Le Monde, 24/01/2006:

Le nombre de leucémies autour des sites nucléaires français se situe dans la moyenne

Le prochain Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) ­ no 4/2006 ­ de l'Institut de veille sanitaire (InVS) publie une étude de nature à mettre un terme à la vieille polémique concernant les risques de leucémie auxquels seraient exposés les enfants vivant à proximité des sites nucléaires.

Ce travail, qui a été dirigé par Jacqueline Clavel (unité 754 de l'Inserm) et auquel ont participé des chercheurs de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (Fontenay-aux-Roses) constitue la première étude systématique sur l'incidence des leucémies de l'enfant autour de l'ensemble des installations nucléaires françaises ­ sites et centrales ­ métropolitaines. Pour leur étude, les chercheurs ont choisi d'étudier la population de tous les enfants âgés de moins de 15 ans et résidant à moins de 20 kilomètres de 29 sites nucléaires.

« Nous avions publié les résultats de ce travail en 2004 dans une revue scientifique britannique spécialisée », rappelle Mme Clavel. Mais « ces informations n'étaient pas alors sorties du cercle de notre communauté de chercheurs. Au vu des nombreuses questions régulièrement soulevées sur ce thème par les différents responsables sanitaires au niveau national, mais aussi régional et départemental, il nous a semblé nécessaire d'en publier une synthèse dans le BEH ».

Tous les cas de leucémies aiguës diagnostiqués entre le 1er janvier 1990 et le 31 décembre 1998 ont été recensés. Dans chaque zone, le nombre des cas de leucémies « attendus » a été obtenu à partir des effectifs de la population et des taux d'incidence de leucémies tel qu'il est établi par le Registre national des leucémies et lymphomes de l'enfant. Les auteurs ont aussi cherché de diverses manières s'il existait une décroissance des « ratios d'incidence standardisés » (SIR) en fonction de la distance aux sites nucléaires pris en compte dans cette étude.

Chinon et Civaux en excès « Au total, 670 cas de leucémies ont été observés entre 1990 et 1998 (...) pour 729,09 cas attendus, concluent les auteurs. Globalement il n'apparaît aucune hétérogénéité des SIR entre les zones concentriques de distance au site, ni de tendance du SIR avec cette distance. » Les chercheurs précisent toutefois que l'analyse par site montre un excès significatif d'incidence autour des centrales nucléaires de Chinon (Indre-et- Loire) et de Civaux (Vienne). Sur ces deux sites, le nombre des cas attendus était respectivement de 6,64 et de 2,95 alors que celui des cas recensés a été de 14 et de 7. A l'inverse, les auteurs de l'étude concluent à un déficit significatif d'incidence autour des sites de Bruyères/Saclay/Fontenay, où 471 cas ont été observés, contre 520,91 cas attendus.

Toutefois, les chercheurs qui ont établi ce rapport précisent que, contrairement aux apparences, ces résultats n'ont pas de signification statistique. « Compte tenu de la multiplicité des comparaisons auxquelles nous procédons dans ce travail, nous nous devions d'avoir recours à une correction statistique dite de Bonferroni, explique Denis Hémon (unité 754 de l'Inserm), cosignataire de ce travail. Une fois cette correction effectuée, ces excès ou ce déficit perdent toute signification statistique. »

En d'autres termes, rien ne permet d'établir un lien de causalité entre les cas de leucémies observés dans la région de Chinon et de Civaux et l'activité nucléaire de ces sites. Tout comme, dans l'autre sens, on ne peut conclure que l'activité des sites de Bruyères/Saclay/Fontenay pourrait expliquer une incidence de leucémie inférieure à la moyenne nationale.

Jean-Yves Nau