Indian Point: la centrale de tous les dangers

 

 

Le Monde, 26/8/2008: 

Le risque sismique dans la région de New York est revu à la hausse

La "grosse pomme" est-elle assise sur une zone sismique ? La réponse est oui, selon une étude réalisée par une équipe de l'université américaine Columbia. Publié dans le numéro d'août du Bulletin of the Seismological Society of America, cet article révise à la hausse le risque de séisme dans la région de New York.

En compilant documents historiques et enregistrements de sismographes, les chercheurs de Columbia ont confectionné un catalogue rassemblant 383 tremblements de terre allant de 1677 à 2007, sur une zone de près de 40 000 km2 centrée autour de la "ville qui ne dort jamais".

Ils ont notamment identifié trois séismes de magnitude 5 qui ont eu lieu en 1737, 1783 et 1884. Si les récits manquent pour les deux premiers, le dernier est mieux connu, puisque les journaux d'alors ont rapporté l'écroulement de cheminées ou la panique qui a saisi des baigneurs à Coney Island. Un tel événement, estiment les chercheurs, se produit en moyenne une fois par siècle. Mais la magnitude 5 n'est pas le maximum possible, ajoutent-ils : des tremblements de terre de magnitude 6 voire 7 sont possibles, soit des événements 10 voire 100 fois plus importants.

Pour en arriver à ces conclusions, les géophysiciens ont étudié à la loupe le réseau de failles de la région. Grâce aux données récentes des sismographes, qui enregistrent des secousses parfois imperceptibles pour l'homme, ils se sont aperçus que certaines failles considérées comme inactives ne l'étaient pas, tout en découvrant des structures inconnues jusqu'alors. Leur attention a été particulièrement attirée par une ligne parcourue de petits séismes, qui rejoint une autre zone sismique identifiée.

Or, à quelques pas de ce carrefour se situe la ville de Buchanan (New York), le long du fleuve Hudson, avec sa centrale nucléaire d'Indian Point, dont deux des trois réacteurs sont toujours en activité. Cette découverte ne pouvait pas moins bien tomber pour son exploitant, Entergy, qui essaie actuellement de prolonger la vie des réacteurs de vingt années supplémentaires. En effet, construits au milieu des années 1970 sur la base de données sismiques anciennes, ils pourraient ne pas résister à un tremblement de terre majeur.

Si un tel événement se produisait, la centrale nucléaire d'Indian Point ne serait pas la seule à souffrir. Autoroutes, voies ferrées, gazoducs, oléoducs et lignes électriques traversent les zones à risque. Quant aux immeubles, bon nombre d'entre eux ont été construits bien avant l'existence des normes parasismiques... Comme l'explique Lynn Sykes, principal auteur de l'étude, "la probabilité d'avoir un tremblement de terre est à peu près la même aujourd'hui qu'en 1609, quand Henry Hudson a remonté le fleuve.

Mais le danger lié à un tremblement de terre est beaucoup, beaucoup, plus élevé aujourd'hui, puisque le nombre de personnes, de biens et leur vulnérabilité sont tellement plus importants." Selon une analyse effectuée en 2003, un fort tremblement de terre dans la métropole new-yorkaise occasionnerait de 39 à 197 milliards de dollars de dégâts.

 


Le Monde du 31/1/03:

Indian Point: la centrale de tous les dangers

Jusqu'au 11 septembre 2001, ce n'était qu'une centrale nucléaire un peu vétuste, tout près de New York. Aujourd'hui, elle cristallise la peur et les hantises des Américains.

Le 11 septembre 2001 au petit matin, les terroristes aux commandes de deux Boeing détournés ont suivi dans un ciel sans nuages l'Hudson pour se diriger vers Manhattan. Trois minutes seulement avant de s'écraser à pleine vitesse sur les tours du World Trade Center, ils survolaient sur la rive est un immense bâtiment flanqué de trois dômes gris en béton caractéristiques, la centrale nucléaire d'Indian Point.

Elle se trouve à peine à 40 kilomètres au nord de la ville de New York, dont elle fournit un tiers de l'électricité. Plus de 20 millions d'habitants vivent dans un rayon de 80 kilomètres. Elle est considérée comme la plus dangereuse des Etats-Unis. L'un des deux réacteurs actifs, Indian Point 2, a connu le plus grand nombre d'incidents de toute l'industrie nucléaire du pays. Il y a un an, il était le seul parmi la centaine en service à recevoir une note rouge de la Commission de contrôle de l'industrie nucléaire (NRC). L'autorité fédérale évalue les risques de vert, le plus faible, à blanc, jaune et rouge, le plus élevé. Indian Point 2 est revenu aujourd'hui à jaune, personne n'est rassuré pour autant.

Une étude remise le 10 janvier au gouverneur de l'Etat de New York juge les procédures d'évacuation de la population en cas d'accident ou d'attentat "insuffisantes et inadaptées". Selon de nombreux témoignages, les gardes de sécurité seraient incapables de faire face à une attaque. Les structures de confinement en béton ne résisteraient pas à l'impact d'un avion. Les déchets sont entreposés dans des piscines qui ne sont pas protégées. Les élus locaux, les associations, les écologistes, les riverains se mobilisent pour obtenir la fermeture du site. Fait sans précédent, le comté de Westchester, où se trouve la centrale, se dit prêt à la racheter à son propriétaire privé, le groupe Entergy, pour la fermer. Il pourrait y consacrer trois fois son budget annuel, plus de 3 milliards de dollars.

Pour la NRC, il n'y a aucune raison de s'alarmer. La centrale est sûre, les normes sont respectées. Mais la crédibilité de l'agence fédérale n'est plus très grande. Elle a mis six mois à reconnaître la nature et l'ampleur d'une fuite survenue le 15 février 2000 à Indian Point 2. Ce jour-là, 75 000 litres d'eau radioactive se sont répandus dans l'Hudson. A 7 kilomètres en aval se trouve le réservoir Croton, la principale source d'alimentation en eau de la ville de New York."On nous a affirmé qu'il ne s'agissait pas techniquement d'une fuite car elle avait été contenue", se souvient Marilyn Elie de Citizens Awareness Network (le réseau des citoyens vigilants). L'association regroupe des centaines de personnes se trouvant dans le périmètre de 10 miles (16 kilomètres) autour d'Indian Point, considéré comme le plus exposé."La NRC n'a rien fait pour démentir un mensonge", ajoute-t-elle.

Un rapport interne et des documents publiés par la presse locale six mois plus tard ont révélé que de l'eau en contact avec le coeur du réacteur s'est déversée à deux reprises dans le fleuve à la suite d'une erreur humaine. Il régnait alors une véritable atmosphère de panique dans la centrale. Mais, selon la NRC, la santé publique n'a jamais été menacée. Le réacteur a tout de même été fermé près d'un an. Et le niveau de qualification du personnel reste douteux. En décembre 2001, quatre des sept équipes du centre de contrôle ont échoué à leur examen annuel de qualification. La NRC évaluait en 1982 le nombre de victimes potentielles en cas d'accident grave de l'un des réacteurs à 46 000 morts et 141 000 blessés. Depuis vingt ans, la densité de population a beaucoup augmenté dans la région... Mais avant le 11 septembre 2001, Indian Point ne préoccupait presque personne. Seule une poignée d'écologistes s'opposaient à la centrale, par habitude. La crainte d'un attentat a tout changé. La pression et la mobilisation se font de plus en plus fortes pour fermer les réacteurs. Les scénarios catastrophe entretiennent la psychose.

"Une attaque réussie à Indian Point pourrait propager des radiations sur des centaines de kilomètres", estime Jan Beyea, physicien nucléaire membre du Conseil national de la recherche et de l'Académie nationale des sciences. Il a évalué les risques pour le comté de Westchester et estime à une sur cinq la possibilité de réussite d'une attaque."C'est trop important pour être ignoré. Des milliers de kilomètres carrés seraient contaminés, les habitants ne pourraient plus revenir. Une fois évacués, ce serait pour de bon", ajoute-t-il.

Pour Gordon Thompson, directeur de l'Institut d'études sur les ressources et la sécurité de Cambridge (Massachusetts), "le plus grand danger n'est pas un avion détourné s'écrasant sur les bâtiments mais de simples terroristes armés de seaux et de tuyaux d'arrosage. (...) Provoquer une brèche et vider l'eau des piscines où sont stockés les déchets suffit à provoquer une catastrophe, dit-il avec un sourire. Même une perte partielle de liquide peut mettre le feu au combustible et répandre dans l'atmosphère des matières radioactives. Si une piscine se consume lentement, personne ne peut plus en approcher".

La sécurité autour de la centrale a été renforcée depuis un an et demi. De nouvelles clôtures électrifiées ont été installées autour du périmètre, des barrières en béton mises en place à l'entrée principale, la surveillance vidéo améliorée, les membres du personnel de sécurité sont protégés dans des guérites à l'épreuve des balles. Mais à en croire un rapport interne révélé par le New York Times du 8 décembre 2002, les gardes eux-mêmes ne s'estiment pas capables de défendre le site. Keith G. Logan, ancien enquêteur de la NRC, a interrogé plus de 50 membres du personnel de sécurité d'Indian Point 2.

Ils dénoncent "une atmosphère détestable", "les pressions pour ne pas faire état des incidents et des failles du système". Les comptes rendus sont écrits sur des feuilles volantes. Le nombre de gardes n'a pas été augmenté depuis le 11 septembre 2001, ils travaillent seulement plus longtemps. Cinq à six permanences de douze heures d'affilée par semaine prolongées souvent à seize heures."La moitié des effectifs n'est pas physiquement capable de faire face à une agression. Le système de détection des intrusions ne cesse de tomber en panne. Les clôtures électrifiées et les caméras de surveillance sont parfois rafistolées avec des bandes adhésives..."

Le constat de Foster Zeh, 44 ans, grand gaillard de plus de 1 m 90, est le même. Pendant six ans, cet ancien du FBI a été de temps à autre instructeur du personnel de sécurité d'Indian Point 2."N'importe quel assaillant déterminé peut entrer, affirme-t-il. Les gardes sont fatigués, souvent en méforme, sous-entraînés, sous-payés, trop peu nombreux et démotivés. Leurs exercices sont totalement factices, ils savent à l'avance où intercepter les agresseurs. Ils n'ont pas de pratique régulière des armes à feu. Ils utilisent des sifflets pour simuler des tirs et des pistolets en caoutchouc." Au cours de tentatives d'infiltration l'an dernier, Foster Zeh affirme avoir été capable à cinq reprises d'atteindre le bâtiment du réacteur et trois fois de poser des explosifs factices à côté des piscines de combustible sans être intercepté.

Entergy emploie ses propres gardes à Indian Point ­ mieux formés et mieux payés ­ et sous-traite la sécurité du réacteur numéro deux à Wackenhut, une société spécialisée dans la protection des sites sensibles. Considérée comme intouchable elle travaille depuis des décennies pour des agences gouvernementales. Elle assure, entre autres, la sécurité de Cap Canaveral, des ambassades américaines, les pipelines de l'Alaska... Son nom a été plusieurs fois cité dans des opérations militaires au Salvador dans les années 1980, où elle employait alors des centaines de personnes, et dans la vente d'équipements de défense à des pays où la présence américaine se veut discrète.

"Nous ne cessons de clamer depuis des mois que la centrale n'est pas suffisamment protégée et doit être fermée, il n'y a pas d'autre solution. Elle est dangereuse, la seule des Etats-Unis à se trouver dans une zone aussi peuplée. Personne ne peut assumer un tel risque", affirme Alex Matthiessen, le directeur de Riverkeeper (le gardien de la rivière), une association de protection de l'environnement. Entergy n'est évidemment pas d'accord. La société plaide la bonne foi, affirme avoir fait de grands progrès. Elle se dit victime de l'héritage du passé et demande du temps. Entergy a acheté le réacteur 3 à la New York Power Authority en 2000 et le réacteur 2 à Consolidated Edison quelques jours seulement avant le 11 septembre 2001. Indian Point 1 est arrêté depuis plusieurs années."A Indian Point 2, nous avons trouvé une situation vraiment très dégradée. Juste après l'avoir repris, nous avons dressé une liste de 5 200 dysfonctionnements. Nous parons au plus pressé. Nous ne pouvons pas tout faire en même temps, mais le réacteur est sûr", affirme James Steets, porte-parole d'Entergy.

Andrew Spano, le directeur démocrate du comté de Westchester, pense que la centrale est difficilement défendable. "Elle est trop dangereuse et constitue une cible trop tentante pour une zone aussi peuplée."A défaut de pouvoir la faire fermer rapidement, il demande au moins que la sécurité soit assurée par le gouvernement fédéral. Il a reçu l'appui de ses homologues des comtés de Rockland, Putnam et Orange qui se trouvent tous dans la fameuse zone de 10 miles autour d'Indian Point. Hillary Clinton et Charles Schumer, sénateurs démocrates de New York, ont également réclamé l'intervention de Washington, sans obtenir de réponse.

En fait, le sort d'Indian Point pourrait bien se jouer à Albany, la capitale de l'Etat de New York. George Pataki, le gouverneur républicain, s'est soudain préoccupé de l'existence de la centrale avant sa réélection en novembre. Il a demandé un rapport urgent sur la sécurité de la population. Sa publication s'est fait attendre : son auteur, James Lee Witt, ancien président de la Federal Emergency Management Agency (agence fédérale de gestion des situations d'urgence), avait fait "malencontreusement" appel à un bureau d'études ayant des liens avec Entergy. Sous la pression, M. Witt a changé de consultant. Son étude de 550 pages a été rendue publique le 10 janvier. Elle est accablante."Les autorités sont incapables d'assurer la protection des habitants contre une dose inacceptable de radiations." Le document critique tous les aspects du plan d'urgence : les scénarios, les équipements, les moyens de communication, l'évaluation des menaces, et même la définition des zones à risque.

Le plan stipule que les autorités disposeront d'au moins huit heures pour faire évacuer les 298 000 personnes présentes dans un rayon de 10 miles. Pour y parvenir, il faudra que l'annonce d'un accident ou d'une attaque soit tenue secrète plusieurs heures afin d'éviter la panique et le blocage des routes. Pendant ce laps de temps, la contamination par un nuage radioactif peut être très rapide. Les deux tiers des habitants de la zone de 10 miles autour d'Indian Point ne connaissent pas aujourd'hui les règles à suivre en cas d'évacuation. Près d'un sur deux n'a même pas le souvenir d'avoir reçu une copie des consignes à suivre. Enfin, il n'est rien prévu au-delà de la limite de 10 miles."Ce serait le chaos", résume Alex Matthiessen. Mais, pour la NRC, il n'y a toujours aucun problème. Au terme d'un exercice organisé le 24 septembre 2002, elle jugeait le plan "adéquat" et la répétition "réussie".

George Pataki s'est engagé à décider de l'avenir d'Indian Point en fonction des conclusions du rapport. Il n'a pas l'autorité pour fermer la centrale : seul le gouvernement fédéral peut le faire. Mais il est en revanche de sa responsabilité de gouverneur de certifier tous les ans le plan d'évacuation. Sans cela, la centrale ne peut plus légalement fonctionner. Sans trop y croire, les partisans de sa fermeture espèrent beaucoup de cette astuce juridique. George Pataki dispose de quelques semaines pour prendre une décision.

Eric Leser, Gordon Thompson,
institut d'études sur les ressources et la sécurité de Cambridge (Massachusetts)


Indian-Point 2
(suite le 6/3/2000)

Des analyses préliminaires de l'exploitant Con Ed et de l'autorité de sûreté américaine NRC indiquent que la rupture du tube de générateur de vapeur qui s'est produite le 15 février dernier aurait pour origine une fissuration de 6,2 à 7,5 cm dans la partie cintrée du tube en U et serait due à de la corrosion sous contrainte de l'alliage inconel 600. La fissuration a été trouvée par des examens vidéo effectués à l'intérieur des tubes avec des caméras à flexibles. D'autres examens sont en cours à l'extérieur des tubes. L'exploitant revérifie les données de l'inspection effectuée en 1997 pour voir s'il y avait des indications de fissuration à cette époque.
Des représentants officiels des comtés de la banlieue nord de New-York se sont entretenus avec des membres de la NRC. S'ils estiment que les échanges d'informations ont été excellents, ils n'ont, par contre, obtenu aucune garantie quant à la sûreté des réacteurs d'Indian Point et, ajoute une déléguée du Comté de Westchester : " je ne peux pas dire qu'ils [les membres de la NRC] se sentent à l'aise concernant la sûreté à long terme de la centrale ".
La Con Ed espère pouvoir effectuer le rechargement du combustible du réacteur au mois d'avril.
(D'après Nuclear News Flashes, 3 mars 2000. Las Vegas Sun 29 février 2000)




Indian-Point 2
(20/2/2000)

USA, État de New-York : fuite radioactive à la centrale d’Indian Point par rupture d’un tube de générateur de vapeur du réacteur lndian Point-2. Ou comment des signes précurseurs négligés conduisent à un incident sérieux.

Résumé

La fuite radioactive sur un générateur de vapeur du réacteur Indian Point-2 le mardi 15 février à 19h20 a entraîné le déclenchement d’une " Alerte " de niveau 2 qui semble correspondre au plan d’urgence interne (PUI) de niveau 2 comme celui que nous venons de connaître à la centrale du Blayais fin décembre. Des inspecteurs de l’autorité de sûreté NRC (Nuclear Regulatory Commission, équivalente à la direction de la sûreté des installations nucléaires DSIN) ont été dépêchés sur le site et des experts en sûreté nucléaire ont contrôlé les opérations depuis Philadelphie avec un centre opérationel de la NRC établi à Rockville. Les autorités gouvernementales tant locales que de l’État de New-York ont été prévenues.

Le réacteur a été arrêté manuellement à 19h29 puis le générateur de vapeur défaillant a été isolé. L’alerte a été maintenue jusqu’à mercredi 16 à 18h50, le réacteur ayant été mis en état d’arrêt à froid après baisse de la pression et de la température de l’eau du circuit primaire.

Les autorités responsables -la NRC, l’exploitant et les autorités de l’État de New York- affirment qu’il n’y a eu aucun risque pour les employés et la population car " l’augmentation de radioactivité détectée au voisinage du site est négligeable ". Cependant, d’après une dépêche de l’Associated Press, en dépit des assurances de l’exploitant " certains habitants ont toutefois exprimé des sentiments de peur et de colère pour n’avoir pas été avertis. Quelque 250.000 personnes vivent dans un rayon d’une quinzaine de kilomètres et 15,5 millions dans un rayon de 80 km "

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La centrale d’Indian Point est située sur la rivière Hudson à Buchanan dans l’État de New York, à une soixantaine de km au nord de New-York City, à moins de 40 km des limites de l’agglomération. Elle comprend 2 réacteurs en fonctionnement, Indian Point 2 et 3.

La fuite radioactive est due à la rupture d’un tube de l’un des 4 générateurs de vapeur du réacteur Indian Point 2. C’est un réacteur PWR Westinghouse (comme nos réacteurs) d’une puissance nette de 994 Mwe et l’exploitant est la Compagnie Consolidated Edison. Il a été couplé au réseau en juin 1973 et a donc plus de 26 ans. D’après le département de l’énergie des Etats-Unis (DOE) la licence d’exploitation du réacteur 2 est valable jusqu’en 2013.

 

Rappels

Rappelons que les générateurs de vapeur (GV) sont les échangeurs de chaleur à tubes verticaux, entre l’eau du circuit primaire et du circuit secondaire. Très schématiquement, l’eau du primaire circule sous pression et haute température dans les tubes du générateur de vapeur et cède sa chaleur à l’eau du circuit secondaire qui se transforme en vapeur allant alimenter la turbine productrice d’électricité.

Chaque GV est un bazar énorme de plus de 300 tonnes, d’une vingtaine de mètres de haut comportant un peu plus de 3300 tubes en U (mais ce U est à l’envers, avec la partie cintrée en haut). Les tubes, de diamètre extérieur 2,22 cm avec une paroi mince de 1,27 millimètre d’épaisseur, sont en Inconel 600, un alliage très sensible aux phénomènes de fatigue vibratoire et de corrosion. Ces tubes peuvent donc se fissurer et une fissure importante peut entraîner la rupture brutale du tube. Un corps " migrant " peut aussi user un tube et provoquer sa rupture comme cela a été le cas à Tihange (Belgique) en juillet 1996. Une fraction des tubes est donc fissurée et ces tubes défectueux " fuient " : on mesure le débit de fuite pour qu’il ne devienne pas trop important (il y a un critère de débit de fuite dit " acceptable "). On bouche les tubes défectueux qui risqueraient de se rompre. Il faut donc contrôler l’intégrité des tubes (méthodes par courants de Foucault, inspection télévisuelle entre autres) mais cela représente environ plus de 50 km à contrôler !

 

Pourquoi craint-on la rupture de ces tubes ?

Les tubes de GV constituent les 2ème et 3ème barrières de la " défense en profondeur ". La rupture d’un tube met en effet en communication le circuit primaire, radioactif, avec le circuit secondaire avec rejets radioactifs dans l’environnement. La probabilité de rupture d’un tube de GV s’est avérée avec le nombre d’incidents de ce type répertoriés dans le monde au cours du temps (le " retour d’expérience ") 100 fois plus élevée que les prévisions initiales.

Sur nos réacteurs de type Westinghouse, comme celui d’Indian Point, lors d’une rupture complète d’un tube GV il faut impérativement que la conduite pour ramener le réacteur dans un état " sûr " soit manuelle. En effet, dans le cas contraire, d’après Jacques Libmann, (Approche et analyse de la sûreté des réacteurs à eau sous pression, INSTN, 1987) si les opérateurs laissent l’installation se comporter sous la seule influence des automatismes et que la situation se prolonge sans intervention humaine " on finirait alors par dénoyer les éléments combustibles provoquant la rupture des gaines et le transfert direct des produits de fission volatils vers l’environnement, situation véritablement catastrophique [souligné par moi]". L’auteur ajoute aussitôt pour nous rassurer que cette situation est heureusement invraisemblable, des procédures détaillées ont été étudiées et mises au point et que dans ces conditions les rejets peuvent être limités à des valeurs acceptables. En somme, il faut vraiment compter sur la compétence des opérateurs et leur rapidité d’exécution et l’auteur ne définit pas ce qu’il entend par " valeurs acceptables " des rejets. Acceptables par qui ? Par l’exploitant ? On n’a pas demandé à la population ce qu’elle jugeait " acceptable ".

 

Signe précurseur de la rupture : le débit de fuite augmente mais reste dans les normes ; aucune action correctrice n’est effectuée.

D’après Nuclear News Flashes du 18 février, les informations fournies par l’autorité de sûreté américaine NRC indiquent que le volume des fuites pour l’ensemble des 4 générateurs de vapeur était de 3,78 litre par jour (1 gallon par jour) en octobre 1999. Le 6 février dernier le GV qui sera plus tard responsable de l’incident a soudain un taux de fuite 1,5 fois plus élevé que l’ensemble des 4 GV auparavant, puis 3 fois plus élevé (environ _ litre par heure). Cependant le critère " acceptable " de fuite est respecté puisqu’il est de 17 litres par heure par GV donc rien n’est fait. Le 15 février, rupture du tube. D’après les premières estimations la fuite aurait atteint de 75 à 100 gallons par minute soit de l’ordre de 20 000 litres par heure.

Deux jours après l’incident les experts de la NRC sont toujours incapables de dire quel volume d’eau radioactive a fui du primaire vers le secondaire, il est question de 20 000 litres. A notre connaissance il n’y a pas eu, hors du site, de mesures de radioactivité par des associations indépendantes.

Le réacteur est en arrêt à froid pour une durée indéterminée afin d’être inspecté et réparé.

 

Quelques remarques

Cet incident montre que le respect des critères de fuite acceptables n’est pas une garantie de non survenue d’un incident (qui peut tourner en accident grave si les opérateurs réagissent mal ou pour une autre raison). D’ailleurs on sait bien que dans le cas d’amorçage d’une fissure circonférencielle la rupture peut survenir sans qu’il y ait eu aucun signe préalable de fuite.

On devrait donc, en toute logique, tenir compte de tous les incidents quels qu’ils soient, même s’ils apparaissent comme mineurs au niveau de leurs conséquences immédiates. Cette approche de l’importance des incidents " précurseurs " n’est jamais prise en compte dans les évaluations officielles de sûreté alors qu’elles apparaissent comme fondamentales dans toutes les catastrophes industrielles qui surviennent dans notre société, qu’elles soient chimiques, nucléaires ou autres.

Un autre point où les conséquences radiologiques dans l’environnement peuvent être très graves : le cas où plusieurs tubes de GV seraient rompus. Par exemple par fouettage sur les tubes voisins d’un tube rompu ou par rupture simultanée de plusieurs tubes résultant d’une dépressurisation brutale du circuit secondaire. Ceci pourrait se produire par une brèche sur la ligne de vapeur principale du secondaire. Un exemple : si au lieu de la fissuration qui s’est produite à Fessenheim sur un tronçon (le " tronçon protégé ") de la ligne de vapeur principale du circuit secondaire on avait eu une rupture " guillotine " de la tuyauterie. Cette éventualité a conduit au remplacement des " tronçons protégés " de tous les réacteurs 900 MW du parc (Gazette Nucléaire 113/114 mars 1992, Libération 6-7 février 1993).

A ce propos il ne faudrait pas oublier que les lignes de vapeur principales de nos réacteurs plus récents présentent aussi nombre de défauts métallurgiques qui sont d’ailleurs souvent d’origine, présents dès la mise en route. Il y a bien longtemps qu’on n’a plus entendu parler des défauts de Saint-Alban etc. On aimerait être sûr qu’il y a bien un suivi métallurgique de ces parties sensibles. Rien n’ayant été publié à ce sujet nous pouvons douter que ce genre d’événements soient pris en considération par les autorités de sûreté.

Ceci revient aussi à insister sur le fait que les incidents qui ne donnent pas lieu à classification dans l’échelle INES peuvent avoir des conséquences importantes dans les séquences incidentelles et accidentelles ultérieures. Il faut se souvenir que l'échelle INES est une échelle de communication et pas une échelle de sûreté.

Enlèvement d'un générateur de vapeur usé.

L’incident d’Indian Point nous rappelle fort à propos que " les études probabilistes pour une sûreté au meilleur coût " effectuées actuellement par les chercheurs d’EDF aboutissent à augmenter la taille des défauts jugés critiques pour les tubes de GV. Espérons que le programme de bouchage des tubes ne sera pas conditionné par une optimisation de ce genre fondée sur des critères strictement économiques ! (Gazette Nucléaire 165/166, avril 1998, p.29)

 

Pour terminer ajoutons que, concernant Indian Point2, l’examen de l’efficacité de ce réacteur (rapport entre l’énergie électrique réellement fournie et l’énergie qui aurait dû être fournie si le réacteur avait fonctionné normalement à sa puissance nominale) montre que les problèmes d’Indian Point 2 datent de plusieurs années. Nous donnons ici les efficacités de ce réacteur depuis 1989

1989 : 52,10%
1990 : 60,47%
1991 : 45,12%
1992 : 91,09%
1993 : 68,89%
1994 : (nous n’avons pas les donnée)
1995 : 56,99%
1996 : 90,53%
1997 : 37,29%
1998 : 29,17%
1999 : aucune donnée disponible actuellement

Ces données sont extraites d’Electronuc mémento publié en France par le Commissariat à l’Energie Atomique. Elles révèlent les dysfonctionnements rencontrés par ce réacteur au point de faire chuter son efficacité à moins de 30%. Ce réacteur Westinghouse n’est pas un succès économique ! Il est vraisemblable de penser que ce sera le prochain réacteur à être arrêté définitivement. D’après la NRC la dégradation des tubes de GV a contribué à la décision d’arrêt définitif du réacteur Trojan dans l’Orégon. Dans les 5 prochaines années 11 centrales américaines vont procéder au changement des générateurs de vapeur. Cependant " d’autres exploitants peuvent choisir la fermeture des réacteurs au cas ou la réparation ou le changement des composants [défectueux] s’avèrent prohibitifs du point de vue économique ".

 

Le réacteur Indian Point-3 de 965 Mwe a été couplé au réseau en 1976 et l’exploitant est NYPA, la New-York Power Authorities (compagnie d’électricité de l’État de New-York). D’après le réseau antinucléaire " Citizens Awareness Network " des défauts de conception existent pour les deux tranches 2 et 3 et l’ingénieur de sécurité et chef de projet Robert D. Pollard a démissionné de son poste en 1976 en les citant. Pour lui, les réacteurs d’Indian Point étaient " en attente d’accident ", " an accident waiting to happen ". (Il a été ensuite le président de l’Union of Concerned Scientists. Mais l’UCS, comme nombre d’associations américaines se préoccupent actuellement des changements climatiques et très peu du maintien en fonctionnement des réacteurs vieillissants).

Quant à Indian Point-1, réacteur PWR Babcock et Wilcox de 225 Mwe, couplé au réseau en 1962 il a été mis en arrêt définitif en 1974 pour défauts sur le circuit de refroidissement du cœur. Le cœur a été déchargé depuis 1976 et le combustible usé stocké en piscine sur le site en attente d’un site de stockage définitif. Le projet de démantèlement soumis aux autorités de sûreté date de 1980 mais les opérations de démantèlement n’ont pas commencé.

Bella Belbéoch, 20 février 2000.

 

 


Indian Point en 1970:

"Indian Point en 1970, une avarie sur les échangeurs a nécessité l'intervention de sept cents plombiers recrutés d'urgence dans l'État de New York et dans les États voisins, chacun ne pouvant rester que quelques minutes en « zone chaude » avant de retourner se mettre au vert, dosimètre saturé pour deux ou trois ans."

Extrait du "Crépuscule des atomes", Louis Puiseux, Hachette 1986.