programmés.

Devant la publication de ces chiffres, Gérard Mestrallet, PDG de GDF Suez en a profité pour critiquer les tarifs pratiqués par EDF.

Le ministre de l'industrie, Eric Besson, a été d'ailleurs pris en flagrant délit de mensonge au sujet du prix de l'électricité, lors d'un débat avec Eva Joly en novembre dernier.

Ne parlons pas du stockage des déchets et de l'éventuel traitement lorsqu'une solution acceptable sera trouvée.

L'enfouissement des déchets, prévu à Bure est inacceptable, si l'on veut respecter les générations futures, puisque ces déchets seront dangereux pendant au moins 100 000 ans, et lorsqu'ils seront mis en container de béton, il parait difficile de garantir leur étanchéité si longtemps. lien


Ceux qui imagineraient envoyer les 672 000 tonnes de déchets dangereux dans l'espace devraient rapidement déchanter, car sachant qu'une fusée Ariane 5 ne peut envoyer plus de 10 tonnes en orbite, et que chaque vol coute  160 millions d'euros, l'addition des 67 000 vols se monterait à plus de 10 000 milliards d'euros.

Il faut aussi s'étonner de ne pas voir figurer dans ce rapport de la Cour des Comptes des coûts induits, relatifs à la santé.

Sachant que la moitié des cancers sont imputables à l'industrie nucléaire, et que ceux-ci coutent mensuellement entre 3000 et 6000 euros, soit pour la totalité des dépenses liées au cancer un cout annuel de 30 milliards d'euros en France, pour quelles raisons n'en tiendrions-nous pas compte dans le prix du nucléaire ?
[mais non, tout faux, en France le risque de leucémie n'augmente pas près des centrales, les nuages radioactifs s'arrêtent aux frontières, à La Hague tout va bien, etc.]

En conclusion, le rapport de la Cour des Comptes, même s'il est déjà inquiétant, reste donc assez éloigné de la réalité, vu la faible estimation du démantèlement et de la maintenance, sans oublier les conséquences en matière de santé, (leucémie et cancers), ni le financement du traitement des déchets, difficile à estimer, dont on sait déjà que le contestable projet d'enfouissement à Bure est passé de 15 milliards d'euros à plus de 35 milliards en quelques années.

D'ailleurs dans un rapport de 1999, Jean Michel Charpin, Benjamin Dessus et René Pellat avaient chiffré le dossier nucléaire (recherche, développement, exploitation) dans une fourchette entre 418 et 446 milliards d'euros.

Si l'on prend comme référence la centrale
EPR en Finlande chiffré à l'origine à 3,3 milliard, et qui a plus que doublé aujourd'hui, on devine les écarts considérables qu'il peut y avoir entre les prévisions et la réalité.

Mais le plus grave, c'est le possible accident surtout si l'on songe que la catastrophe d'AZF a coûté 2 milliards d'euros, et que celle de Fukushima coutera, selon Michèle Rivasi, de 100 à 500 milliards d'euros.

Or EDF est assuré pour tout accident à hauteur de seulement 91 millions d'euros.

Et puis il ne faut jamais perdre de vue que les 58 réacteurs français couvrent un territoire de 500 000 km2, en n'oubliant pas qu'en cas d'accident majeur, il y aurait au moins un territoire perdu pendant un bon siècle, dans un rayon d'au moins 30 km autour de la centrale.

C'est l'occasion pour chacun d'entre nous de voir qui serait menacé en cas d'accident majeur nucléaire en France.

Or Bernard Laponche a beau démontrer qu'il y a une forte probabilité d'accident nucléaire majeur en France, rares sont les élus qui en admettent la possibilité, sur le modèle de l'autocrate présidentiel français, droit dans ses bottes, qui se refuse à cette éventualité.

Pourtant, comme l'explique Benjamin Dessus, on peut sortir du nucléaire sans plonger dans le chaos.

Démontrant toute la désinformation maniée par le lobby pro-nucléaire, qui a coup d'annonces spectaculaires mensongères : 1 million d'emplois perdus, perte de l'indépendance énergétique du pays, tente d'affoler le public, Benjamin Dessus fait une critique constructive mettant en évidence les contradictions des tenants du nucléaire.

Comme chacun sait, même si par les temps passés, on utilisait de
l'uranium extrait en France, celui qui alimente aujourd'hui les réacteurs nucléaires ne nous assure aucune indépendance.
Du coté de Fukushima, malgré le silence complice des grands médias, rien ne s'arrange et au fil des mois, les promesses de TEPCO s'envolent, et les difficultés s'accumulent.

Une nouvelle complication pointe son vilain museau, puisque on apprend aujourd'hui qu'à part les réacteurs détruits, il existe un autre lieu à haut risque : une piscine commune aux 6 réacteurs de Fukushima Daiichi qui se situe à une cinquantaine de mètres à l'ouest de l'unité 4.

D'un volume de 3828 m3, large de 12 mètres et longue de 29 mètres, elle ne possède pas d'enceinte de confinement et elle sert au stockage du combustible usagé, le gardant immergé pendant une période variant de 10 à 20 ans, afin de lui faire perdre une partie de sa radioactivité, ce combustible usagé ayant d'abord effectué un court séjour d'environ 19 mois dans les piscines attenantes aux réacteurs.

Or, Lors du tremblement de terre du 11 mars 2011, la bordure ouest de la piscine a été abimée, et il est indispensable que cette piscine reste totalement étanche, car si Tepco n'est pas très bavard sur son contenu, on sait quand même qu'il y aurait stocké là près de 1000 tonnes de combustible usagé, ce qui correspond à 6375 assemblages, rassemblant plus de 400 000 barres qui ne doivent surtout pas s'entrechoquer.

Au-delà de cette situation préoccupante, on apprend qu'une nouvelle fuite de 8500 litres d'eau radioactive s'est produite et n'aurait, d'après TEPCO, pas atteint l'Océan, obligeant l'exploitant à suspendre les opérations de refroidissement.

D'autres difficultés surgissent, puisqu'on a appris le 1 février, que des fuites d'eau concernant le réacteur n°4 s'étaient produites, confirmant les dires de Ryusaki Tanaka, journaliste indépendant, lequel a rapporté, après une réunion avec la NISA (agence de sécurité nucléaire et industrielle) : « l'accident nucléaire n'est pas fini  ».

Quant aux réacteurs détruits, après avoir percé un trou dans la cuve de confinement du réacteur 2, TEPCO a constaté la disparition du combustible fondu, et le professeur Tadahiro Katsuta, à déclaré «  il y a la possibilité que le combustible fondu tombé au fond de la cuve ne soit pas correctement recouvert par l'eau ».

Une caméra endoscopique à pu être introduite dans la cuve de ce réacteur..

On s'interroge aussi sur la disparition de 840 travailleurs pour lesquels TEPCO n'a pas d'explication à fournir, affirmant être à leur recherche mais on est sur qu'à terme la catastrophe nucléaire japonaise aura des conséquences graves sur la santé de milliers de japonais, et d'ailleurs.

Le décompte macabre des premiers morts est sur ce.

Comme dit un vieil ami musicien et africain : « je suis aveugle, mais on trouve toujours plus malheureux que soi : j'aurais pu être noir ».

L'image illustrant l'article provient de « decroissanceoubarbarie.blogspot.com »

Merci à Corinne Py, Mick, Orion, gaijin pour leur aide efficace.

Olivier Cabanel

 


La "pensée unique" envahit l'antinucléaire

Et notre facture EDF

L'argumentation économico-financière contre l'industrie nucléaire très fréquente chez les antinucléaires permet-elle de condamner le nucléaire ou bien au contraire n'est-elle pas une justification de cette énergie ? Finalement les meilleurs protagonistes pour rendre crédible le nucléaire seraient peut-être les antinucléaires eux-mêmes ?

Il est quasiment impossible de trouver un texte antinucléaire sans qu'il y ait dans l'argumentation des considérations financières. Ainsi il faut fermer Superphénix parce qu'il coûte trop cher, 60 milliards d'après la Cour des Comptes. L'électricité nucléaire coûte plus cher que les sources classiques, les investissements pour l'industrie nucléaire sont considérables et il faut des dizaines d'années pour les amortir, le retraitement des combustibles nucléaires est un gouffre dont on ne tient pas compte dans le prix du kwh, la voiture électrique est hors de prix. Pour les partisans sans réserve des énergies renouvelables l'argument économique est là aussi, bientôt on pourra disposer de ces énergies car le coût des équipements diminue assez rapidement. Mais il faut attendre que leur coût diminue suffisamment grâce à l'action des scientifiques, pour remplacer l'énergie nucléaire.

Il est étrange que ceux qui utilisent ces arguments financiers n'acceptent pas cette façon de voir en général quand on aborde d'autres problèmes sociaux tels que la santé, la protection sociale, l'éducation, les transports en commun, l'emploi etc.

Tout d'abord il faut mentionner qu'un des arguments les plus importants qui a été avancé contre le programme électronucléaire il y a une vingtaine d'années était que l'électricité nucléaire allait coûter très cher. Il n'était guère de réunion "anti" sans que des participants n'évoquent les factures EDF que nous aurions à payer. J'ai en mémoire une réunion organisée par les Amis de la Terre et le PSU avec en ouverture le film Condamnés à réussir où sont évoquées d'une façon très angoissante les craintes de cancer des travailleurs de l'usine de La Hague lorsqu'ils sont contaminés et qu'ils ramènent chez eux le bocal pour recueillir les selles, l'angoisse de leur compagne, l'attente des résultats d'analyse. Et la réaction de la salle était : mais notre facture EDF qu'est-ce qu'elle va devenir ?

Actuellement est-il possible de dire avec certitude que le kilowattheure nucléaire est beaucoup plus cher que le kilowattheure classique (charbon, fioul, gaz) ? Les bilans sont invérifiables et s'il y a des différences elles sont marginales car le boom sur le fioul qui a été utilisé en 1974 pour enclencher l'électronucléarisation massive de la France s'est fortement calmé.

L'horreur du gouffre... financier

Quels sont les reproches que les antinucléaires voudraient être percutants pour condamner l'activité d'EDF, de Framatome, Cogéma et CEA, de la Nersa, de l'ANDRA ?

Il est reproché à EDF d'exporter de l'électricité à perte. Économiquement cela a-t-il un sens ? Bien sûr EDF a prévu bien trop grand, elle s'est lancée et a lancé le pays dans des investissements inutiles qui ont abouti à une surcapacité considérable de ses installations. Mais ce gaspillage étant fait et n'étant pas récupérable est-il justifié de condamner EDF à récupérer un peu de fric en vendant à l'étranger de l'électricité à des coûts qui ne reflètent que les dépenses de combustible et celles inéluctables, que le réacteur fonctionne au ralenti ou au maximum (c'est ce qu'en économie on appelle le coût marginal). EDF par cette stratégie essaie de récupérer un peu d'argent de ses investissements inconsidérés. En somme, économiquement, l'exportation d'électricité apparemment à perte, est finalement là financièrement pour limiter les dégâts d'une politique d'investissement absurde.

Superphénix a coûté cher, très cher, il faut le fermer. Mais qu'il soit arrêté ou en fonctionnement cet argent est perdu. Qu'il fonctionne ou non le coût n'est pas modifié. Le démantèlement ? Qu'il fonctionne pendant des années ou non, le coût ne sera guère différent. Économiquement les jeux sont faits. Mais si on introduit l'économie dans l'affaire alors on peut voir que s'il fonctionne même avec un rendement faible il rapporte quelques sous, mais si on le met à l'arrêt il va consommer de l'énergie électrique pour chauffer le sodium afin qu'il ne se solidifie pas sous forme de caramel autour du combustible, situation qui serait assez dramatique.

Attention aux arguments économiques. Les 60 milliards avancés par la Cour des Comptes a beaucoup plus frappé que l'insouciance, l'incurie de la technocratie promotrice de Superphénix et qui a tout simplement oublié que ce réacteur ne pouvait pas durer éternellement (rien n'a été prévu pour son démantèlement ce qui pose des tas de problèmes en ce moment) et qu'il pouvait être à l'origine d'une catastrophe ingérable.

Ce n'est pas parce que Superphénix a coûté très cher qu'il faut le fermer mais parce qu'il est dangereux et qu'il n'est pas possible d'avoir la certitude qu'il n'y aura pas d'accident. L'importance des pannes depuis sa naissance a des répercussions économiques sur les coûts de production mais le plus grave c'est que tous ces incidents ont de quoi nous inquiéter quant à la sûreté de l'installation et à la culture de la sûreté des responsables.

Ne pas renouveler le parc nucléaire parce que cela exigerait de gros investissements à long terme donc peu ou pas rentables, cela ne peut pas être la base de notre argumentattion antinucléaire. Devrait-il être interdit à un service public d'investir à long terme contrairement à la logique économique de la mondialisation et de l'impératif de l'économie du "flux tendu" (investissement rapidement rentable) ? La stratégie capitaliste a compris depuis longtemps (aucune commande de réacteur depuis 1973 n'a été réalisée aux USA) que l'énergie nucléaire n'était pas une énergie rentable. Mais ce n'est pas pour autant que les exploitants capitalistes américains ferment les centrales. Ils veulent amortir au maximum leurs investissements inconsidérés. Le danger ? Ce n'est pas leur problème, ils sont couverts par une loi limitant leur responsabilité civile. Ce qui est anormal, c'est que l'abandon de l'énergie nucléaire comme énergie économiquement rentable dans les pays où les financiers ont décidé de ne pas renouveler le parc nucléaire, a, semble-t-il, rassuré les antinucléaires qui ne sont pas du tout inquiets du vieillissement de leurs réacteurs. En France il en est de même pour la majorité des têtes pensantes de l'antinucléaire : exigeons une décision immédiate de l'arrêt (futur) du nucléaire et nous serons satisfaits. C'est finalement le gouffre financier du renouvellement du parc nucléaire qui les inquiète bien plus qu'un accident possible sur nos réacteurs qui financièrement serait infiniment plus coûteux.

Catastrophe, pas pour tout le monde

Dire que les promoteurs de l'énergie nucléaire ne se sont pas préoccupés des accidents graves n'est pas tout à fait vrai. En effet aux États-Unis les capitalistes ne se sont lancés dans les affaires nucléaires qu'après avoir eu la garantie que leur responsabilité civile serait très fortement limitée en cas de catastrophe par la loi de 1954 (le Price Anderson Act). Quant à la France, la loi n68-943 du 30 octobre 1968 limite la responsabilité civile des exploitants nucléaires et celle de l'État. C'était en 1968, date qui pour certains d'entre nous a une très forte signification, mais pendant cette période très agitée les décideurs ne perdaient pas les pédales. La loi de 1968 a été modifiée en 1990 dans l'indifférence la plus totale. Les promoteurs de l'énergie nucléaire ont traité les accidents graves à leur façon, protéger l'économie.

Mais les antinucléaires qui se sont laissés contaminer par la pensée économique auraient pu, ou pourraient eux aussi traiter d'un point de vue économique les accidents graves dont la possibilité est reconnue officiellement. Quand certains comités ont payé très cher à des cabinets d'experts des études sur l'impact économique de la centrale nucléaire dans leur région, l'impasse a été faite sur l'accident majeur rendant ces études bien insuffisantes. Elles ne répondaient pas à des questions simples qui n'ont pas été posées : quel serait le coût économique d'un accident pour la région ? Quelles seraient les sommes allouées pour indemniser les dégâts ? Il aurait été intéressant d'exiger de ces économistes leur évaluation du coût de l'homme-sievert par rapport à l'estimation des experts officiels. Peut-être, si l'on se place dans l'économie de marché, pourrions-nous exiger que le prix de notre vie (régi par le coût de l'homme-sievert) soit négocié pour une réévaluation à la hausse ...

Il n'est pas possible de rester jusqu'au bout dans la pensée unique sans en ressentir l' obscénité. Le prix de la voiture électrique serait-il plus important que le prix de notre vie pour condamner l'industrie nucléaire ?

Mais tous ces problèmes économiques pourraient bien se résoudre facilement si un système autoritaire se mettait naturellement en place pour permettre une gestion sans "turbulences" des catastrophes. Gageons que l'argumentation économique serait là pour justifier la rigueur des gestionnaires autoritaires.

La vraie raison

Bien sûr les investissements financiers ont été considérables et ne correspondent pas au concept économique du "flux tendu". Aucun industriel ne veut investir en espérant récupérer sa mise au bout de 25 ou 30 ans. Mais est-ce une tare quand on défend le principe du service public qui place en préoccupation prioritaire le service du public et non la rentabilité rapide des investissements ? L'argument de la dette d'EDF n'est pas recevable à moins de mettre à la poubelle la notion de service public.

Avancer en priorité ou n'avancer que des arguments financiers pour condamner l'industrie nucléaire, pour condamner le renouvellement du parc des réacteurs n'a pas de sens si l'on pense que l'économie ne doit pas dominer totalement la société. De la même façon, condamner l'industrie nucléaire au nom d'une saine gestion économique revient à admettre que l'économie doit être déterminante dans la gestion de la société.

Que le dollar flambe à 10 francs comme cela s'est déjà produit ou que le baril de fioul parte en hausse brutale suite à une aggravation de la situation au Moyen-Orient et l'argument du prix de l'électricité nucléaire se retourne contre nous. Que la voiture électrique coûte moins cher alors elle deviendrait la solution idéale.

Il est stupide d'attendre que le prix des éoliennes ou des composants photovoltaïques baisse pour les utiliser. Cela supposerait bien sûr que leur capacité de production soit suffisante pour alimenter le réseau ce qui n'est pas le cas. Dans ce domaine, l'argument économique avancé par les promoteurs des énergies alternatives évite d'aborder sérieusement le problème des performances réelles de ces sources d'énergie et de reporter dans le futur leur utilisation. Le coût de ces énergies ne doit pas être un handicap pour leur utilisation mais l'argument économique permet à l'idéologie des énergies renouvelables de ne pas exiger leur utilisation immédiate à grande échelle.

Avancer les problèmes financiers dans l'argumentation antinucléaire c'est rendre secondaire la raison fondamentale de notre opposition : l'industrie nucléaire est beaucoup trop dangereuse pour la société et cela ne s'évalue pas en coût monétaire à moins de se soumettre aux injonctions des marchés financiers.

Il est cependant un domaine où l'économie financière doit être prise en compte mais les antinucléaires n'abordent guère ce problème. Si EDF a des problèmes financiers dus à la concurrence des sources d'énergie fossile alors c'est la sûreté qui en souffrira en premier car c'est un domaine qui coûte cher et où des économies peuvent être faites sans perturber la production. De nombreuses études de sûreté sont actuellement en cours à EDF pour montrer que les coefficients de sûreté pris aujourd'hui sont bien trop élevés et qu'on pourrait les réduire et gagner ainsi sur les investissements et les coûts d'exploitaton. Pour nous ce n'est pas l'argument économique qui doit là être mis en avant mais la nécessité de nous assurer une meilleure sûreté et cela n'a pas de prix si l'on n'accepte pas le joug de la pensée unique ce qui ne semble pas évident dans la mouvance antinucléaire. Il faut arrêter par notre argumentation de défendre, et par là même, de renforcer l'emprise de l'économie sur le devenir de notre société.

 

Roger Belbéoch,
Lettre du Comité Stop-Nogent, n°78, octobre-décembre 1997.