VISE-Amsterdam n°335, 6/7/90:

La Pologne après Tchernobyl

Dans un rapport intitulé "La situation en Pologne après l'accident de Tchernobyl", le Dr Jerzy Jaskowski du Département de Physique et de Biophysique à l'Académie Médicale de Gdansk critique sévèrement le Rapport de la Commission gouvernementale dirigée par le ministre polonais, Szalajda. Le Dr Jaskowski soulève des questions auquel le rapport officiel ne répond pas, et il remarque que certaines de ses informations diffèrent considérablement d'autres rapports officiels, tels que celui qui est en préparation en Finlande. Certaines informations, telles que celles fournies par les cartes météorologiques durant les premiers jours de l'accident, sont trompeuses. D'après le Dr Jaskowski, certaines affirmations et conclusions du rapport officiel ne sont pas seulement difficiles à admettre, vu les autres informations dont on dispose, mais tout simplement impossibles à croire.

Jaskowski met également en doute les méthodes de mesure appliquées dans cette étude officielle, telles qu'elles ont été décrites dans le second chapitre du rapport gouvernemental. Elles ne permettent qu'une analyse qualitative et non une appréciation quantitative. L'erreur peut atteindre 100 %. Le rayonnement alpha n'est pas pris en compte alors qu'on sait qu'il y en a eu. La plupart des stations de mesure polonaises ne sont pas équipées pour les mesurer. Un autre problème tient au fait que les tables synoptiques de la situation radiologique polonaise depuis le 28 avril présentent des moyennes de mesures et ne montrent pas les concentrations de radiation par région. Cela fait qu'on ne peut tirer aucune conclusion. C'est là que Jaskowski souligne quelques-uns des aspects inadmissibles du rapport. Comment croire par exemple qu'on a trouvé la concentration maximale dans le lait le 29 avril et dans l'herbe le 30 avril ?

Jaskowski ajoute qu'il est difficilement compréhensible que la Commission gouvernementale ait annoncé le 2 mai qu'"une légère contamination du sol et des réservoirs d'eau à ciel ouvert persistant localement ne constituent pas une menace pour la santé".
En ce qui concerne les enfants jouant à l'extérieur dans les zones contaminées, la commission a même été jusqu'à déclarer à la télévision que cela non seulement ne leur causerait aucun dommage, mais qu'"ils devront se laver plus souvent, ce qui leur fera du bien". D'après un médecin militaire cité par Jaskowski, le professeur Baltrukiewicz, une telle négligence a fait que des thyroïdes d'enfants ont reçu plus de 100 rems, ce qui causera en fin de compte plus de 12 000 cancers de la thyroïde. Etant donné le manque d'appareils de diagnostic et de médicaments, ce nombre peut être beaucoup plus élevé.

Jaskowski a également critiqué la recommandation de donner de l'iode comme première précaution, au lieu de dire d'abord aux gens de rester chez eux. Il trouve même choquant, à la lumière du rapport gouvernemental, que l'iode ait été recommandé. D'après la Food and Drug Administration américaine, l'iode ne devrait être administré que lorsque la contamination attendue dépasse les 25 rems, voire les 50 rems. D'après le rapport gouvernemental, la contamination n'aurait atteint que quelques centaines de millirems, soit 100 fois [moins] que le niveau impliqué par la recommandation. 16 millions de doses ont été délivrées, ce qui a sans doute provoqué plus de dommages directs que l'irradiation. De plus, l'iode n'a pas été administré avant, [mais] quatre ou cinq jours après l'accident, c'est-à-dire trop tard pour servir à quelque chose. La commission trouve cependant que l'administration d'iode a été positive.

D'après cette Commission, on n'a détecté ni strontium ni plutonium en Pologne. Mais on a trouvé des isotopes de ces éléments en Finlande et en Hollande, et l'Institut polonais de Physique nucléaire (de Cracovie) a par ailleurs rapporté que ces isotopes avaient été détectés dans le pays. Jaskowski note à ce propos que les tables synoptiques rendant compte de la contamination ont été achevées le 30 mai, un peu trop tôt pour mettre un terme au contrôle, puisque des données antérieures indiquaient que des éléments lourds "arriveraient" en Pologne au bout de quelques semaines. La concentration en strontium et en plutonium s'est donc accrue en juin et en juillet et peut être même au cours des mois suivants. On savait également que la concentration des radionucléides dans les aliments n'atteint son maximum que deux à quatre ans après un tel accident.

Jaskowski termine sa critique en disant que le rapport de la Commission ne permet aucune conclusion. Et bien qu'il soit trop tard pour mener une enquête détaillée,
on a détecté en divers lieux un accroissement des cas de leucémies chez les enfants, ainsi qu'une multiplication des malformations congénitales à Lublin. D'après le ministère polonais de la Santé, on a constaté un accroissement de 6,2 % dans la mortalité infantile au cours du premier trimestre 1987 (par rapport au taux correspondant de 1986). De 1970 à 1986, la mortalité infantile avait toujours diminué. Il semble qu'en 1988 la mortalité infantile ait à nouveau décru. De plus, divers médecins pensent que la fréquence des cancers a augmenté en Pologne (mais il n'y a pas d'études systématiques). Le cancer de la thyroïde est en augmentation, jusque chez les chiens (600 % d'augmentation dans la région de Varsovie).


Source et contact : Jerzy Jaskowski, MD, PhD, MS, Département de physique et de Biophysique, Académie de Médecine, 80-215, Gdansk, Suwalska 6, Pologne

Remarque une traduction anglaise de "La situation en Pologne après l'accident de Tchernobyl" est disponible auprès du Dr Jaskowski. De plus, on peut obtenir un résumé en anglais des résultats des recherches dans la région de Gdansk après Tchernobyl, incluant des informations sur la mortalité infantile (9,9 % en 1987), les morts exogènes et endogènes, l'accroissement des fausses couches, la multiplication des cataractes. Un table montre la concentration des radionucléides dans l'eau, l'herbe, le lait, etc.