La Dépêche, 12/3/2009: 

Uranium: le nord de l'Aveyron reste radioactif

Environnement. « La Dépêche du Midi » et Jean-Louis Bugarel, président d'Action Environnement, se sont rendus sur les anciennes mines de la région d'Entraygues-sur-Truyère avec un compteur Geiger. Reportage.

Que reste-il de l'exploitation de l'uranium en Aveyron ? « La Dépêche du Midi » a mené l'enquête sur le terrain avec Jean-Luc Bugarel, président d'Action Environnement pour s e faire une opinion. Selon lui, les propos rassurants de la préfecture tenus à l'occasion de notre premier article (cf. « La Dépêche du Midi » du 18 février) ne sont pas entièrement exacts. Il suffit d'aller dans le massif d'Entraygues avec un radiamètre - un compteur Geiger disponible sur le site internet de la CRIIRAD (*) - pour s'apercevoir que, d'une part, l'exploitation uranifère a laissé des traces, mais surtout, que certaines entrées de mines sont toujours accessibles. [Voir: "Pièces à conviction", le scandale de la France contaminée par les résidus de 210 mines d'uranium]

Florentin-La-Capelle, au lieu-dit « Prévinquières » (6 800 tonnes de minerai extraites de 1949 à 1957), le long de la route menant au relais de Mejanassère, en surplomb de la RD 920. Il faut grimper, sans difficulté, dans les bois sur une dizaine de mètres pour arriver à une entrée de grotte partiellement bouchée. Le compteur crépite à tout va et indique une radioactivité de 380 microrems à l'heure. Juste à côté, dans une galerie où l'on peut facilement pénétrer sur plusieurs mètres - il est juste nécessaire de marcher accroupi - là encore, l'appareil s'affole. Et tout ceci sans aucune protection (grillage ou barbelés), ni même un panneau indiquant la possible source de danger.

Même chose, d'ailleurs, à Espeyrac, où, en 1957, la Société centrale d'uranium et de minerais radioactifs, a exploité une galerie aux lieux-dits « Cabanel nord » et « Cabanel sud » et a extrait 3 tonnes d'uranium. C'est le long du GR 65 - le chemin des pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle - que cela se passe. Une grotte d'où s'écoule un filet d'eau est parfaitement visible depuis ledit sentier. Certes, de l'eau empêche d'accéder à la galerie. Mais il suffit que Jean-Louis Bugarel promène son radiamètre le long de la roche pour que le cadran indique une radioactivité de 247 microrems par heure. Une nouvelle fois, pas la moindre signalisation.

Et puis il y a cette eau, justement, qui sort de la cavité et se jette dans un ruisseau dont le cours se dirige vers le bas d'Espeyrac. La mesure effectuée donne un taux assez bas (moins de 50 microrems). « En outre, il faut parvenir à déterminer si c'est l'eau ou le sable et la terre qui sont radioactifs », tempère-t-il. Le militant anti-nucléaire est dubitatif, mais intéressé, face à cette histoire de souches d'arbres phosphorescentes la nuit, repérées par un habitant de « Falguières », toujours à Espeyrac, où 5 tonnes d'uranium ont été extraites à la fin des années '50.

Dans le jardin du voisin de l'ancienne galerie, le compteur indique 32 microrems. Rien d'extraordinaire : « La radioactivité ambiante est estimée entre 16 et 20 microrems », explique Jean-Louis Bugarel, rassurant ainsi ce retraité et son épouse. À l'endroit où se situe l'ancienne galerie, parfaitement fermée, un terrier de renard a été creusé pile à l'aplomb. Le compteur Geiger reste à peu près silencieux en surface, mais dès que le président d'Action environnement plonge son bras dans le trou, ça « crépite fort » : 747 microrems

L'exploitation d'uranium dans ce secteur du nord-Aveyron a donc laissé des traces, plus de quarante après. De l'aveu même de Jean-Louis Bugarel, il n'y a « rien de catastrophique » en regard des normes. Mais il pense que, tant à « Prévinquières », à Florentin-La-Capelle, Cabanel, Espeyrac les anciennes galeries mériteraient d'être mieux bouchées et, surtout, rendues inaccessibles.

(*) Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité ; www.criirad.org.

Les « approximations » de la préfecture

La préfecture avait indiqué que 31 titres miniers ont été délivrés pour l'exploitation de l'uranium en Aveyron, en précisant qu'il s'agissait de 24 permis de recherche (PER), d'un permis d'exploitation (PEX) et de 6 concessions. Se basant sur ses archives, Jean-Louis Bugarel a constaté un certain nombre d' «erreurs» et de «lacunes» qu'il a souligné au représentant de l'Etat dans le département. [Voir: La carte des anciennes mines d'uranium publiée sur internet]

Lui, qui suit le dossier uranium depuis le début des années '80, a recensé 31 PER, 4 PEX et 6 concessions, soit un total de 41 titres miniers. L'association écologiste reprend le préfet qui écrit, en parlant des concessions accordées, que « ces six titres de propriété n'ont jamais été exploitées ». Faux, rétorque Jean-Louis Bugarel, qui rappelle que « la concession des Balaures a été exploitée puisque c'est là que se trouve la mine de Bertholène ».

Ensuite, parmi les PER « oubliés » par la préfecture, Jean-Louis Bugarel cite ceux de Testet (sur les communes de Clairvaux, Valady, Goutrens, Auzits, Escandolières, Saint-Christophe, Firmi, Saint-Cyprien et Noailhac), Marzials (communes de Montjaux, Castelnau-Pégayrols, Comprégnac, Saint-Georges-de-Luzençon et Saint-Rome-de-Tarn) ; Gagnac (communes de Palmas, Coussergues, Vimenet, Gaillac-d'Aveyron, Lapanouse et Buzeins) ; Banc (communes de Palmas, Coussergues, Cruéjouls, Gabriac, Bozouls et Montrozier) ; et Falguières (communes d'Entraygues, Montpeyroux, Coubisou, Golinhac, Sénergues, Campouriez, Campuac, Enguialès, Espeyrac, Florentin-la-Capelle, Le Nayrac et Saint-Félix-de-Lunel).

Enfin, Action environnement liste deux « erreurs » dans la liste des titres miniers établie par l'Etat. Pour Fabreguettes, Jean-Louis Bugarel explique que seule une commune est concernée. Il s'agit de celle de Recoules-Prévinquières. Idem pour la concession des Plaines qui ne concerne que Montrozier.

Zoom - Arbres qui brillent la nuit : l'explication

Un habitant d'Espeyrac, où une mine d'uranium a été exploitée de 1957 à 1960, a assuré à « La Dépêche du Midi » que des souches d'arbres qu'il avait récupérées sur un tas de remblai étaient phosphorescentes la nuit. Une affirmation qui pourrait prêter à rire s'il n'y avait une explication scientifique à ce phénomène. Ce riverain de l'ancienne mine de « Falguières » l'a trouvée dans le livre « Espeyrac en Aveyron », qui retrace l'histoire du village. Au chapitre de la mine uranifère, il est précisé que le minerai d'uranium contenait de la chalcolite qui se présente sous forme de cristaux brillants vert vif, et de l'autunite, qui se dépose en « plaque jaune et fluorescente sur les cailloux » et les arbres.

Entraygues : 20 tonnes

Selon les archives de Jean-Louis Bugarel, le résultat de l'exploitation des mines d'uranium dans le «massif d'Entraygues» représente au total 20,2 tonnes de minerai d'uranium à 0,25%. Florentin-La-Capelle (Prévinquières): 5 tonnes de minerai extraites. Entraygues (Margabal): 1,5 . Espeyrac (Cabanel): 3 . Espeyrac (Falguières): 5 . Sénergues: 1,5. Estaing (Coursières): 1,2. Le Nayrac (Vic-Conquettes): seuls ont eu lieu des travaux de reconnaissance; aucune extraction n'a été réalisée. Montrozier (La Lussague): 1,6 tonne extraite à l'occasion de travaux de reconnaissance. «Et il reste un gisement inexploité dans cette partie des Palanges», assure M. Bugarel. Graissac (Les Plagnes): 1,4 tonne de minerai extraite à l'occasion de travaux de reconnaissance.

 


La Dépêche du Midi, 12/2/2009: 

Aveyron. 15 mines d'uranium sont désaffectées, une seule reste techniquement surveillée. La Criirad crie casse-cou, et danger

15 mines d'uranium abandonnées : danger

Les pouvoirs publics veulent créer un nouveau sigle pour indiquer l'emplacement des sites nucléaires aux générations futures. Un sigle qui puisse résister à des dizaines de milliers d'années de tourmentes climatiques et humaines. Un sigle qui pourrait même résister à l'effacement des mémoires humaines. Parce qu'un homme vit cent ans (au maximum) et que certaines matières fissiles ont une demi-vie de plusieurs dizaines de milliers d'années. Bref, l'atome est plus résistant que l'homme.

Là réside le problème. Or, jusque dans les années soixante, quinze mines d'uranium ont été exploitées en Aveyron. Avec les résidus que cela implique. Parfois de manière marginale (aucune extraction, voire une ou deux tonnes). Et parfois de façon très intensive : c'est le cas de Bertholène, avec 750 tonnes extraites et des milliers de mètres cubes de « stériles ». Les « stériles », voilà le hic. Ils sont ce que l'exploitant abandonne sur le bord de la mine parce que les utiliser ne lui rapporte pas assez. Avec les « stériles », le rapport « coût-bénéfice » est dérisoire.

Tous ces travaux de terrassement de creusement, d'extraction ont laissé sur place ces « stériles », aujourd'hui encombrants. Pour le business, pas assez de minerai pour être rentable. Mais ces « stériles » ne le sont pas pour la nature. Ces dizaines de milliers de tonnes de terre brassée sont lessivées par la pluie et entraînent souvent des matières radioactives dans les ruisseaux, les rivières. Et, au final, dans les organismes humains. Avec la publication d'un inventaire des sites abandonnés -quasiment contrainte par l'émission «Pièce a conviction» diffusé hier soir sur France 3 qui va aborder la question- c'est tout un pan de la mémoire minière qui remonte à la surface.

Exemple : la seule des quinze mines de l'Aveyron surveillée rejette ses effluents à Bertholène dans les « Belaures », un affluent de l'Aveyron Les gosses qui taquinent le poisson à Layoule sont-ils exempts de tout risque ? Rien n'est moins sûr. En tout cas, dans une époque où l'opinion aspire à la sûreté, seule l'association « France Nature environnement » dispose des données recueillies et ne les publie pas. Quinze mines d'uranium ont été exploitées en Aveyron. Quels en sont les effets induits ? Il est légitime de se poser la question. C'est une direction toulousaine de l'Industrie de la Recherche et de l'Environnement qui est chargé du suivi de ces « stériles ». Dormons tranquilles.
Communes concernées

Bertholene : fermé en 1994. 745 tonnes d'uranium extrait

Brousse-le-Château (Broquies, Le Rouble): aucune information.

Entraygues (Margabal): fermé en 1960 1,5 T d'uranium extrait.

Estaing (Coursière): fermé depuis ? 1,2 T d'uranium extrait.

Eysperac (Falguière): fermé en 1960. 5T d'uranium extrait.

Eysperac (Cabanel): fermé en 1960. 3T d'uranium extrait.

Florentin la Capelle (Prévinquières): fermé en 56. Pas d'information.

Gages (Bennac. La Lussague): fermé en 1968. Pas d'information

Graissac (Les Plagnes):fermé en 1979.1,4 T d'uranium extrait.

Le Nayrac (Vic Conquette): absence totale d'informations.

Montrozier (Lussagues): fermé depuis? 1,6 T d'uranium extrait.

Saint Martin (Le Roube): fermé en 1981. Pas d'information.

Senergues: fermé depuis 1960. 1,5 T d'uranium extrait