Le Monde, 23 novembre 2006:

André-Claude Lacoste le gendarme du nucléaire

Nommé à la tête de la nouvelle Autorité de sûreté nucléaire, ce polytechnicien ingénieur des Mines supervise depuis treize ans déjà le contrôle de la filière de l'atome. Les écologistes doutent de son impartialité.
La retraite guettait André-Claude Lacoste. Le 15 novembre, ce haut fonctionnaire, qui faisait office depuis treize ans de " gendarme du nucléaire ", a fêté ses 65 ans. Mais voilà qu'à moins d'une semaine de son anniversaire, âge limite pour accéder à la direction d'une autorité administrative indépendante, Jacques Chirac l'a nommé, pour six ans, à la présidence de la nouvelle Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Cette nomination in extremis tient de l'exploit. Elle est l'aboutissement d'un processus législatif et réglementaire d'une rare célérité : la loi sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire, parue le 14 juin. En 2001, Dominique Voynet, alors ministre de l'environnement, avait échoué à porter un texte comparable à son terme. Cette fois, Jacques Chirac a hâté les débats en réclamant l'instauration d'une autorité indépendante, début 2006.
" Je n'ai pas voté la loi seul dans ma chambre ", plaisante André-Claude Lacoste, en réponse à ceux qui voudraient faire accroire que l'âge du capitaine a influencé le calendrier. Pourtant, Claude Birraux, député UMP, spécialiste des questions nucléaires, confirme que " ce grand serviteur de l'Etat " était bien " le pressenti ". Et que les parlementaires " avaient cette échéance en tête ".
De fait, l'Autorité de sûreté nucléaire va comme un gant à M. Lacoste, qui se succède à lui-même à la tête des 420 agents et des 50 millions d'euros de budget de fonctionnement dévolus à la précédente direction générale pour la sûreté nucléaire et la radioprotection. C'est peu dire que cette nomination à un poste-clé - M. Lacoste aura la haute main sur le contrôle de l'ensemble des activités nucléaires, défense exclue - ne fait pas que des heureux.
Yves Cochet, député (Verts), y voit le symbole du caractère " figé, endogamique, du lobby nucléaire ". S'il fait confiance à la " rigueur méthodologique " de M. Lacoste, il doute de sa volonté de transparence. L'ancien ministre de l'environnement (2001-2002) évoque un épisode où le haut fonctionnaire lui a manqué " par omission ". " A propos de transports nucléaires transfrontaliers, mon homologue allemand, Jürgen Trittin, m'avait sorti des lettres de Lacoste dont je n'avais pas connaissance ", se souvient-il.
L'intéressé, qui se qualifie volontiers de " grand commis ", ne cache pas sa volonté d'assurer la continuité de l'Etat. " Depuis février 1993, j'ai eu l'honneur de servir sous les ordres de cinq ministres de l'industrie et de trois ministres de l'environnement ", relevait-il déjà en 1997 devant les élèves de l'Ecole des mines. Les Mines, épouvantail des écologistes, serait le creuset de son attachement au nucléaire. " Il incarne la volonté de maintenir le pouvoir du corps des Mines au sein de l'Etat, avance Mycle Schneider, consultant antinucléaire. Pour lui, protéger la filière nucléaire est capital. "
André-Claude Lacoste balaie cette diabolisation du corps des Mines : " Je m'attache à panacher mes collaborateurs. " La preuve : il y a même des " gens des Ponts - et Chaussées - " parmi eux.
Sa formation l'a d'abord conduit dans le Nord-Pas-de-Calais. Jeune ingénieur stagiaire, il dirige une opération de secours, le 2 février 1965, après un coup de grisou dans la mine d'Avion, près de Lens : 21 victimes. " Après ça, les discours sentimentaux sur les mineurs attachés à leur travail, ça ne tient pas la route ", lâche-t-il.
Autre expérience marquante, trois années passées à Madagascar et en " Afrique-Equatoriale française ", dans les bagages d'un père officier du génie et ingénieur géographe et d'une mère au foyer. " Enfant, on a un sentiment tout à fait aigu de ce qu'est la misère. Depuis, les discours sur la croissance zéro me mettent mal à l'aise. " L'homme mûr se définit aujourd'hui ainsi : " J'ai un nombre limité de convictions simples. "
On lui prête un sens politique à toute épreuve. Après une carrière au ministère de l'industrie, il est nommé en 1993 à la tête des services de contrôle du nucléaire civil " conjointement par Ségolène Royal et Dominique Strauss-Kahn ". Il s'emploiera ensuite, au fil des gouvernements de droite comme de gauche, à rassembler sous son autorité le contrôle non seulement des installations, mais aussi des transports et de la protection des personnes et de l'environnement.
" C'est un homme de pouvoir, ce qui peut froisser certains ", note Jacques Repussard, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), un organisme chargé de la recherche et de l'expertise que M. Lacoste est régulièrement soupçonné de vouloir annexer - ou bâillonner. " Mais il a construit une véritable autorité de sûreté, un instrument qui manquait, ajoute M. Repussard. Et il sait que l'indépendance de jugement a de la valeur. "
C'est peut-être son premier voyage à Tchernobyl en 1994 qui l'en a convaincu. " J'en garde un souvenir effroyable d'irréalité, se souvient M. Lacoste. Il y avait une confusion totale des rôles, au sein de l'Etat, entre les fonctions de conception, de construction et de contrôle. " Pour lui, l'autorité de sûreté doit être un arbitre, " en dehors de la mêlée ".
Impartialité de façade, estiment ses adversaires, qui pointent ses accommodements avec l'industrie. Savait-il, avant que le scandale n'éclate, en 1998, qu'EDF et Areva cachaient depuis des années la contamination de certains transports radioactifs ? Mycle Schneider en est persuadé. Le haut fonctionnaire admet seulement avoir eu " des soupçons ".
Pourquoi n'a-t-il pas réagi quand EDF a déclaré unilatéralement que ses centrales nucléaires fonctionneraient au moins quarante ans, sans attendre les résultats des futures des visites décennales réglementaires ? " Je n'ai pas entériné. Nous évaluerons réacteur par réacteur ", répond André-Claude Lacoste. Il assume aussi les délais pour les réparations et les dérogations accordées aux exploitants. Comme en 2003, lorsque les débits des rivières étaient trop bas pour respecter les normes environnementales.
N'a-t-il pas aussi fait preuve de complaisance envers Areva, qui a mis des années à fermer un atelier de plutonium ne répondant pas aux normes sismiques ? " Je m'en veux, répond-il, on a perdu du temps à étudier des solutions avancées par Areva qui n'étaient pas valides. Je me suis fait abuser. " Unique aveu de faiblesse d'un homme d'autorité.

Hervé Morin