Greenpeace mer 03 mars 2004

Accident ou attentat sur la route du Plutonium :
des millions de personnes contaminées, des milliers de cancers mortels... et Paris évacué ?

Greenpeace publie une étude évaluant les effets d'un accident ou d'un attentat contre les camions de plutonium passant près de Paris et Lyon. Selon la gravité des accidents, les retombées de plutonium pourraient contaminer jusqu'à des centaines de kilomètres carrés et des millions de personnes. Cette étude, effectuée par les consultants nucléaires indépendants Large & Associates (1) se penche sur un certain nombre de scénarios d'accidents et d'actes de terrorisme. Sur la base d'hypothèses officielles et conservatrices (2), elle modélise la dispersion et les retombées de particules respirables de plutonium à la suite d'un incendie grave et prolongé en divers endroits, notamment à proximité du château de Versailles, près de Paris, et dans la banlieue de Lyon (3). Pour en savoir plus sur ces transports de Plutonium et cette étude, visitez : www.stop-plutonium.org

"Même si nous sommes restés très prudents dans nos modélisations, nous sommes partis de l'hypothèse que le(s) véhicule(s) du convoi se trouveraient entourés par un feu d'une intensité suffisante pour venir à bout des châteaux FS47 contenant le dioxyde de plutonium, et qu'un ou plusieurs de ceux-ci cèderaient pour rejeter et propulser dans l'air un panache de contamination radioactive, bien au-delà du périmètre immédiat de l'accident, et jusque sur Paris. Les conséquences sanitaires d'un accident grave dans le tunnel de Versailles doivent être considérées comme inacceptables" déclare le consultant nucléaire John Large, auteur de l'étude.

Les effets d'un accident grave ou d'un attentat seraient catastrophiques et nécessiteraient un périmètre de sécurité pouvant s'étendre jusqu'à 110 km du site, selon la gravité de l'accident. A titre indicatif, la tour Eiffel ne se trouve qu'à 15 km du point de passage hebdomadaire du convoi. Des millions de personnes seraient touchées par les retombées du panache de plutonium, induisant plusieurs milliers de morts par cancers à long terme.

Ces conclusions sont d'autant plus préoccupantes que selon le rapport de la commission Vrousos (4) rendu public hier : "La France n'est toujours pas dotée d'une véritable stratégie de gestion du risque pour faire face à une contamination importante du territoire qui résulterait d'un accident nucléaire ou d'un acte de malveillance entraînant une exposition durable de la population".

"Ces études révèlent clairement que les transports de plutonium constituent un risque inacceptable et doivent cesser immédiatement"
déclare Yannick Rousselet, chargé de Campagne nucléaire à Greenpeace France. "Cela montre l'étendue de l'irresponsabilité de l'industrie française du plutonium quand elle s'entête à effectuer ces transports alors qu'ils représentent une cible potentielle de choix pour des terroristes".

Greenpeace interpelle depuis plus d'un an les autorités publiques sur l'étude qu'elles font des risques encourus aux populations et les dispositifs d'intervention prévus en cas d'accident ou d'attentat. Jusqu'à présent, aucune réponse n'a été donnée. La seule réponse effective des autorités est l'arrêté "secret défense" qui veut museler toute information relative aux transports nucléaires en France.

Le fait que les transports soient fréquents (deux camions par période de 7 à 10 jours), prévisibles (le même trajet toutes les semaines), et mal protégés (camions banalisés) comparés (par exemple) aux transports de plutonium militaire étasuniens, les rend particulièrement vulnérables à des attentats.

Infos connexes
Impact potentiel et conséquences d'incidents implicant un transport de dioxyde de plutonium entre COGEMA La Hague et Marcoule/Cadarache:
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Etude complète en anglais
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Etude résumée en français

Vidéos:
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Convoi sur l'autoroute
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Vitesse et sécurité

Notes:

(1) - Ingénieur consultant, Membre de l'Institut des Ingénieurs en Génie Mécanique (UK), Membre diplômé de l'Institut des Ingénieurs en Génie Civil (UK), Membre de la Société britannique du Génie Nucléaire, et Membre de la Société Royale d'Art (UK) ; John Large a collaboré avec de nombreux gouvernements ; il a notamment dirigé l'équipe d'experts pour l'évaluation des risques et des dangers des opérations en 2001 liées au sous-marin nucléaire le Koursk. Il fut décoré à cette occasion par les autorités russes pour le sauvetage du Koursk.

(2) - La quantité rejetée envisagée par Large & Associates s'appuie sur des chiffres du département étasunien de l'Energie (US DoE) publiés dans une récente analyse d'impact environnemental. Le schéma des retombées a été calculé à l'aide du modèle NOOA Hypsplit et de simulations d'élévation de panache faites par Hotspot. Les effets sanitaires ont été calculés à l'aide du programme COSYMA de modélisation de la dispersion radioactive et des conséquences sanitaires mis au point par la Commission européenne.

(3) - Les investigations de Greenpeace au cours des dernières années ont relevé que des convois transportant environ 300 kilogrammes de plutonium passent par ces endroits toutes les semaines lors de leur trajet de 1 000 km entre la Normandie et la Provence.

(4) - La commission Vrousos avait été chargée par André-Claude Lacoste, Directeur de la DGSNR, au nom du Ministre de la santé, de mener une réflexion sur les actions prioritaires en matière de radioprotection.

 

La France sous-estime la sécurité des convois nucléaires

PARIS (3/03/04) - La France sous-estime considérablement les risques liés au transport, deux à trois fois par semaine, de plutonium par camion de l'usine de retraitement de la Hague en Normandie vers Marcoule, dans le sud-est de la France, estime un rapport publié mercredi par Greenpeace France.
John Large, un consultant qui a travaillé pour l'autorité de sûreté nucléaire britannique dans le passé, a évalué à la demande de l'association écologiste les conséquences d'un éventuel accident de transport de plutonium en France.

M. Large s'est basé sur une étude du Département américain de l'énergie réalisée en vue du transport dans quelques mois de plutonium américain vers la France, pour y être converti en Mox, un combustible nucléaire mélangeant uranium et plutonium.

Selon les experts américains, un accident causant de sérieux dommages pourrait provoquer le relâchement de 595 grammes de plutonium sous forme de particules aérosols de taille respirable, qui seraient donc inhalées par les populations. Le plutonium est cancérigène (1/1 000 000 ème de gramme ingéré est mortel).

Deux camions français, soit 280 à 300 kg de plutonium, empruntent deux ou trois fois par semaine l'autoroute A6 à proximité de Paris. Ils passent à 15 km de la Tour Eiffel et traversent le couloir de la chimie, au sud de Lyon, deux bassins de population considérables, ce qui pourrait avoir "des conséquences très sérieuses", note le rapport.

La Cogema et le Haut fonctionnaire de défense, chargé au sein du ministère de l'Economie de la sécurité des convois, ont rétorqué mercredi que les convois nucléaires français "sont parmi les plus sûrs du monde".

Un accident suivi d'un feu dans le tunnel de Versailles pourrait entraîner 600 à 15.000 morts par cancer d'ici 15 à 30 ans, estime le rapport.

"J'ai été absolument sidéré d'apprendre que chaque camion transportait 9 conteneurs, alors que les Américains limitent le transport à 3 conteneurs", a indiqué John Large.

L'expert s'étonne que les Américains jugent possible une rupture du conteneur, impliquant un relâchement de 595 gr dans l'atmosphère, tandis que le plus grave accident envisagé par les Français ne conduit qu'au relâchement de 0,07 gr.

M. Large indique dans son rapport que les Français "semblent" utiliser des véhicules à peine plus sécurisés qu'un camion commercial tirant une remorque standard, là où les Américains emploient des camions faits sur mesure, blindés et dotés de sécurités bloquant automatiquement l'enlèvement des conteneurs.

"Les convois sont dotés de sécurités multiples: le camion est blindé, il est escorté et suivi par satellite, et les conteneurs sont extrêmement robustes", a déclaré Charles Hufnagel, porte-parole de la Cogema.

"Les parcours sont plus variés que le dit Greenpeace", a indiqué le Haut fonctionnaire de défense Didier Lallemand. L'association écologiste estime que la régularité des convois et du parcours facilite un éventuel acte terroriste. Le passage à proximité des grosses agglomérations de Paris et Lyon accroît les risques, estime en outre le rapport publié par l'association.

Selon M. Lallemand, le trajet sur l'autoroute A6-A7 est étudié "pour garantir une meilleure sécurité notamment grâce à la fluidité du trafic".

Les convois comportent bien depuis août 2003 deux camions au lieu d'un (doublant la quantité de plutonium transporté), mais c'est pour "réduire le nombre de convois sur les routes". "La quantité de matière transportée n'est pas le critère le plus important", a indiqué M.Lallemand.


Libération du mercredi 03 mars 2004

Deux rapports pointent le manque de stratégie en cas d'accident nucléaire.

La France n'est pas à l'abri atomique

John Large, expert mandaté par Greenpeace, s'étonne de la maigre escorte des convois français et de la façon dont les risques sont calculés.  

l n'existe pas de véritable gestion du risque nucléaire en France. Propos d'écologiste ? Non, parole d'expert. De douze experts, même, qui ont rendu public hier un rapport, sous la direction de Constantin Vrousos et commandé par le gendarme du nucléaire français, l'Autorité de sûreté nucléaire. Un constat que ne démentira pas Greenpeace, qui rend publique aujourd'hui une étude tentant d'évaluer les effets sanitaires d'un accident ou d'un attentat contre l'un des nombreux convois de plutonium qui sillonnent les routes de l'Hexagone, entre l'usine de retraitement de La Hague (Manche) et les usines de Cadarache et de Marcoule, dans le sud-est du pays, passant à proximité de Lyon et de Paris.

S'appuyant sur des hypothèses «utilisées par le ministère américain de l'Energie» pour un transport de plutonium militaire qui doit venir en France afin d'y être transformé en combustible, l'expert britannique John Large, mandaté par l'ONG, s'étonne de la maigre escorte des convois français et de la façon dont les calculs de risques sont effectués dans notre pays.

Entre 30 et 4 000 morts. Selon John Large, la rupture de conteneurs chargés d'oxyde de plutonium n'aurait que peu d'effets sanitaires immédiats, mais induirait à long terme une augmentation du nombre de cancers sur un large périmètre, en fonction des conditions météorologiques. Suivant la gravité de la dissémination, il estime qu'à long terme (sur une période étalée dans le temps d'au moins trente ans) on constaterait entre une trentaine et plus de 4 000 décès près de Lyon, ou entre 60 et 11 000 près de Paris. Et souligne - tout en reconnaissant la difficulté de telles estimations - que plusieurs centaines de kilomètres carrés devraient être évacués pour une période d'au moins un à deux ans. L'expert de Greenpeace recommande notamment de détourner les convois nucléaires des zones de trop forte densité urbaine et de conduire «une étude portant sur les aspects économiques et les impacts sociaux» d'une éventuelle dissémination de matières radioactives par un convoi routier.

«Suivi sanitaire». Le rapport, officiel celui-là, remis par le Pr Vrousos à l'Autorité de sûreté nucléaire ne dit pas autre chose. Sans mentionner explicitement les transports routiers de plutonium, les experts s'étonnent de «l'absence de tout programme officiel pour définir une stratégie de gestion sociale et économique des territoires éventuellement contaminés en milieu urbain et agricole, qui prendrait en compte le suivi sanitaire des populations, le suivi radiologique de l'environnement et des denrées alimentaires, et le développement d'une culture radiologique pratique au sein de la population». Cela, bien évidemment, dans le cas où la France devrait faire face à une importante contamination du territoire qui résulterait «d'un accident nucléaire ou d'un acte de malveillance».

Effort de formation. Le rapport Vrousos souligne également l'importance de la veille scientifique, présentant de nombreux exemples de publications scientifiques récentes qui, si elles étaient confirmées, seraient susceptibles de conduire à un changement des règles et des normes d'exposition aux radiations. Il demande le renforcement du suivi des 250 000 travailleurs exposés aux rayonnements et insiste aussi sur l'effort de formation nécessaire dans les milieux médicaux, notamment sur la conduite à tenir en cas d'accident, mais aussi pour réduire le nombre de clichés radiologiques inutiles. Une formation qui devrait s'étendre à l'ensemble de la population, par exemple dès l'enseignement secondaire, dans le cadre d'une «instruction civique à l'environnement et au développement durable». Sans oublier de faire référence au manque de transparence qui a parfois caractérisé la gestion du risque nucléaire par les pouvoirs publics, les douze experts soulignent que c'est au prix d'une information complète et objective, et d'un débat public sur les choix de société, que «la confiance du public» pourra être obtenue. Seront-ils entendus dans un pays où, à coups de secret défense, on tente de museler les écologistes qui dénoncent les transports routiers nucléaires ?

Denis DELBECQ

 


Greenpeace 28 février 2004
Information Plutonium ouverte aux péages de Villefranche (69) et Beuzeville (27)

 

 

Dangers du nucléaire et terrorisme
(Les centrales nucléaires, première option du 11 septembre?)

 

" Société nucléaire, société policière "

Ainsi, voilà qu’au travers du terrorisme on découvre subitement la fragilité des installations nucléaires si sûres d’après les promoteurs. Pourtant lorsque dans les années 70 les manifestants antinucléaires scandaient " société nucléaire, société policière " c’est bien parce que les centrales nucléaires sont apparues comme des installations particulièrement vulnérables et que le système policier qu’elles devaient engendrer nous apparaissait comme peu souhaitable et inéluctable…Depuis, le déploiement policier qui entoure chaque transport par rail des combustibles partant ou arrivant à La Hague est un fait devenu banal. La contradiction entre les désirs d’une société vivable et conviviale à laquelle nous aspirons et la réalité policière (et si besoin militaire) n’en est que plus profonde. Il est certain que les récents attentats aux Etats-Unis avec plus de 6000 morts et disparus ne vont pas faire évoluer notre société vers plus de libertés mais vers plus de contrôles avec un Vigipirate omniprésent. Doit-on pour autant minimiser le risque terroriste pour ne pas entraîner une précipitation de la militarisation de la société ? C’est la quadrature du cercle.

Le problème du terrorisme, des actes de malveillance sur des installations nucléaires n’est pas nouveau et il est pour le moins étonnant qu’il ne soit évoqué seulement que maintenant dans les médias. Il a été posé publiquement, sans aucun écho dans la presse, en janvier 1987 à Paris par Paul Leventhal directeur du Nuclear Control Institute (USA) au cours de l’Audition parlementaire sur les accidents nucléaires : protection de la population et de son environnement organisée par le Conseil de l’Europe après Tchernobyl. Son exposé avait en sous-titre, " un danger sournois : le terrorisme nucléaire ". Il disait clairement : " Les dégâts occasionnés par un attentat terroriste visant un réacteur nucléaire seraient analogues à ceux qui résulteraient d’un accident de réacteur ".  Le problème a été soulevé il y a quelques années par la parution d’un article du Canard Enchaîné pointant l’insuffisance de la surveillance des centrales car des agents de la sûreté du territoire avaient facilement pu s’infiltrer à l’intérieur d’une centrale et assez près pour être à portée de bazooka de parties sensibles du réacteur. Il s’est posé avec acuité aux militants antinucléaires sur la stratégie à adopter pour leur défense judiciaire contre EDF : ils avaient pénétré sans encombre dans le périmètre de la centrale de Golfech et étaient montés s’installer pacifiquement sur une tour de refroidissement. De là-haut ils avaient pu joindre les médias et dénoncer les dangers que le nucléaire fait courir à la population en cas d’accident majeur. Les militants ont été jugés pour s’être introduits illégalement dans le périmètre de la centrale. Mais c’est le chef de la centrale de Golfech qui aurait dû être jugé et condamné car l’intrusion des militants était une preuve flagrante de l’insuffisance professionnelle des vigiles et donc de faute grave de la hiérarchie au plus haut niveau. Lors du procès, le chef de centrale n’a pas été accusé publiquement d’incompétence pour le laxisme des vigiles.

Le terrorisme existe. On l’a subi en France il n’y a pas si longtemps et il peut s’attaquer aux installations nucléaires ou à d’autres installations mortifères considérées comme hyperprotégées. Si le 11 septembre les terroristes ont détourné aux USA 4 avions de ligne Boeing dont 3 d’entre eux, utilisés comme projectiles, ont réussi à percuter des cibles de haute valeur symbolique, les 2 tours du World Trade Center de Manhattan à New York, le Pentagone à Washington, il faut remarquer que le 2ème avion a survolé sur son trajet la centrale nucléaire d’Indian Point en amont de New-York. Quant au 4ème avion détourné il s’est écrasé en Pennsylvanie entre Harrisburgh et Pittsburgh, dans le comté de Somerset sur une portion désaffectée d’une mine de charbon en activité (selon Platts News). Ce crash s’est effectué dans des conditions mal élucidées. Quelle était la cible visée ? Il a été question de la Maison Blanche, de Camp David, mais ce qui est certain c’est que la véritable cible est inconnue du public. La centrale nucléaire de Three Mile Island, proche de Harrisburg et hautement symbolique car elle a connu en mars 1979 une fusion partielle du cœur, aurait pu être une cible potentielle avec pour résultat une catastrophe nucléaire.

Dès le 11 septembre l’autorité de sûreté américaine (NRC, Nuclear Regulatory Commission) recommandait " à titre de précaution, que tous les réacteurs électronucléaires, les réacteurs nucléaires non électrogènes, les installations d’élaboration de combustibles et de diffusion gazeuse soient amenées au plus haut niveau de sécurité. Les détails de ces niveaux sont classifiés [secrets] ".

(Certains internautes américains proposent d’utiliser des batteries anti-aériennes pour protéger les réacteurs. Mais il faudrait les mettre assez loin pour qu’en cas de succès l’avion abattu ne tombe pas sur le site…)

En France, l’autorité de sûreté a indiqué dès le 13 septembre 2001 dans sa Note d’information sur la protection des installations nucléaires contre les chutes d’avions " les installations nucléaires sont classées points sensibles et à ce titre font l’objet de mesures de protection contre le terrorisme qui ont été renforcées dans le cadre du plan Vigipirate ". On peut en déduire que cela concerne toutes les centrales nucléaires, tous les centres de recherche civils (Saclay, Grenoble) et militaires, l’usine de la Hague, les usines de fabrication de combustibles, Melox, Comhurex, Eurodif, etc.

 

Les réacteurs nucléaires et les " lacunes " de la sûreté

Cette même Note précise : " Ce qui s’est passé aux USA ne relève pas de chutes [d’avions] accidentelles mais de véritables actes de guerre qui ne sont pas pris en compte dans la construction des installations nucléaires ". http://www.asn.gouv.fr/

Les promoteurs aveugles du nucléaire ont refusé de voir qu’un pays nucléarisé est un pays fragilisé, ce qu’avaient bien compris les antinucléaires des années 70. Le terrorisme, la guerre, les actes de malveillance font partie des risques " oubliés " mais inacceptables du nucléaire qui peuvent être responsables d’accidents nucléaires majeurs tout comme les autres risques " habituels " (risque de rupture de matériel et circuits importants pour la sûreté des aciers et autres matériaux dégradés par action des rayonnement, par chocs thermiques, erreurs de conception et prise en compte insuffisante des séismes, inondations, incendies etc.)

Il est important de voir les grosses " lacunes " de nos concepteurs vis-à-vis du risque terroriste et des actes de malveillance en général. Il ne peut pas en être autrement puisque si la probabilité d’occurrence d’un événement est très faible, inférieure à un millionnième, il est dit hors dimensionnement c’est à dire qu’on n’en tient pas compte dans la sûreté, tout simplement ! Il a été considéré que la probabilité de crash de tels avions de l’aviation générale était très faible. Or l’acte terroriste quand il se produit a une probabilité égale à 1 !

-Impact d’un Boeing sur une enceinte de confinement

Dans un article du Monde du 14 septembre sur les centrales nucléaires américaines, Hervé Kempf signalait que les enceintes de nos réacteurs, comme celles des réacteurs américains, ne résisteraient pas à l’impact d’un Boeing 767 ce qui pourrait conduire à un scénario de type Tchernobyl si l’enceinte, une fois enfoncée, le circuit primaire pouvait lui aussi être atteint.

L’édition publique des textes des rapports de sûreté des 900 et 1300 MW confirment les données du Monde qui indiquait que seuls les crashs d’avions à une vitesse de 360 km/h de type CESSNA et LEAR JET ont été envisagés. Le premier est caractéristique d’avions pesant moins de 1,5 tonnes, le second de 1,5 à 5,7 tonnes or le Boeing 767 pèse 150 tonnes.

On remarquera que l’édition publique pour les tranches de 900 MW date de 1982, celle des tranches de 1300 MW de 1985 et 2 types de projectiles externes sont évoqués : les avions et les projectiles susceptibles d’être émis par le groupe turboalternateur d’une tranche. Des Boeing plus lourds et plus rapides que le Lear jet n’étaient-ils pas déjà largement utilisés à l’époque dans le domaine commercial et ne pouvait-on pas anticiper l’évolution de l’aviation vers des appareils plus performants plus rapides et plus lourds ? Evidemment cela aurait plombé le développement de l’électronucléaire.

Indiquons aussi que dans ces règles de sûreté, s’il y a perte de l’étanchéité de l’enceinte de confinement par perforation, pour les 900 MW la production de projectiles secondaires n’est pas prise en compte dans le dimensionnement car il est considéré que la peau d’étanchéité ne se romprait pas. De même pour les 1300 MW on considère que les protections anti-projectiles sont suffisantes pour ne pas entraîner de projectiles secondaires.

On peut d’ailleurs se demander si les calculs et les modélisations ont grand sens. Même au cas où le circuit primaire ne serait pas directement atteint, peut-on nous garantir que l’onde de choc résultante ne puisse conduire à la rupture d’éléments fragilisés par défauts et fissurations pré-existants ? Les équipements, les matériaux, sont toujours considérés comme parfaits dans les calculs (peut-on faire autrement ?) qu’il s’agisse des soudures de la cuve sous revêtement, des tuyauteries du circuit primaire, des tubes de générateurs de vapeur, des volutes des pompes primaires, des lignes de vapeur principales du secondaire dont la rupture guillotine peut engendrer la rupture des GV, etc.

Quant aux enceintes de confinement en béton armé et réputées sûres, plusieurs d’entre elles ont dû être " réparées " car elles ne répondaient pas aux normes, avec des parties fuyardes quand elles sont mises sous pression interne (comme ce serait le cas en situation accidentelle). Même l’enceinte d’une tranche récente de Civaux n’est pas conforme aux critères de sûreté ! Ces enceintes sont probablement moins résistantes à l’impact externe d’un avion-projectile (y compris hors de l’impact direct : cisaillement possible au niveau du radier et du sas matériel).

-Il n’y a pas que le bâtiment réacteur, un impact sur le bâtiment auxiliaire ou sur le bâtiment combustible et les incendies ne seraient pas sans conséquences graves.

 

L’usine de retraitement de La Hague

" Un avion sur la Hague créerait un Tchernobyl, selon une étude pour l’Europe " tel a été le titre d’un article d’Hervé Kempf du Monde du 16 septembre, reprenant les conclusions d’une étude à paraître de Wise-Paris dont un des thèmes porte sur les accidents majeurs pouvant affecter l’usine. Le principal risque provient des piscines de refroidissement où sont stockés actuellement 7500 tonnes de combustibles usés pour être refroidis pendant plusieurs années avant retraitement. Rien qu’en césium 137 (Cs137) il y aurait 287 fois la quantité de Cs 137 relâché lors de l’accident de Tchernobyl dans l’ensemble des piscines. Si une seule piscine est touchée par l’impact d’un avion conduisant à la perte de l’eau de refroidissement et par voie de conséquence à la rupture des gaines de combustible, il serait relâché 66,7 fois le relâchement total de Cs 137 de Tchernobyl ce qui pourrait provoquer sur le long terme " jusqu’à 1,5 million de cancers mortels ". [Cela me paraît une valeur basse].

Alors on continue le retraitement ? Rappelons que même si on l’arrête (c’est à dire si on arrête l’extraction du plutonium du combustible usé) il faudra continuer à refroidir les combustibles usés, non seulement ceux qui sont déjà dans les piscines mais aussi ceux qui sont actuellement dans les cœurs des 58 réacteurs PWR en fonctionnement (sans compter Phénix et les réacteurs de recherche). Donc le danger continue. Arrogante imbécillité des décideurs et inconscience des citoyens qui ont laissé faire, tellement confiants dans la Science.

Ajoutons que le nucléaire peut continuer sans retraitement, c’est le choix fait au départ par la quasi-totalité des pays nucléarisés.

 

Le sabotage

Il n’en est pas question dans les rapports de sûreté rendus publics. Pourtant les actes de malveillance existent et cela inquiète les autorités de sûreté. On peut s’en apercevoir quand par hasard on a accès au " bon " dossier.

Un exemple ancien mais significatif : le CEA voulait lancer pour le chauffage urbain, par l’intermédiaire de sa filiale Technicatome, un petit réacteur nucléaire dénommé Thermos dans la gamme de 50-100 MW. Il se trouve que les  Options générales de sûreté  concernant ce réacteur ont " fui " et qu’une analyse en a été faite par le " Groupe information Thermos de la région de Saclay " dans une brochure publiée en mars 1978 par Ecologie-hebdo. Ce qui s’est écrit il y a plus de 23 ans est toujours valable aujourd’hui quelle que soit l’installation nucléaire.

Dans le chapitre consacré au sabotage, la brochure cite des passages de ces options générales de sûreté que nous donnons ci-après en italique " Seuls peuvent être énoncés quelques principes généraux concernant ce mode commun que l’on prendra en compte dans la mesure du possible. Il est impossible de dimensionner un composant ou sa protection contre un acte de malveillance d’autant plus que celui-ci peut être le fait d’une personne avertie " [souligné par le groupe information Thermos). Plus loin on peut lire " La complicité de l’équipe de quart rend possible toutes les hypothèses : mise hors service des sécurités sur la chute des barres, explosion d’une bombe dans la salle des mécanismes, réacteur en marche etc. " La brochure ajoutait :" La complicité possible des hommes de quart pose un problème insoluble. Le bon fonctionnement de l’installation demanderait d’avoir un personnel hautement qualifié et connaissant parfaitement l’installation ce qui, en cas de sabotage, rendrait leur complicité avec des saboteurs particulièrement efficace. La tentation serait grande de recruter ce personnel sur des critères d’incompétence et de méconnaissance totale de l’installation, mais alors que de risques pour le fonctionnement du réacteur et le danger, là, peut être suffisamment grand pour que les Options générales de sûreté fassent une mise en garde : Les deux principes que nous proposons ici sont les suivants : le personnel d’exploitation aura suivi une formation appropriée et connaîtra parfaitement l’installation. Il est exclu de se contenter d’un personnel presse-bouton (…). On ne tirera pas non plus argument des risques que peut faire encourir une équipe de quart compétente dans le cas où elle deviendrait complice d’agressions dirigées contre l’installation elle-même ".

Finalement le projet Thermos a capoté mais tout ce qui est dit sur le sabotage est valable pour les PWR et toute autre installation nucléaire. Pour les auteurs de la brochure, il y a 23 ans… " (…) Les conséquences très graves du sabotage d’un réacteur rendent inéluctables et quasi nécessaires le renforcement des contrôles policiers de la Société ".

 

En conclusion

D’après Nuclear News Flashes du 20 septembre 2001 "un rapport sur la sécurité des réacteurs nucléaires allemands a été commandité par le ministre de l'environnement allemand Juergen Trittin après les attaques terroristes aux USA. Les réacteurs nucléaires sont conçus pour résister au crash d'un avion de chasse militaire mais pas à celui d'un avion de ligne moderne analogue à ceux qui ont frappé le World Trade Center et le Pentagone." Les nôtres non plus...

C’est bien pour éviter de se trouver dans une configuration pouvant conduire à une catastrophe avec d’énormes rejets radioactifs qu’on doit arrêter le nucléaire civil (et militaire).

 

Il faut sortir rapidement du piège nucléaire avec les moyens dont on dispose actuellement. Rappelons encore une fois qu’on dispose encore en France d’un parc de centrales thermiques classiques, à charbon, fioul et gaz, qui est sous-utilisé et qu’EDF projette de démanteler suffisamment pour rendre le nucléaire irréversible.

B. Belbéoch, 20 septembre 2001. 

 


L’autorité de sûreté nucléaire américaine (NRC, Nuclear Regulatory Commission) après les attentats terroristes

(Traduction d’un article publié par Platts sous le titre Sécurité nucléaire dans un nouveau monde de menaces).

Nucleonics Week, Washington, 27 septembre 2001

" Concernant les installations nucléaires le site web de la NRC ne donne plus leurs coordonnées géographiques. Il y a deux semaines n’importe qui tapant sur un ordinateur pouvait obtenir la latitude et la longitude des différents sites nucléaires. Désormais on considère que ce genre d’informations est une carte routière pour les terroristes. Le site web dit simplement : n’est plus disponible. Pour beaucoup de gens la croyance que la défense en profondeur —les multiples niveaux de protection incluant la redondance par conception, les barrières physiques [Ndt les gaines de combustible, la cuve, l’enceinte de confinement] et les procédures d’intervention des opérateurs- protègerait les travailleurs du site nucléaire et la population, cette croyance a été détruite le 11 septembre par les attaques terroristes. Les réacteurs nucléaires aux Etats-Unis n’ont pas été construits pour résister à l’impact direct de gros avions commerciaux de ligne et à l’incendie résultant. Ni la NRC ni l’industrie n’ont effectué d’analyses complètes de ce qui se passerait suite à un tel scénario. Des avions de passagers aussi volumineux que celui d’un Boeing 767 n’existaient même pas quand les réacteurs nucléaires étaient sur les planches à dessin. Mais les attentats suicides de New York et Washington du 11 septembre ont rouvert le débat sur la sûreté des réacteurs nucléaires et remettent en question la tenue des enceintes de confinement, la dernière barrière pour contenir un rejet radioactif. Et les cibles possibles ne s’arrêtent pas là : de nouvelles questions sont soulevées à propos de la vulnérabilité des piscines des combustibles usés et des installations pour combustibles usés qui sont sur les sites mêmes des réacteurs. Le Nuclear Control Institute et le Commitee to Bridge the Gap réclament l’installation d’armes antiaériennes sur chaque site avec 40 soldats de la Garde Nationale encerclant l’installation nucléaire en incluant l’accès à l’eau du site [rivière, mer, eau nécessaire pour le refroidissement du cœur], parce que, disent-ils, la possibilité d’un bateau-bombe, aussi impensable que ne l’était un avion-bombe, ne peut être exclue. La NRC a resserré ses dispositifs de sécurité sur ses propres installations, renforçant le contrôle des visiteurs et des véhicules dans ses agences principales et a installé des barrières en ciment à mi-hauteur d’homme autour de ses deux tours à Rockville (Maryland) qui sont situées sur une route principale à grande circulation dans un faubourg animé de Washington D.C. Un responsable de la NRC a indiqué que ces barrières n’étaient que temporaires. Cependant il avait été dit que la fermeture en mai 1995 de la route située devant la Maison Blanche, effectuée quelques semaines seulement après l’attentat par bombe d’un bâtiment fédéral d’Oklahoma City, serait provisoire. Or les barrières sont toujours là. Personne ne sait quel sera le coût définitif des attaques terroristes et si les installations nucléaires vont ressembler à des zones militaires. Personne non plus ne s’aventure à deviner ce que cela signifie pour le futur de l’énergie nucléaire dont beaucoup pensaient qu’elle était sur le point de renaître avec une nouvelle génération de réacteurs intrinsèquement plus sûrs. Mais l’industrie ne reste pas silencieuse. Elle dit qu’elle fera tout ce qu’elle peut pour protéger ses installations étant donné la valeur financière qu’elles représentent. Et ceci est vraisemblablement tout ce qui compte [continuer à pouvoir faire des bénéfices] ".