Indian-Point 2
(suite le 6/3/2000)

Des analyses préliminaires de l'exploitant Con Ed et de l'autorité de sûreté américaine NRC indiquent que la rupture du tube de générateur de vapeur qui s'est produite le 15 février dernier aurait pour origine une fissuration de 6,2 à 7,5 cm dans la partie cintrée du tube en U et serait due à de la corrosion sous contrainte de l'alliage inconel 600. La fissuration a été trouvée par des examens vidéo effectués à l'intérieur des tubes avec des caméras à flexibles. D'autres examens sont en cours à l'extérieur des tubes. L'exploitant revérifie les données de l'inspection effectuée en 1997 pour voir s'il y avait des indications de fissuration à cette époque.
Des représentants officiels des comtés de la banlieue nord de New-York se sont entretenus avec des membres de la NRC. S'ils estiment que les échanges d'informations ont été excellents, ils n'ont, par contre, obtenu aucune garantie quant à la sûreté des réacteurs d'Indian Point et, ajoute une déléguée du Comté de Westchester : " je ne peux pas dire qu'ils [les membres de la NRC] se sentent à l'aise concernant la sûreté à long terme de la centrale ".
La Con Ed espère pouvoir effectuer le rechargement du combustible du réacteur au mois d'avril.
(D'après Nuclear News Flashes, 3 mars 2000. Las Vegas Sun 29 février 2000)




Indian-Point 2
(20/2/2000)

USA, État de New-York : fuite radioactive à la centrale d’Indian Point par rupture d’un tube de générateur de vapeur du réacteur lndian Point-2. Ou comment des signes précurseurs négligés conduisent à un incident sérieux.

Résumé

La fuite radioactive sur un générateur de vapeur du réacteur Indian Point-2 le mardi 15 février à 19h20 a entraîné le déclenchement d’une " Alerte " de niveau 2 qui semble correspondre au plan d’urgence interne (PUI) de niveau 2 comme celui que nous venons de connaître à la centrale du Blayais fin décembre. Des inspecteurs de l’autorité de sûreté NRC (Nuclear Regulatory Commission, équivalente à la direction de la sûreté des installations nucléaires DSIN) ont été dépêchés sur le site et des experts en sûreté nucléaire ont contrôlé les opérations depuis Philadelphie avec un centre opérationel de la NRC établi à Rockville. Les autorités gouvernementales tant locales que de l’État de New-York ont été prévenues.

Le réacteur a été arrêté manuellement à 19h29 puis le générateur de vapeur défaillant a été isolé. L’alerte a été maintenue jusqu’à mercredi 16 à 18h50, le réacteur ayant été mis en état d’arrêt à froid après baisse de la pression et de la température de l’eau du circuit primaire.

Les autorités responsables -la NRC, l’exploitant et les autorités de l’État de New York- affirment qu’il n’y a eu aucun risque pour les employés et la population car " l’augmentation de radioactivité détectée au voisinage du site est négligeable ". Cependant, d’après une dépêche de l’Associated Press, en dépit des assurances de l’exploitant " certains habitants ont toutefois exprimé des sentiments de peur et de colère pour n’avoir pas été avertis. Quelque 250.000 personnes vivent dans un rayon d’une quinzaine de kilomètres et 15,5 millions dans un rayon de 80 km "

---------------

La centrale d’Indian Point est située sur la rivière Hudson à Buchanan dans l’État de New York, à une soixantaine de km au nord de New-York City, à moins de 40 km des limites de l’agglomération. Elle comprend 2 réacteurs en fonctionnement, Indian Point 2 et 3.

La fuite radioactive est due à la rupture d’un tube de l’un des 4 générateurs de vapeur du réacteur Indian Point 2. C’est un réacteur PWR Westinghouse (comme nos réacteurs) d’une puissance nette de 994 Mwe et l’exploitant est la Compagnie Consolidated Edison. Il a été couplé au réseau en juin 1973 et a donc plus de 26 ans. D’après le département de l’énergie des Etats-Unis (DOE) la licence d’exploitation du réacteur 2 est valable jusqu’en 2013.

 

Rappels

Rappelons que les générateurs de vapeur (GV) sont les échangeurs de chaleur à tubes verticaux, entre l’eau du circuit primaire et du circuit secondaire. Très schématiquement, l’eau du primaire circule sous pression et haute température dans les tubes du générateur de vapeur et cède sa chaleur à l’eau du circuit secondaire qui se transforme en vapeur allant alimenter la turbine productrice d’électricité.

Chaque GV est un bazar énorme de plus de 300 tonnes, d’une vingtaine de mètres de haut comportant un peu plus de 3300 tubes en U (mais ce U est à l’envers, avec la partie cintrée en haut). Les tubes, de diamètre extérieur 2,22 cm avec une paroi mince de 1,27 millimètre d’épaisseur, sont en Inconel 600, un alliage très sensible aux phénomènes de fatigue vibratoire et de corrosion. Ces tubes peuvent donc se fissurer et une fissure importante peut entraîner la rupture brutale du tube. Un corps " migrant " peut aussi user un tube et provoquer sa rupture comme cela a été le cas à Tihange (Belgique) en juillet 1996. Une fraction des tubes est donc fissurée et ces tubes défectueux " fuient " : on mesure le débit de fuite pour qu’il ne devienne pas trop important (il y a un critère de débit de fuite dit " acceptable "). On bouche les tubes défectueux qui risqueraient de se rompre. Il faut donc contrôler l’intégrité des tubes (méthodes par courants de Foucault, inspection télévisuelle entre autres) mais cela représente environ plus de 50 km à contrôler !

 

Pourquoi craint-on la rupture de ces tubes ?

Les tubes de GV constituent les 2ème et 3ème barrières de la " défense en profondeur ". La rupture d’un tube met en effet en communication le circuit primaire, radioactif, avec le circuit secondaire avec rejets radioactifs dans l’environnement. La probabilité de rupture d’un tube de GV s’est avérée avec le nombre d’incidents de ce type répertoriés dans le monde au cours du temps (le " retour d’expérience ") 100 fois plus élevée que les prévisions initiales.

Sur nos réacteurs de type Westinghouse, comme celui d’Indian Point, lors d’une rupture complète d’un tube GV il faut impérativement que la conduite pour ramener le réacteur dans un état " sûr " soit manuelle. En effet, dans le cas contraire, d’après Jacques Libmann, (Approche et analyse de la sûreté des réacteurs à eau sous pression, INSTN, 1987) si les opérateurs laissent l’installation se comporter sous la seule influence des automatismes et que la situation se prolonge sans intervention humaine " on finirait alors par dénoyer les éléments combustibles provoquant la rupture des gaines et le transfert direct des produits de fission volatils vers l’environnement, situation véritablement catastrophique [souligné par moi]". L’auteur ajoute aussitôt pour nous rassurer que cette situation est heureusement invraisemblable, des procédures détaillées ont été étudiées et mises au point et que dans ces conditions les rejets peuvent être limités à des valeurs acceptables. En somme, il faut vraiment compter sur la compétence des opérateurs et leur rapidité d’exécution et l’auteur ne définit pas ce qu’il entend par " valeurs acceptables " des rejets. Acceptables par qui ? Par l’exploitant ? On n’a pas demandé à la population ce qu’elle jugeait " acceptable ".

 

Signe précurseur de la rupture : le débit de fuite augmente mais reste dans les normes ; aucune action correctrice n’est effectuée.

D’après Nuclear News Flashes du 18 février, les informations fournies par l’autorité de sûreté américaine NRC indiquent que le volume des fuites pour l’ensemble des 4 générateurs de vapeur était de 3,78 litre par jour (1 gallon par jour) en octobre 1999. Le 6 février dernier le GV qui sera plus tard responsable de l’incident a soudain un taux de fuite 1,5 fois plus élevé que l’ensemble des 4 GV auparavant, puis 3 fois plus élevé (environ _ litre par heure). Cependant le critère " acceptable " de fuite est respecté puisqu’il est de 17 litres par heure par GV donc rien n’est fait. Le 15 février, rupture du tube. D’après les premières estimations la fuite aurait atteint de 75 à 100 gallons par minute soit de l’ordre de 20 000 litres par heure.

Deux jours après l’incident les experts de la NRC sont toujours incapables de dire quel volume d’eau radioactive a fui du primaire vers le secondaire, il est question de 20 000 litres. A notre connaissance il n’y a pas eu, hors du site, de mesures de radioactivité par des associations indépendantes.

Le réacteur est en arrêt à froid pour une durée indéterminée afin d’être inspecté et réparé.

 

Quelques remarques

Cet incident montre que le respect des critères de fuite acceptables n’est pas une garantie de non survenue d’un incident (qui peut tourner en accident grave si les opérateurs réagissent mal ou pour une autre raison). D’ailleurs on sait bien que dans le cas d’amorçage d’une fissure circonférencielle la rupture peut survenir sans qu’il y ait eu aucun signe préalable de fuite.

On devrait donc, en toute logique, tenir compte de tous les incidents quels qu’ils soient, même s’ils apparaissent comme mineurs au niveau de leurs conséquences immédiates. Cette approche de l’importance des incidents " précurseurs " n’est jamais prise en compte dans les évaluations officielles de sûreté alors qu’elles apparaissent comme fondamentales dans toutes les catastrophes industrielles qui surviennent dans notre société, qu’elles soient chimiques, nucléaires ou autres.

Un autre point où les conséquences radiologiques dans l’environnement peuvent être très graves : le cas où plusieurs tubes de GV seraient rompus. Par exemple par fouettage sur les tubes voisins d’un tube rompu ou par rupture simultanée de plusieurs tubes résultant d’une dépressurisation brutale du circuit secondaire. Ceci pourrait se produire par une brèche sur la ligne de vapeur principale du secondaire. Un exemple : si au lieu de la fissuration qui s’est produite à Fessenheim sur un tronçon (le " tronçon protégé ") de la ligne de vapeur principale du circuit secondaire on avait eu une rupture " guillotine " de la tuyauterie. Cette éventualité a conduit au remplacement des " tronçons protégés " de tous les réacteurs 900 MW du parc (Gazette Nucléaire 113/114 mars 1992, Libération 6-7 février 1993).

A ce propos il ne faudrait pas oublier que les lignes de vapeur principales de nos réacteurs plus récents présentent aussi nombre de défauts métallurgiques qui sont d’ailleurs souvent d’origine, présents dès la mise en route. Il y a bien longtemps qu’on n’a plus entendu parler des défauts de Saint-Alban etc. On aimerait être sûr qu’il y a bien un suivi métallurgique de ces parties sensibles. Rien n’ayant été publié à ce sujet nous pouvons douter que ce genre d’événements soient pris en considération par les autorités de sûreté.

Ceci revient aussi à insister sur le fait que les incidents qui ne donnent pas lieu à classification dans l’échelle INES peuvent avoir des conséquences importantes dans les séquences incidentelles et accidentelles ultérieures. Il faut se souvenir que l'échelle INES est une échelle de communication et pas une échelle de sûreté.

L’incident d’Indian Point nous rappelle fort à propos que " les études probabilistes pour une sûreté au meilleur coût " effectuées actuellement par les chercheurs d’EDF aboutissent à augmenter la taille des défauts jugés critiques pour les tubes de GV. Espérons que le programme de bouchage des tubes ne sera pas conditionné par une optimisation de ce genre fondée sur des critères strictement économiques ! (Gazette Nucléaire 165/166, avril 1998, p.29)

 

Pour terminer ajoutons que, concernant Indian Point2, l’examen de l’efficacité de ce réacteur (rapport entre l’énergie électrique réellement fournie et l’énergie qui aurait dû être fournie si le réacteur avait fonctionné normalement à sa puissance nominale) montre que les problèmes d’Indian Point 2 datent de plusieurs années. Nous donnons ici les efficacités de ce réacteur depuis 1989

1989 : 52,10%
1990 : 60,47%
1991 : 45,12%
1992 : 91,09%
1993 : 68,89%
1994 : (nous n’avons pas les donnée)
1995 : 56,99%
1996 : 90,53%
1997 : 37,29%
1998 : 29,17%
1999 : aucune donnée disponible actuellement

Ces données sont extraites d’Electronuc mémento publié en France par le Commissariat à l’Energie Atomique. Elles révèlent les dysfonctionnements rencontrés par ce réacteur au point de faire chuter son efficacité à moins de 30%. Ce réacteur Westinghouse n’est pas un succès économique ! Il est vraisemblable de penser que ce sera le prochain réacteur à être arrêté définitivement. D’après la NRC la dégradation des tubes de GV a contribué à la décision d’arrêt définitif du réacteur Trojan dans l’Orégon. Dans les 5 prochaines années 11 centrales américaines vont procéder au changement des générateurs de vapeur. Cependant " d’autres exploitants peuvent choisir la fermeture des réacteurs au cas ou la réparation ou le changement des composants [défectueux] s’avèrent prohibitifs du point de vue économique ".

 

Le réacteur Indian Point-3 de 965 Mwe a été couplé au réseau en 1976 et l’exploitant est NYPA, la New-York Power Authorities (compagnie d’électricité de l’État de New-York). D’après le réseau antinucléaire " Citizens Awareness Network " des défauts de conception existent pour les deux tranches 2 et 3 et l’ingénieur de sécurité et chef de projet Robert D. Pollard a démissionné de son poste en 1976 en les citant. Pour lui, les réacteurs d’Indian Point étaient " en attente d’accident ", " an accident waiting to happen ". (Il a été ensuite le président de l’Union of Concerned Scientists. Mais l’UCS, comme nombre d’associations américaines se préoccupent actuellement des changements climatiques et très peu du maintien en fonctionnement des réacteurs vieillissants).

Quant à Indian Point-1, réacteur PWR Babcock et Wilcox de 225 Mwe, couplé au réseau en 1962 il a été mis en arrêt définitif en 1974 pour défauts sur le circuit de refroidissement du cœur. Le cœur a été déchargé depuis 1976 et le combustible usé stocké en piscine sur le site en attente d’un site de stockage définitif. Le projet de démantèlement soumis aux autorités de sûreté date de 1980 mais les opérations de démantèlement n’ont pas commencé.

Bella Belbéoch, 20 février 2000.