Le Monde, 5/8/2010:
Les feux qui ravagent la Russie sont sources de pollutions atmosphériques toxiques, transportées par les fumées.
C'était déjà, en résumé,
l'analyse du rapport rédigé en 2007 par l'association
Robin des Bois pour le Groupe d'expertise et d'intervention déchets.
Intitulé "Déchets post-catastrophe, risques
sanitaires et environnementaux", son constat demeure. A l'heure
où les services de secours russes recensent encore plus
de 500 foyers couvrant 190 000 hectares d'espaces naturels, alors
qu'à Moscou la concentration de particules en suspension
dépasse les seuils d'alerte, le document confirme que les
conclusions d'hier sont plus que jamais d'actualité...
Que dit ce rapport?
Que les incendies de savanes et de forêts - qu'elles
soient tropicales, boréales ou méditerranéennes
- comme les brûlis agricoles sont des sources majeures de
pollutions atmosphériques transfrontières et peuvent
être de plus en plus toxiques à cause de l'utilisation
grandissante de produits phytosanitaires dans les sols agricoles
et les plantations forestières, voire de l'inclusion de
décharges dans les périmètres sinistrés
- ces dernières étant connues pour être d'importantes
génératrices de dioxines.
Le document rappelle qu'en Russie et dans les pays de l'ex-Union
soviétique, ces incendies atteignent des dimensions insoupçonnées
et inquiétantes. Qu'il y a d'ailleurs "des différences
importantes entre les statistiques officielles qui en 2003 déclarent
2 millions d'hectares d'incendies de forêt et les observations
satellitaires qui en inventorient plus de 14 millions."
Et d'enfoncer le clou: "Il ressort des travaux de l'American
Geophysical Union et l'université du Michigan que [ces
incendies] sont une des sources importantes de remobilisation
atmosphérique du mercure d'origine naturelle ou anthropique"
Une source volatile, potentiellement dangereuse lorsque ces feux
concernent des plantations ou des cultures mettant en jeu des
herbicides dont les molécules organiques, toxiques et cancérigènes,
peuvent être transportées par les fumées.
Où quand ces fumées contiennent des traces de radioactivité.
"Les radionucléides redéposés après
les essais nucléaires atmosphériques ou les excursions
accidentelles et chroniques en provenance d'installations nucléaires
sont remobilisés par les incendies, souligne le rapport.
C'est le cas en particulier du césium 137 et du strontium
90". L'avertissement est clair.
Mémoire courte
Mais sans doute avons-nous la mémoire courte. Après
Tchernobyl, 6 millions d'hectares ont été
pollués par la radioactivité dont 2 millions en
Biélorussie, en Ukraine et en Russie. Chaque année des milliers d'incendies
de plus ou moins grande importance se déclarent dans les
régions contaminées. Entre 1993 et 2001, près
de 1000 incendies sont rapportés, couvrant 100 000 hectares.
Ces incendies ont des retombées internationales. En 2003,
les émissions radioactives des incendies des forêts
de résineux de l'Est du Kazakhstan ont été
enregistrées au Canada. Et Robin des Bois de souligner
que l'Est du Kazakhstan a été marqué "radiologiquement"
par le centre nucléaire de Semipalatinsk où 450 essais de bombes
atomiques (dont une centaine d'atmosphériques) ont été
réalisés entre 1949 et 1989. Où les vents
porteront-ils demain les fumées actuelles?
On sait déjà
qu'en mai 2006, des brûlis agricoles mal maîtrisés
se sont propagés au nord de Saint-Petersbourg et qu'à
l'époque, les particules atmosphériques étaient
3 fois plus élevées dans le sud de la Finlande que
le seuil autorisé. Le panache en provenance de l'ouest
de la Russie atteignant par la suite l'Ecosse, l'Irlande et le
nord de l'Angleterre avec des seuils de qualité de l'air
à leur tour dépassés.
D'autres études réalisées après de
feux autour des sites nucléaires américains de Hanford
(Etat de Washington) et de Los Alamos (Nouveau-Mexique) montrent
que les zones périphériques des secteurs incendiés
peuvent être touchées par la redispersion atmosphérique
de contaminants rejetés par les activités et déposés
sur le couvert végétal et le sol. Informé
du contexte, pouvait-on éviter d'en arriver là?
Bombes incendiaires
Rien de moins sûr. Tout semble avoir été
écrit de longue date pour que le scénario du pire
se produise. Les incendies en cours ont certes des causes climatiques
mais aussi techniques et historiques. Le problème est ancien.
"Il y a trois ans, la réforme du code forestier a
transféré ces forêts, qui n'étaient
plus considérées comme des ressources naturelles
exploitables, aux gouvernements régionaux", rappelait
hier 4 août, sur France Culture, Marie-Hélène
Mandrillon, spécialiste de l'histoire de l'environnement
russe.
Des gouvernements régionaux qui, faute de moyens (suppression
de 70 000 gardes forestiers), ont délaissé ces massifs
devenus, au fil des ans, de véritables bombes incendiaires.
S'y ajoute le fait que, des décennies durant, les agronomes
soviétiques - avec la bénédiction du pouvoir
central - ont laissé s'assécher les marais et entrepris
d'accroître ainsi les surfaces agraires ou forestières.
Au final, ces zones sont devenues des tourbières sèches
qui, faute d'être replantées, s'avèrent facilement
inflammables et difficilement extinguibles.
D'autant que les pompiers russes ne disposent pas du matériel
adéquat. Le ministère des situations d'urgence le
reconnaît, annonçant lundi l'acquisition imminente
de 8 bombardiers d'eau ainsi que de plusieurs hélicoptères.
Moscou va débloquer, en urgence, 25 millions d'euros pour
renforcer ses moyens d'intervention aériens.
Risque pour des installations nucléaires?
Résultat: une situation exceptionnelle sur tous les
plans. Dans la région de Nijni Novgorod, les flammes menacent
l'Institut panslave de recherche en physique expérimentale
où sont assemblées (mais aussi démantelées)
des armes nucléaires. A 500 kilomètres à
l'est de la capitale, les matériaux radioactifs de la centrale
de Sarov ont été évacués alors qu'au
sud de Moscou, l'incendie qui encerclait les réacteurs
de la centrale nucléaire de Voronej semble sous contrôle.
Mais Sergueï Kirienko, le président de Rosatom, l'agence
russe du nucléaire, a beau clamer "aucun risque pour
la sécurité nucléaire", Robin des Bois
reste sur le qui-vive. Avec une "inquiétude particulière
concerne le site secret Arzamas 16, à 60 km de la ville de
Sarov". Depuis 1946,
celui-ci abrite un centre russe d'expérimentations et d'activités
nucléaires et sert de stockage de plutonium, d'uranium
enrichi, d'assemblage et de désassemblage de bombes nucléaires.
Certains l'assimile à un dépotoir à déchets
radioactif. Et l'association de réclamer
que l'Autorité de Sûreté Nucléaire
et ses homologues européens communiquent sur une éventuelle
pollution radioactive transfrontière à la suite
de ces incendies. A suivre.
Richard De Vendeuil