La sonde New Horizons (alimentée par un générateur au plutonium) prête à s'élancer vers Pluton

17/1/06 - New Horizons ayant pour destination Pluton (située aux marges du système solaire) ne pourra pas compter sur des panneaux solaires pour alimenter ses instruments en électricité pendant ce long trajet. Elle embarque un générateur d'électricité baptisé RTG (générateur thermoélectrique à radio-isotope) qui convertit la chaleur fournie par la désintégration radioactive d'une charge de 10,9 Kg de plutonium-238 (qui a une demi-vie de 90 ans).

Un RTG comporte deux éléments : une source de chaleur bien isolée constituée par du dioxyde de plutonium sous forme de petites billes de céramique et un jeu de thermocouples (dispositif constitué de deux sortes de métaux conducteurs, qui sont connectés en boucle fermée) avec des jonctions en silicium/germanium qui convertissent la chaleur produite en électricité. La décroissance radioactive du plutonium réchauffe une des jonctions du thermocouple alors que l'autre est exposée au froid de l'espace. La différence de température entre les deux faces génère un courant électrique qui va alimenter les instruments de la sonde.

New Horizons n'est pas le premier vaisseau spatial à utiliser ce procédé, puisqu' auparavant pas moins de 25 satellites ou sondes interplanétaires (dont les célèbres Voyager ou encore Cassini actuellement en orbite autour de Saturne) ont été lancées avec des RTG. Sept de ces satellites orbitent encore autour de la Terre. On compte plusieurs accidents.

Quand la mission Apollo 13 a été interrompue en 1970, la charge baptisée Apollo Lunar Surface Experiment Package et ses 3,8 kg de plutonium ont été perdus au retour au fond du Pacifique dans la fosse des Tonga. En 1964 un RTG du satellite Transit 5BN3 a répandu 17 000 curies de radiations en brûlant dans l'atmosphère lors d'une rentrée imprévue.

Le gouvernement américain a notifié officiellement les Nations Unies et l'Agence Internationale de l'Energie Atomique du lancement prochain de New Horizons. La Nasa juge la probabilité d'un accident au décollage avec dispersion très faible: de l'ordre de 4 pour 1000. Mais la trajectoire de la fusée devant passer près des côtes de l'Afrique du Sud et de l'Australie avant la satellisation, ces nations ont été averties que les EU les aideraient pour nettoyer les zones touchées en cas d'accident (ou de réentrée atmosphérique imprévue) et de dispersion du plutonium sur l'océan ou au dessus des pays concernés.

En 1997 il y a eu 800 manifestants contre le lancement de Cassini, mais ces derniers jours ils n'étaient qu'une trentaine de militants à camper devant les portes de Cap Canaveral, ce qui ne devrait pas perturber le lancement.

Extrait de Techno-Science, samedi 14 Janvier 2006.

 

Lire: La chute de Cosmos 954, un satellite équipé d'un réacteur nucléaire

 

 

Archimed, Arte-tv, émission du 28 novembre 2000:

Cosmos et radioactivité

15 octobre 1997 : Lancement du satellite de recherche Cassini, un projet commun de la NASA et de l'ESA, les agences spatiales américaine et européenne. Mission de Cassini : étudier la planète Saturne et son principal satellite, Titan.

Le 17 août 1999, Cassini retourne brièvement vers la Terre : En se rapprochant de la "Planète bleue", il pourra exploiter la force d'attraction terrestre pour se catapulter dans l'espace, ce qui lui donnera l'élan nécessaire pour son long voyage jusqu'à Saturne.

Cette manoeuvre déclenche une vague de protestation chez les défenseurs de l'environnement et dans les milieux scientifiques. Le célèbre physicien Michio Kaku exige même l'arrêt de la mission. "Le moment est venu de stopper Cassini." Car, en plus des innombrables instruments qui devaient lui permettre d'étudier la lointaine planète, Cassini emportait à son bord 33 kilos de plutonium radioactif, une substance hautement toxique.

Le physicien Jürgen Scheffran met en garde contre cette technologie, dont personne ne peut réellement évaluer les risques :

Jürgen Scheffran : "Notamment pendant son survol de la Terre, la sonde Cassini aurait risqué de pénétrer dans l'atmosphère terrestre et de libérer ses substances radioactives. Cela aurait fait peser un danger mortel sur des milliers de gens."

Cassini utilise le plutonium pour l'alimentation énergétique de ses instruments de mesure. Mais la sonde emporte également du plutonium pour chauffer ses instruments de bord. Avec les basses températures qui règnent loin du Soleil, ils ne pourraient pas fonctionner sans cela.

La NASA elle-même ne nie pas que cette technologie comporte un risque important.

Jürgen Scheffran : "La NASA explique par exemple que 2 300 personnes pourraient trouver la mort en cas d'accident de la mission Cassini. Elle a même corrigé ces chiffres à la baisse. Ses détracteurs pensent au contraire qu'ils sont trop faibles et qu'à long terme, 10 000 personnes ou peut-être même 100 000 personnes pourraient perdre la vie."

Mais la menace de Cassini est écartée. Le jour du survol critique de la Terre, la sonde ne perd pas de plutonium. Le risque de radioactivité est naturellement antérieur à la mission Cassini. Depuis le début des années 60, de nombreuses sondes et satellites utilisent des matériaux radioactifs pour leur approvisionnement énergétique. On ignore leur nombre exact, les Américains et les Russes ayant lancé en secret de nombreux satellites espions.

On connaît à ce jour 71 missions spatiales qui emportaient des matériaux radioactifs à leur bord. Dix de ces missions ont connu des incidents plus ou moins importants. Et une certaine dose de radioactivité s'est dégagée lors de leur entrée dans l'atmosphère.

Depuis dix ans, Regina Hagen, membre du bureau directeur du "Réseau international contre les armes et l'utilisation du nucléaire dans l'espace", milite autour de ces questions.

Regina Hagen : " Le problème est qu'il s'agit principalement de satellites militaires. Et du fait de l'attraction terrestre, ils sont un jour ou l'autre capturés et finissent par retomber sur la Terre. Ils brûlent complètement lors de leur entrée dans l'atmosphère et libèrent leurs matières radioactives, qui peuvent se répartir sur toute la Terre. Elles nous retombent dessus en pluie et peuvent par exemple provoquer des cancers."

Peu après le survol réussi de la Terre par Cassini, la NASA a perdu une sonde sur Mars. A cause d'erreurs de calcul...

Jürgen Scheffran : "Ce sont bien souvent des choses banales qui provoquent ces pannes. Pour la mission sur Mars qui a échoué récemment, une simple erreur de calcul a été à l'origine de l'accident. Ca aurait tout aussi bien pu se passer pour la mission Cassini. Tout le monde sait que les missions spatiales reposent sur des technologies à haut risque et il se produit régulièrement des accidents lors du lancement des fusées. Une mission spatiale sur 7 se termine par un accident. Il était donc très hasardeux d'envoyer du plutonium dans l'espace avec une fusée de lancement."

Les calculs des responsables tiennent compte d'une éventuelle retombée sur la Terre. En effet, comme les aliments et les médicaments, les satellites et les sondes ont une durée de vie limitée. Ils retombent ensuite sur la Terre et libèrent leur chargement radioactif.

Regina Hagen : " A ma connaissance, il y a déjà eu au moins 10 accidents et problèmes graves. La sonde russe Mars 96, par exemple, a pénétré dans l'atmosphère au-dessus du Chili et de la Bolivie en libérant le plutonium qu'elle avait à son bord. Un autre accident qui a suscité beaucoup d'émotion a été le satellite russe Cosmos, qui a brûlé au-dessus du Canada dans les années 70 et a contaminé de vastes régions avec de l'uranium. Un autre accident... ou du moins un incident, en tous cas un problème très grave, c'est le module lunaire Apollo 13, qui ramenait les astronautes vers la Terre. Là encore, il se trouvait à bord un générateur contenant 13 kilos de plutonium."

Mais le risque peut se manifester bien avant, car il faut d'abord mettre les satellites sur orbite. Et une éventuelle anomalie lors du lancement d'une fusée porteuse aurait des conséquences très graves. Des accidents comme l'explosion d'une fusée ARIANE en 1996, ou celle de la navette spatiale américaine Challenger 10 ans plus tôt, le démontrent.

Scheffran : "Si une mission spatiale sur 7 se solde par un échec, une mission à propulsion nucléaire sur 7 est forcément un échec également. Cela signifie que des matières radioactives peuvent être dégagées dès le décollage, pas seulement pendant la rentrée dans l'atmosphère."

Depuis fin 1998, six fusées ont été détruites au lancement. Mais la NASA ne semble pas prêter grande attention à toutes ces interrogations. Elle ne réagit pas aux critiques et n'essaie pas de promouvoir de nouvelles techniques. Elle reste fidèle aux générateurs au plutonium et en équipera encore ses futures missions... ce qui pourrait suffire à faire redémarrer la production de plutonium 238, aujourd'hui arrêtée.

Regina Hagen : "La NASA, l'agence spatiale américaine, a annoncé qu'elle prépare plusieurs missions qui utiliseront du plutonium 238 comme source d'énergie. Le ministère américain de l'Energie a annoncé peu après que les quantités de matériau dont il dispose ne suffiront pas ; les Américains prévoient donc éventuellement de reprendre la production de plutonium 238. Concrètement, cela signifie qu'ils envisagent de remettre en service l'usine de fabrication de Hanford, qui est actuellement arrêtée."

L'agence spatiale européenne ESA mise aujourd'hui sur l'avenir et a décidé d'équiper sa future mission ROSETTA de piles solaires high-tech. Mais dans l'état actuel des choses, cette technique ne convient pas encore aux expéditions lointaines à la périphérie du système solaire.

Dr. Claudio Solazzo, ESA : "L'objectif de la mission Rosetta est d'analyser une comète. Cette comète tournera en orbite autour du Soleil à une distance inférieure à 2 unités astronomiques. Dans ces conditions, les panneaux solaires produisent suffisamment d'énergie pour alimenter tous les composants de l'engin spatial et tous les instruments qui procèderont aux observations de la comète. Ces panneaux constituent donc une excellente technique, mais leur rendement est très faible. Ils n'exploitent qu'environ 22 % de l'énergie solaire incidente. Donc, si l'on s'éloigne au-delà de Jupiter, par exemple, l'énergie produite par les panneaux solaires est insuffisante pour alimenter un système aussi complexe que Rosetta."

Pour certains experts, les technologies solaires seraient aujourd'hui beaucoup plus avancées si on leur avait consacré ne serait-ce qu'une partie des budgets alloués à l'énergie atomique.

Hagen : "D'après les chiffres publiés par le ministère de l'Energie, j'ai calculé qu'un kilo de plutonium 238 coûte entre 6 et 15 millions de dollars, c'est-à-dire jusqu'à 100 millions de francs, alors que la mise au point des piles solaires pour la mission vers Jupiter n'a coûté que 7 millions de francs. Avec la même somme, on pourrait certainement lancer des recherches approfondies pour se passer du plutonium."

Malgré ces maigres budgets, les concepteurs des moteurs solaires ont réalisé des progrès considérables ces derniers temps.

Scheffran : "Je pense qu'il suffirait de miser plus résolument sur ces techniques pour pouvoir les utiliser réellement dans quelques années. C'est-à-dire que nous serions capables dans quelques années seulement d'aller très loin dans l'espace à l'aide de la seule énergie solaire."

Car rien ne presse, après tout : les étoiles ne vont pas s'envoler... Et dans quelques années, des techniques propres devraient être au point. Il n'y aurait alors plus aucun risque pour l'humanité à explorer les fascinantes immensités de l'univers.