Les hirondelles de Tchernobyl

Des hirondelles à tête tachée de blanc, vous n'en avez pas vu souvent. A moins que vous ne soyez un habitué des collections d'histoire naturelle, car l'existence d'hirondelles albinos est connue des spécialistes depuis longtemps. Et si vous séjourniez, à la belle saison, dans la région de Tchernobyl, vous n'auriez probablement pas de mal à apercevoir un de ces phénomènes habituellement rares (si la visite ne vous tente pas, vous pouvez regarder la page 19 du numéro de décembre 1997 de la revue Sciences et Avenir).

L'étude de Hans Ellegren, Gabriella Lindgren, Craig R. Primmer et Anders Pape Møller, parue dans le numéro du 9 octobre 1997 de la revue Nature, sous le titre Fitness loss and germline mutations in barn swallows breeding in Chernobyl, montre en effet qu'environ une hirondelle sur dix est partiellement albinos dans ces lieux enchantés. Plus précisément, sur un échantillon de 75 individus de l'espèce Hirundo rustica observés en 1996, 10 (13,3%) présentent cette particularité; alors que dans des régions non (ou peu?) contaminée (Kanev en Ukraine et Milan en Italie) la proportion est respectivement de 1,9% (pour 51 individus observés) et 1,5% (pour 130 individus observés) à la même époque. En 1991 les résultats étaient voisins. Les collections de musée permettent d'avoir une idée de la situation avant 1986 : pour les 3 sites, sur des échantillons plus restreints, la proportion d'individus albinos était nulle (Tableau I).

L'étude statistique de ces résultats montre que, depuis 1986, la région de Tchernobyl est devenue significativement singulière (au moins en ce qui concerne la couleur des hirondelles).

Si ces oiseaux sont remarquables, leur sort n'est guère enviable. Déjà, une étude menée depuis 1985 sur une population nichant au Danemark n'avait trouvé, d'une année sur l'autre, aucun survivant parmi les rares hirondelles partiellement albinos, alors qu'environ le quart des individus normaux étaient retrouvés. La nouvelle étude publiée dans Nature fournit un autre indice. Le nombre de nids garnis d'oeufs ou d'oisillons à l'époque de la première couvée (chaque nid correspond à un couple d'adultes) est passé de 292 en 1991 à 76 en 1996 dans 9 villages proches de Tchernobyl, alors que dans 6 villages proches de Kanev la diminution constatée est nettement plus faible : 202 nids en 1991, et 162 en 1996. La population d'hirondelles de Tchernobyl s'adapte donc moins bien.

Les mutations qui conduisent à l'albinisme chez les oiseaux peuvent être soit somatiques soit génétiques. A Tchernobyl, selon que leurs parents sont albinos ou normaux, la proportion d'oisillons albinos varie fortement, respectivement 84,6% et 12,9%. Ceci montre que l'origine du phénomène est, au moins partiellement, génétique. Enfin le taux de mutation d'un marqueur génétique expérimentalement accessible est significativement plus élevé dans la population d'hirondelles de Tchernobyl que dans les populations témoins.

Dans la série des études effectuées dans les zones contaminées par les r. Elles "vont stimuler une réévaluation des effets génétiques et autres effets d'une exposition à des déchets nucléaires". Il faisait remarquer que les retombées de Tchernobyl sont très différentes de celles qui ont suivi les bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki tant par l'ampleur que par la diversité des polluants et que les prédictions à partir d'un des événements n'ont pas grand sens pour l'autre. Dans sa conclusion il ajoutait : "(...) [Ces études] laissent peu de doute sur le fait que les conséquences génétiques de l'accident de Tchernobyl sont importantes et dureront longtemps même si les causes, les mécanismes, la distribution, l'étendue et les effets phénotypiques des mutations sont mal connus (...) ".

Pour ma part je pense qu'il est important d'insister sur le fait que si le rôle exact sur la santé de ces mutations nouvelles est inconnu on ne peut pas affirmer qu'elles n'auront aucun effet négatif sur la santé tant sur les descendants de la première génération que sur les générations à l'équilibre. C'est pourquoi il me paraît indispensable de faire connaître ces études aux lecteurs du Monde. "

Lettre d'information du Comité Stop Nogent-sur-Seine
n°78 octobre-décembre 1997