Les chercheurs ont parfois des idées
un peu folles. Et dans la catégorie, celle présentée
par Andy Haverly pourrait bien remporter la palme. Il veut faire
exploser une bombe nucléaire ultrapuissante dans le fond
de l'océan Austral. Objectif ? Sauver l'humanité
et accessoirement, la biodiversité aussi ,
bien sûr.
Le réchauffement climatique que nous alimentons au quotidien
par nos consommations d'énergies fossiles constitue aujourd'hui
une menace pour la survie de notre humanité. Des solutions
existent. La plupart demandent, si ce n'est un effort, quelques
changements dans nos manières d'appréhender le monde.
Et sans doute pour le meilleur, finalement.
Qu'à cela ne tienne. Certains n'envisagent pas de réellement modifier leurs façons de faire. Alors, ils cherchent une autre porte de sortie en ayant recours à grande échelle à des technologies de capture et de stockage du dioxyde de carbone (CO2) excédentaire dans notre atmosphère, par exemple. Et en la matière, un chercheur du Rochester Institute of Technology (États-Unis) propose aujourd'hui une idée complètement folle. À la base de son projet qu'il qualifie d'«audacieux», une explosion nucléaire dans le fond marin !
Aider l'océan à séquestrer
plus de CO2
Ce n'est pas la première fois
que l'idée est lancée. Dans les années 1960,
le projet Plowshare avait étudié l'effet que pourrait
avoir une explosion nucléaire sur les matériaux
géologiques du fond des océans. Et ce qu'Andy Haverly
imagine ici, c'est qu'en pulvérisant le basalte qui constitue
les fonds marins, une telle explosion pourrait accélérer
la séquestration du carbone par un phénomène
connu des scientifiques sous le nom d'altération forcée
des roches - ou ERW pour Enhanced Rock Weathering.
Cela mérite sans doute quelques explications. D'abord pour rappeler qu'il est connu des chercheurs que l'océan capture une part du CO2 présent dans notre atmosphère. Il séquestre ainsi même près de 30 % de ce gaz à effet de serre que nous émettons. L'un des processus par lequel il procède repose que la présence dans les fonds marins de roches alcalines comme le basalte. Lorsqu'elles entrent en contact avec une eau chargée en CO2, elles se dissolvent. Le CO2 s'intègre alors à un calcaire qui reste stocké au fond de l'eau.
Miser sur l'altération forcée
de la roche pour éliminer le CO2 de notre atmosphère
Le processus est apparu intéressant
aux chercheurs dès les années 1990, alors que
la crise climatique soulevait un intérêt nouveau
pour les solutions qui permettraient d'éliminer du CO2
de notre atmosphère. Aujourd'hui, les experts considèrent
qu'il sera nécessaire d'avoir recours à la capture
et au stockage de carbone si nous espérons maintenir le
réchauffement sous un seuil «acceptable». Le
Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du
climat (Giec) le considère même comme « inévitable
». Mais les scientifiques craignent que les promesses de
ce type de solutions ne viennent amoindrir encore un peu plus
les efforts que nous consentirons pour limiter - et finalement
ramener au zéro net - nos émissions de gaz
à effet de serre.
L'idée de l'altération forcée des roches, c'est celle qui consiste à optimiser les propriétés naturelles du basalte, par exemple, pour accélérer le processus de stockage géologique du CO2. Pour cela, il faut broyer la roche. Ce faisant, on augmente la surface de contact et ainsi, l'efficacité de la capture. Il y a un an environ, le groupement Frontier - des géants de la Tech réunis pour doper l'industrie du captage de CO2 - avait annoncé un investissement de 57 millions de dollars pour pousser le développement de technologies d'altération forcée des roches.
Une explosion nucléaire colossale
du côté de l'Antarctique
Ces précisions apportées,
revenons à l'idée développée par Andy
Haverly. Le chercheur détaille comment il est parvenu à
calculer la puissance d'une explosion nucléaire qui permettrait
de séquestrer l'équivalent de 30 ans d'émissions
de CO2 dans du basalte. Une explosion de l'ordre de 81 gigatonnes
(Gt) de TNT. Alors même que la plus puissante bombe atomique
à n'avoir jamais explosé ne dépassait pas
les 50 mégatonnes (Mt). C'est environ 1 000 fois
moins que ce que vise Andy Haverly. « Ce n'est pas
à prendre à la légère », remarque-t-il
ainsi avec lucidité.
D'autant que d'autres études récemment
publiées remettent déjà en question ce que
l'on pourrait attendre de l'altération accélérée
des roches. Les chercheurs ont en effet étudié quelques
« pièges » liés aux compositions géochimiques
et minéralogiques des poudres de roche qui ont pu mener
à une surestimation de l'efficacité de la méthode.
Mais Andy Haverly nous rassure. Tout devrait bien se passer. Selon
ses calculs, enterrer l'engin nucléaire - une très
classique bombe à hydrogène - sous le plateau
de Kerguelen dans l'océan Austral, à quelque chose
entre 3 et 5 kilomètres de profondeur dans le fond
marin riche en basalte et à environ 6 ou 8 kilomètres
sous la surface de l'eau maintiendra l'explosion dans l'eau. Et
le basalte devrait absorber et piéger la majorité
des radiations à un niveau local.
Quelles retombées pour une telle
explosion nucléaire ?
La majorité des radiations ? Le chercheur prévoit
« peu ou pas de pertes de vies humaines en raison des effets
immédiats des radiations ». À long terme,
il reconnaît tout de même que l'explosion aura «
un impact sur les humains et entraînera des pertes ».
Cette augmentation des radiations ne constituerait toutefois,
selon Andy Haverly, « qu'une goutte d'eau dans l'océan
». Attendu que « chaque année, nous émettons
davantage de radiations provenant des centrales à charbon
et nous avons déjà fait exploser plus de 2 000 engins
nucléaires ». Alors, un de plus ou un de moins...
Surtout que le réchauffement climatique menace, lui, au
moins 30 millions de vies d'ici 2100.
Le même argument est retenu concernant l'impact d'une telle explosion nucléaire sur l'écosystème. Que représente une douzaine de kilomètres carrés « rayés » de la carte face à la perte de biodiversité qu'engendre le réchauffement climatique ? Entre hausse des températures, modification des régimes de précipitations, fragmentation ou perte des habitats, acidification, phénomènes météorologiques extrêmes et modification des cycles saisonniers, selon le chercheur, « il est clair que le changement climatique représente un risque plus important pour l'écosystème mondial ».
Ne reste donc plus qu'à réunir les 10 milliards de dollars qui seront nécessaires à fabriquer cette bombe atomique et à passer outre - pour le bien de l'humanité uniquement, s'entend... - tous les traités de non-prolifération et le tour sera joué. Avec la promesse d'un retour sur investissement puisque le coût du changement climatique est évalué aujourd'hui à 100 000 milliards de dollars. « Sur le plan financier au moins, c'est la marche la plus évidente à suivre », conclut Andy Haverly. Sur le plan financier...