Le Monde, 13/11/07:

Portrait
Grigori Pasko, en dissidence surveillée

Surtout, ne jamais plier. Ne pas leur offrir ce plaisir. N'attendre aucune pitié ni faveur de la part de ses oppresseurs. C'est en s'accrochant à ces principes que Grigori Pasko a survécu depuis dix ans à la prison, aux humiliations, aux poursuites. C'est en leur restant fidèle qu'il met sa vie en danger, conscient des risques, mais décidé à ne pas se trahir. A 14 ans, il voulait devenir journaliste et rédigeait ses premiers articles. A 45 ans, il exerce ce métier à sa façon. Indépendant, pugnace, idéaliste. Une belle voix isolée en Russie.

Parcours
1962

Naissance dans la région de Kherson, en Ukraine.

1983
Diplômé de journalisme à l'Institut politico-militaire de Lvov.

1997
Arrêté pour espionnage à son retour du Japon.

2001
Déclaré coupable de haute trahison.

2003
Libéré du camp à régime sévère nº 41 après treize mois de détention.

2007
Participe à Paris au concert de soutien à Mikhaïl Khodorkovski, fin octobre.

Grigori Pasko est un vétéran parmi les victimes des répressions politiques de l'ère Poutine. Après ses études de journalisme, achevées en 1983 à l'Institut politico-militaire de Lvov, dans l'ouest de l'Ukraine, il est muté à Vladivostok, dans l'Extrême-Orient soviétique. L'effondrement de l'URSS ouvre des possibilités sans précédent pour la presse. L'officier de marine Pasko s'illustre dans le journal de la flotte du Pacifique, Boïevaïa Vakhta (Sentinelle de combat). A l'information officielle, il préfère l'investigation.

Ses premiers ennuis arrivent lorsqu'il s'intéresse aux pannes à bord de sous-marins nucléaires. En 1993, il filme clandestinement le largage en mer de déchets nucléaires. Des images reprises par la chaîne de télévision publique japonaise NHK. Grigori Pasko enquête alors sur le sort mystérieux de 100 millions de dollars donnés par le Japon à la Russie pour le recyclage des déchets radioactifs. L'officier est repéré. C'est peu dire qu'il énerve sa hiérarchie.

Arrêté en 1997 après des mois de filature et d'écoutes, Grigori Pasko passe près de deux ans en prison, en détention provisoire, puis est condamné en décembre 2001 à quatre ans pour "haute trahison" par le tribunal militaire de Vladivostok. En juin 2002, la Cour suprême confirme cette sentence. "Je m'en suis bien sorti, lance-t-il. Si j'avais été jugé après 2005, j'aurais pris quinze ans, comme d'autres." Marina Katsarova, qui avait suivi son dossier pour Amnesty International, fournit l'explication : "Il a été victime d'une vendetta de la part des services spéciaux russes, qui avaient perdu beaucoup de crédibilité avec l'affaire Alexandre Nikitine." Cet officier de marine et militant écologiste avait été reconnu innocent des accusations de haute trahison fabriquées contre lui.
Incarcéré dans le camp n°41 d'Oussourisk, dans l'Extrême-Orient russe, Grigori Pasko a été soumis à un régime de détention sévère. Un matériau de choix pour écrire. "Il y avait 1 300 détenus, se souvient-il. J'étais le seul qui avait un haut niveau d'études et qui ne fumait pas." Une fois seulement, il envisage de poser le genou à terre, en décembre 2001. Il est alors emprisonné pour la seconde fois. "Il faisait un froid de chien, les conditions étaient misérables, dit-il. L'idée lamentable de rédiger une demande de grâce, à l'attention du président Poutine, s'est introduite dans ma tête. Je n'en ai pas dormi. Le lendemain, ma femme m'a rendu une visite imprévue. Elle m'a dit : je sais à quoi tu penses. C'est hors de question. Je t'attendrai autant qu'il faudra." Galina n'a pas dit à leur fils Pavel, né en 1998, où était son père. "En mission", éludait-elle.

Le 23 janvier 2003, Grigori Pasko a été libéré sans avoir cédé sur l'essentiel : son innocence. Mais son combat ne faisait que commencer. Impliqué dans toutes les campagnes de défense des droits de l'homme, de la liberté de la presse et de l'environnement, il s'est rapproché des partisans de Mikhaïl Khodorkovski, l'ancien patron du groupe Ioukos châtié par Vladimir Poutine sans commune mesure avec les délits financiers supposés. Aux yeux du journaliste, la fortune de Mikhaïl Khodorkovski est accessoire. Seul compte son état : "prisonnier politique".

Robert Amsterdam, un des avocats de l'homme d'affaires à l'étranger, l'a engagé comme reporter sur son blog, très hostile au Kremlin. Depuis, Grigori Pasko voyage. Il parcourt les villages russes situés sur les tracés gaziers et pétroliers et dénonce le cynisme des conglomérats. "J'ai vu les mensonges en pratique. Le peuple russe vit mal, alors que le baril de pétrole est à plus de 90 dollars, que nos réserves d'or s'élèvent à 424 milliards, que nous avons d'immenses richesses naturelles, énumère-t-il. A Babaïevo, par exemple, les habitants chauffent leurs maisons avec le bois de la forêt, alors que le gazoduc passe sous leurs pieds."
Après avoir reçu des prix en France et en Allemagne, Grigori Pasko est devenu un symbole. A l'instar de la journaliste assassinée Anna Politkovskaïa, avec laquelle il avait sympathisé au fil des combats. "Depuis qu'elle a été tuée, les journalistes russes se montrent beaucoup plus prudents, alors que moi, je continue d'écrire de la même façon." Méticuleux, il a fini en 2004 un nouveau cycle de hautes études, à l'Institut juridique de Moscou, histoire de connaître les subtilités du code pénal en cas de nouveaux ennuis. "Un vrai journaliste, en Russie, doit aujourd'hui avoir une formation en droit", souligne-t-il.

Cette polyvalence et le goût de l'écrit lui viennent sans doute de son père. Professeur en chimie et en biologie, doté d'une grande culture, il dirigeait aussi une école du soir, dans laquelle il enseignait toutes les matières. Dans la bibliothèque de la maison familiale, le jeune Grigori a trouvé ses premières lectures, à 4 ans. Adulte, il écrira six livres. En 2000, l'un d'eux a été imprimé à Saint-Pétersbourg. Les 3 000 exemplaires devaient être acheminés par camion à Moscou. Ils ont disparu en route.

Entre ses deux séjours en prison, Grigori Pasko a envisagé l'action politique, se présentant sous l'étiquette écologiste aux élections législatives, fin 1999. Vladimir Poutine était premier ministre depuis quatre mois, la deuxième guerre de Tchétchénie débutait. "Le scrutin était trafiqué. Par la suite, j'ai été sollicité par différents partis mais j'ai toujours refusé."

L'écriture sera donc son engagement. Ce courage a un prix ; le danger plane au-dessus de sa tête. Grigori Pasko vit en dissidence surveillée. "Il est difficile de me menacer de prison, car j'ai déjà survécu au pire, dit-il. Le problème est que ce pouvoir ne met plus en prison. Il tue. C'est terrifiant." Qu'en dit sa femme, Galina ? Cherche-t-elle à le dissuader, à l'inciter à la prudence ? Grigori Pasko se tortille sur son siège. "Me demander d'être prudent n'aurait aucun sens, dit-il. D'après vous, que peut dire la femme d'un mineur à son mari qui descend sous terre ? Et les femmes d'aviateurs ou de marins ? "Surtout, fais attention" ?" C'est la seule question qui indispose le journaliste.

Piotr Smolar

 

Le Monde, 10/6/05:

La sécurité nucléaire de la flotte russe mise en cause

La Russie a construit plus de 450 réacteurs nucléaires pour sa flotte de guerre, dont la puissance est comparable à celle de toutes les centrales nucléaires russes. Les deux tiers de ces réacteurs se trouvent au nord-ouest de la Russie. "Certaines installations nucléaires sont dans un tel état qu'on ne peut pas exclure une réaction en chaîne" et donc un accident nucléaire, a relevé Mark Gerchikov, coordinateur d'un rapport préparé par le groupe NNC (National Nuclear Corporation, Grande-Bretagne et Canada), en coopération avec le ministère de l'énergie atomique russe, présenté vendredi 10 juin à Moscou.

Ce rapport sur la sécurité nucléaire dans le nord-ouest de la Russie est le premier du genre, financé par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Il a été présenté cette semaine au public à Mourmansk, Severodvinsk et à Moscou pour susciter d'éventuelles remarques et suggestions. Les endroits les plus sensibles sont la baie Andreïev et le village de Gremikha dans la région de Mourmansk où "les dépôts de combustible nucléaire ne sont pas étanches" et la pollution radioactive plusieurs fois supérieure aux normes, selon le rapport.

Un autre problème est la protection du personnel qui décharge le combustible nucléaire et s'en contamine les doigts, "alors qu'il existe en Occident une protection pour les mains dans des cas pareils", a souligné M. Gerchikov.

"Les doses que reçoit le personnel ne sont pas encore très importantes parce que les principaux travaux n'ont pas commencé à la baie Andreïev et à Gremikha, où l'état des dépôts est tel que le personnel risque d'attraper des doses élevées", a pour sa part mis en garde Iouri Sivintsev, expert de l'Intitut Kourtchatov de Moscou, présent aux débats. Les écologistes présents aux auditions se sont félicités du fait que ce dossier "top secret" soit pour la première fois publiquement débattu en Russie.

TOURNANT

"Il s'agit de la première tentative de dialogue avec la société sur ce problème sensible", a estimé Sergueï Baranovski, président de la branche russe de la Fondation Croix verte internationale. Pour Alexandre Nikitine, ancien officier sous-marinier et premier dissident écologiste en Russie postsoviétique, "c'est un véritable tournant". "Le ministère de l'énergie atomique a, pour la première fois, fait des sacrifices inédits en ayant publié des documents secrets", a-t-il ajouté.

M. Nikitine, aujourd'hui vice-président du tout nouveau parti écologiste Russie verte, avait fait onze mois de prison pour espionnage à la suite de la publication d'articles sur la pollution nucléaire, avant d'être totalement blanchi. Un autre ex-officier russe, Grigori Pasko, a pour sa part purgé plus d'un an de prison pour "trahison sous forme d'espionnage" pour le même "crime" que Nikitine : il a donné l'alerte sur la pollution nucléaire due à la marine russe, une information considérée comme relevant du secret d'Etat.

Depuis 1958, l'Union soviétique puis la Russie ont construit 248 sous-marins nucléaires, cinq bâtiments de surface, 8 brise-glace et un bateau de transport, tous à propulsion nucléaire.

A ce jour, 195 sous-marins nucléaires ont été mis au rebut dont 118 dans la région Nord-Ouest, selon Albert Vassiliev, directeur du Centre international de sécurité nucléaire, dépendant du ministère de l'énergie atomique.


------> Les "Tchernobyl" sous-marins
(Il navigue dans les océans de la planète 245 réacteurs nucléaires, soit plus de la moitié des quelque 440 réacteurs des centrales nucléaires civiles qui produisent de l'électricité sur Terre, selon un rapport de "l'Observatoire des armes nucléaires françaises".)

------> Nouvelle Zemble

"Sous-marins, dollars et déchets nucléaires"
Vladivostok: les ruines de la flotte nucléaire du pacifique, le "recyclage" de ces déchets radioactifs via la Corée et Grigori Pasko (incarcéré pendant 20 mois) qui a écrit des centaines d'articles sur la pollution engendrée par les sous-marins nucléaires à l'abandon et a rendu publiques des images de déversement de déchets radioactifs en mer du Japon.

53 mn en Realvideo 33Kb

 

Les militaires russes cachent les fuites radioactives en Extrême-Orient (député)

MOSCOU (1/3/02) - Les militaires russes "cachent les fuites de déchets radioactifs" en Extrême-Orient russe, a accusé le député russe Boris Reznik dans une interview au quotidien russe Izvestia publiée vendredi.

"Les dépôts des déchets nucléaires sont protégées pas tellement des terroristes mais en premier lieu des inspecteurs du ministère russe de l'Energie atomique qui s'en voient refuser l'accès sous prétexte du secret militaire", a souligné M. Reznik.

La flotte du Pacifique compte 75 sous-marins nucléaires mis hors service dont 45 encore chargés de combustible nucléaire. La moitié de ces derniers sont dans un état potentiellement dangereux, selon le responsable qui cite des documents secrets obtenus auprès des autorités nucléaires russes. (Selon l'organisation écologiste norvégienne Bellona, les réacteurs d'une centaine de sous-marins nucléaires mis au rebut attendent depuis plusieurs années d'être retraités)

Trois sous-marins qui ont subi des accidents nucléaires et toujours chargés de combustible se trouvent dans la baie de Pavlovskaïa, dans la région de Primorié. Leur niveau de radioactivité dépasse largement les normes, selon le député.

Aucun contrôle de la radioactivité n'a été effectué après le renflouage en 1997 d'un sous-marin naufragé près de la baie Kracheninnikov (Kamtchatka) avec le réacteur nucléaire en fonctionnement, selon la même source (voir: le démantèlement des sous-marins nucléaires).

Le journaliste militaire russe Grigori Pasko, condamné à quatre ans de prison pour "espionnage", avait à l'origine été poursuivi pour avoir transmis des informations à des médias japonais sur le déversement en mer du Japon de déchets radioactifs et chimiques par la marine russe.


"On entre facilement dans un site nucléaire russe", raconte un député

MOSCOU (15/2/02) - La branche russe de l'organisation écologiste Greenpeace et le parti libéral Iabloko ont dénoncé vendredi "l'absence de systèmes de sécurité" dans les sites nucléaires en Russie, racontant comment leurs représentants ont réussi à pénétrer sur un de ces sites en Sibérie.
"En traversant la rivière Ienisseï (région de Krasnoïarsk, Sibérie) nous nous sommes retrouvés devant l'usine minière et chimique de Jeleznogorsk" où sont stockées plus de 3.000 tonnes de combustible nucléaire usagé, a raconté lors d'une conférence de presse le député de Iabloko Sergueï Mitrokhine.

"Personne n'était là pour nous demander nos papiers" et l'enceinte de l'usine contenait "des trous de la taille d'un homme", a assuré le député qui était accompagné lors de son voyage samedi dernier par deux écologistes de Greenpeace et une équipe de la télévision russe NTV.

"Nous sommes allés directement vers les dépôts où sont stockés des déchets nucléaires ukrainiens et bulgares. Une voiture avec des gardiens est passée à côté de nous, mais comme les habitants des localités voisines passent constamment par ici (pour raccourcir leur chemin) personne n'a fait attention à nous", a assuré M. Mitrokhine.

"Le fil barbelé censé protéger les dépôts était rompu (...) et rien de nous a empêché de monter sur le toit d'un dépôt en construction" situé tout près d'un autre site où sont stockés des déchets radioactifs, a-t-il affirmé.

"Il n'y a non plus aucun obstacle pour pénétrer dans ce dépôt" qui contient des déchets d'une radioactivité de plus d'un milliard de curies, a ajouté le député. Les fuites radioactives pendant la catastrophe de Tchernobyl avaient atteint 50 millions de curies, selon Greenpeace.

"J'ai peur d'imaginer ce qui pourrait arriver si un groupe de terroristes était à notre place", a relevé M. Mitrokhine.

Les systèmes de sécurité des sites nucléaires russes "manquent systématiquement de financement", a souligné le parlementaire qui compte envoyer au président russe Vladimir Poutine un compte-rendu de son voyage, ainsi que des images filmées à Jeleznogorsk.

Le député a refusé de dévoiler les noms de ses coéquipiers de Greenpeace, en raison de "plusieurs procès pour espionnage" en Russie, notamment celui du journaliste militaire Grigori Pasko qui a enquêté sur le déversement en mer du Japon de déchets radioactifs par la marine russe.

L'absence d'un système de sécurité dans le dépôt de déchets nucléaires de Jeleznogorsk risque d'entraîner "une catastrophe semblable à celle de Tchernobyl", dans le cas d'une éventuelle attaque terroriste, a affirmé un responsable de Greenpeace, Vladimir Tchouprov, lors de la même conférence de presse.

Les 20.000 tonnes de déchets nucléaires étrangers que le ministère russe de l'Enérgie atomique envisage d'importer en Russie doivent être stockées à Jeleznogorsk, a indiqué M. Mitrokhine.

Le Parlement russe a adopté en juin dernier des amendements à la loi sur la protection de l'environnement, qui autorisent l'importation en Russie de combustible nucléaire usagé pour le stockage et le retraitement.

La Russie "n'est pas prête à réaliser un tel projet pour des raisons de sécurité", a estimé M. Mitrokhine.

 

--------> Risque de contamination nucléaire majeure dans l'Oural, jusqu'à l'arctique

 

 

Le Monde, 27/12/01

Plusieurs associations dénoncent la condamnation [...]

Le parquet militaire avait requis neuf ans de prison. Grigori Pasko, lui, espérait un acquittement, tout comme les associations de défense des droits de l'homme et de l'environnement, pour lesquelles "l'affaire Pasko" est devenue hautement symbolique. Leurs espoirs ont été déçus mardi 25 décembre. Au terme d'un procès de cinq mois, le journaliste militaire, jugé pour "haute trahison" et "espionnage", a été condamné, à Vladivostok, à quatre ans de détention par la cour militaire de la flotte du Pacifique.

Grigori Pasko a toujours clamé son innocence. Au cours des années 1990, ce journaliste militaire, capitaine de frégate correspondant de la flotte du Pacifique, écrit sur le mauvais état de la marine russe, sur la corruption qui y règne et sur ses pratiques de déversement de déchets en mer. Certains de ses reportages sont diffusés au Japon. Accusé d'espionnage et de haute trahison, il passe dix-neuf mois en prison. On lui reproche d'avoir remis, en 1997, à des médias japonais, des informations secrètes sur des déversements chimiques et radioactifs en mer du Japon.

AMNISTIE ET APPELS

Au terme d'un premier procès à huis clos, en juillet 1999, le tribunal militaire de Vladivostok le condamne à trois ans de prison pour "abus de pouvoir", rejetant les chefs d'accusation plus graves rassemblés par le FSB (ex-KGB). Une amnistie votée par le Parlement lui vaut la liberté. Mais ni le journaliste ni le parquet militaire ne veulent en rester là. Grigori Pasko souhaite être clairement innocenté, et les juges militaires veulent faire appliquer leur décision. Les deux parties décident de faire appel auprès de la Cour suprême. En novembre 2000, celle-ci renvoie l'affaire devant la cour militaire de Vladivostok, pour un deuxième procès.

Un seul des dix griefs initialement faits à Grigori Pasko a été cette fois retenu.

Le journaliste est aujourd'hui condamné pour avoir, le 11 septembre 1997, assisté illégalement à une réunion de l'état-major de la flotte du Pacifique, au cours de laquelle il a recueilli deux pages de notes que, selon le FSB, il a ensuite transmises à des médias japonais. Malgré cet unique chef d'accusation, l'ex-KGB a tout lieu d'être satisfait du verdict. "Pasko a recueilli une information sur ordre d'étrangers. Son activité n'a rien à voir avec la protection de l'environnement", a affirmé Alexandre Zdanovitch, porte-parole du FSB, en qualifiant le verdict d'"absolument juste".

Ayant quitté l'armée en juillet, le journaliste militaire, outre sa condamnation à quatre ans de détention, s'est vu priver de son grade de capitaine de frégate et perd, par conséquence, tout droit à la retraite. Agé de quarante ans, il travaillait ces derniers temps pour le journal Novaïa Gazeta et pour Radio Svoboda (Liberté). Comme il avait déjà purgé une partie de sa peine précédente, il lui reste à effectuer vingt-huit mois d'emprisonnement, qu'il devra passer dans un centre de haute sécurité. Son avocat a fait part de son intention de faire appel devant la Cour suprême.

"DES TEXTES ILLÉGAUX"

Le verdict de Vladivostok montre "la vraie nature du régime de Vladimir Poutine, libéral pour l'Occident, policier pour la Russie", s'est indigné Lev Ponomarev, du mouvement Pour les droits de l'homme. L'organisation norvégienne de défense de l'environnement Bellona s'est, elle aussi, insurgée contre ce verdict, en soulignant que les éléments à charge étaient "fondés sur des textes illégaux", comme dans l'affaire Nikitine, cet ancien militaire de Saint-Pétersbourg qui avait conclu victorieusement son bras de fer avec la justice. Pour Igor Koudrik, représentant de Bellona, le verdict rendu mardi à l'encontre de Grigori Pasko montre que "la Russie devient moins ouverte face aux questions écologiques", et le fait que le journaliste ait été traduit devant cette cour "discrédite le système judiciaire russe, dont la réforme commence".

De leur côté, le quotidien Vedomosti et plusieurs défenseurs des droits de l'homme ont pressé le président V. Poutine d'intervenir en faveur Grigori Pasko. "Poutine doit critiquer publiquement le verdict en tant que garant de la Constitution pour défendre la liberté de la presse", a estimé le quotidien russe. L'organisation de défense des journalistes Reporters sans frontières (RSF) s'est déclarée "indignée" par ce verdict prononcé à l'encontre de Grigori Pasko, dans une lettre adressé à Vladimir Poutine. "La condamnation inacceptable et scandaleuse dont il fait l'objet n'a qu'un seul but: intimider et réduire au silence la presse russe sur les sujets parmi les plus importants et les plus sensibles", a souligné Robert Ménard, secrétaire général de RSF. "Nous demandons la libération immédiate de Grigori Pasko, l'annulation de ce verdict et sa réhabilitation", a-t-il ajouté dans cette lettre également adressée à la Cour suprême russe. Les organisations russes de défense des droits de l'Homme ont continué à critiquer le verdict. Grigori Pasko "est devenu le symbole de la lutte" entre la société civile et la bureaucratie, et "la société a pu une nouvelle fois constater l'indifférence du pouvoir envers les problèmes qui la préoccupent".

Le sort de Grigori Pasko ne semble toutefois pas primordial aux yeux de l'opinion. Mardi soir, le journal télévisé de la chaîne publique RTR n'a annoncé le verdict qu'au bout de quinze minutes, après avoir fait état des chutes de neige dans le sud du pays.

Marie-Pierre Subtil


Quatre ans de prison pour Pasko, qui avait dénoncé l'état de la flotte russe du Pacifique

VLADIVOSTOK, Russie (26/12/01) - Les organisations de défense des droits de l'Homme ont unanimement dénoncé mardi la condamnation à quatre ans de prison de Grigori Pasko, reconnu coupable de trahison et dégradé par un tribunal militaire pour avoir dénoncé les dangers de pollution nucléaire liés à l'état de la flotte russe dans le Pacifique. (La dramatique histoire des sous-marins nucléaires soviétiques)
Neuf ans avaient été requis à Vladivostok contre ce militaire devenu journaliste et accusé d'espionnage. Ayant déjà passé 20 mois en détention, Pasko purgera les 28 mois restant dans une prison de haute-sécurité.
Pour le Groupe Moscou Helsinki, qui a publié une lettre notamment signée par Helena Bonner, la veuve du prix Nobel de la paix Andreï Sakharov, et Alexandre Nikitine, défenseur de l'environnement accusé de trahison puis acquitté pour avoir également dénoncé le danger de pollution nucléaire (Nouvelle Zemble), ''une illusion s'est effondrée (mardi), qui montre le véritable prix de la paix en Russie''. ''Le pays ne comprend toujours pas vraiment quelle route le FSB (Service fédéral de sécurité, ex-KGB, NDLR) est en train de prendre''.
''Ce verdict signifie que la Russie devient moins ouverte sur les questions d'environnement, ce qui ralentit le travail sur ces questions, tant au niveau international que national'', estime le mouvement de défense de l'environnement Bellona, qui a assisté la défense de Pasko.
Accusé de trahison pour avoir communiqué à la presse japonaise des secrets d'Etat sur la flotte russe du Pacifique, Grigori Pasko a acquitté, puis reconnu coupable d'avoir illégalement assisté et pris des notes en 1997 à une réunion secrète au cours de laquelle les commandants de la flotte ont discuté tactique navale.
''Je ne comprends absolument pas l'essence de la sentence, particulièrement en ce qui concerne ma culpabilité'', a déclaré le journaliste au tribunal. Son avocat Anatoli Pichkine ignorait si son client comptait faire appel. La procédure doit être lancée dans les sept jours suivant le jugement.
Quant au consul général américain James Shoemaker, présent dans la salle du tribunal, il a trouvé le jugement ''un peu inattendu''.
Le président de la chambre haute du Parlement, Sergueï Mironov, a déclaré au journal ''Izvestia'' qu'il soutiendrait Pasko si celui-ci demandait la grâce présidentielle à Vladimir Poutine. ''L'opinion publique internationale sait depuis longtemps qui a tort et qui a raison'' dans ce dossier, a-t-il ajouté. De son côté, le porte-parole du FSB, Alexandre Zdanovitch, cité par l'agence Interfax, a exprimé des doutes sur les chances de réussite d'un appel, estimant que Pasko était ''un militaire qui divulgué des secrets d'Etat'' et non un journaliste.

 


Libération, le samedi 11 et dimanche 12 septembre 1999: 

Si les services secrets russes ont essuyé une défaite à mon procès, ce système, à qui l'on doit le goulag, dirige toujours l'Etat.
Moi, éternel client du KGB

Gregori Pasko, journaliste à Vladivostok et pigiste pour un journal et une chaîne de télévision japonais, a dénoncé dans ses reportages les dangers de pollution nucléaire dans le Pacifique et montré les méfaits de la Flotte du Pacifique russe en la matière. Accusé d'«intelligence avec des puissances étrangères», il a été arrêté le 27 novembre 1997 par le FSB et jeté en prison. Le Pen Club, Amnesty International, Reporters sans frontières et d'autres ont pris sa défense, son procès dans l'Extrême-Orient russe a été couvert par la presse internationale (Libération du 21 janvier). Faute de preuve, Pasko a tout de même été condamné pour «abus de fonction» à trois années de prison et libéré le jour de son verdict. Pasko et ses avocats ont fait appel de ce jugement.

Par GREGORI PASKO

Trois semaines après le verdict de mon procès, un journal de Vladivostok a publié une longue interview du chef du département du FSB (nouvelle appellation du KGB, ndlr) de la flotte du Pacifique de l'armée russe, où il se plaignait franchement que «l'espion Pasko» n'ait pas été condamné à une lourde peine et ne retourne pas en prison. Or, si j'ai été condamné à une peine plus légère (bien qu'injuste), je suis sorti libre du tribunal car j'étais depuis vingt mois en prison. Que s'est-il passé? Serait-ce donc vrai que la démocratie en Russie soit allée si loin que même ce «bureau» si puissant de l'ex-KGB ne parvienne pas toujours à ses fins? Contrairement à certains de mes défenseurs, je ne crois pas qu'en Russie quelque chose ait radicalement changé dans la période postsoviétique et que la démocratie soit réellement apparue. «On ne peut pas être libre dans un marais», dit-on. On peut discuter longtemps d'un tel sujet, je voudrais simplement dire l'opinion d'un homme qui a connu l'expérience de la prison et celle de mes relations avec ces gebechniks (les collaborateurs du KGB-FSB, ndlr) qui essaient de se réhabiliter aux yeux de la société.

Qu'est-ce que cela veut dire? Qu'ils ne sont plus si indifférents à l'opinion publique? Ou bien ne serait-ce pas plutôt une nouvelle manifestation d'un cynisme contemporain? Sans doute l'appareil du KGB-FSB a-t-il essuyé une défaite dans «l'affaire Pasko», ainsi qu'ils l'ont surnommée. Sans doute a-t-on porté là un coup sensible à tout leur système. Ils ne savent pas perdre et ils n'aiment pas perdre (bien que, ces derniers temps, ils ne fassent rien d'autre que perdre). Ils vont s'accrocher au leitmotiv: «Pasko est un espion japonais.» Et ils vont le faire d'autant plus que l'un des leurs est à la tête du gouvernement russe. Ce n'est pas le premier. Hier Primakov puis Stépachine, aujourd'hui Poutine. Qui sera le suivant? J'étais en prison quand ces trois-là se sont succédé au pouvoir. Et les trois ont fait comme s'il ne se passait rien de particulier dans le domaine des droits de l'homme en Russie. Je n'ai donc aucune confiance en eux, de même que je n'ai pas confiance dans ceux qui les accueillent dans des mouvements politiques. Mais il me semble que mon peuple commence à mieux comprendre qui est qui dans le monde de la politique et dans celui du pouvoir. Il deviendra de plus en plus difficile de le tromper encore une fois.

Pour ce qui me concerne, je n'ai pas d'illusions. Et depuis longtemps. Depuis le jour où j'ai demandé à un jeune gebechnik de 28 ans pourquoi il était une «canaille». Il m'a répondu: «Parce qu'on nous a appris à l'être.» Quel avenir peut avoir un pays avec des professeurs pareils? Mon peuple oscille entre la confusion et l'indifférence. A propos de «l'affaire Pasko», plus de 22 000 lettres ont été envoyées du monde entier au président Eltsine, au directeur du FSB Poutine et au tribunal militaire de la flotte du Pacifique. On y demandait de changer la mesure de coercition, de cesser de persécuter illégalement un homme qui avait osé publier la vérité sur la situation écologique de la flotte de l'océan Pacifique. Parmi toutes ces lettres, une seule venait de Russie. Elle avait été envoyée par un détenu de Komsomolsk-sur-Amour.

En revanche, après mon verdict et qu'on m'eut libéré dans la salle du tribunal, j'ai reçu 20 lettres: on me félicitait, on m'invitait à la maison. Je suis reconnaissant à tous. A ces 22 000 et 20 correspondants. A ces derniers peut-être même plus, parce qu'ils ont dû surmonter une peur génétique. Mais de quoi et de qui avons-nous peur? Des Poutine? Des Stépachine? C'est drôle, n'est-ce pas? Ils ne ressemblent pas à des monstres ou à des gens rendus dangereux par un handicap physique ou mental. On a peur d'eux parce qu'ils personnifient le système, parce qu'ils perpétuent tout le mécanisme de goulag. Aujourd'hui, ce système veut montrer qu'il est indispensable.

Sait-on combien de collaborateurs travaillent au FSB? Qui osera dire la somme réelle que l'on dépense pour entretenir cette armée qui lutte contre son propre peuple? Et à la fin, qui, réellement, pourra contrôler les activités du KGB-FSB et les mettre en accord avec les lois en vigueur? Je me suis rendu compte que le parquet, les tribunaux, la douane et les journalistes servent le FSB comme des valets. Il faut changer les lois fédérales, lesquelles actuellement accordent des droits illimités au FSB et n'autorisent aucun contrôle réel sur ses activités. Comment parler de contrôle alors que le parquet lui-même applique des mesures de répression, parfois mieux que n'importe quel organe du FSB et du MVD (ministère de l'Intérieur, ndlr)? Il faut changer la nature même du FSB, en sorte qu'il ne s'occupe que des fonctions qui lui sont propres (elles ne sont pas si nombreuses). Pourquoi cela semble-t-il tellement impossible aujourd'hui? Parce qu'il n'y a aucun précédent en matière de punition pénale concernant des collaborateurs du FSB, des membres du parquet ayant fabriqué des «preuves» afin d'emprisonner des personnes innocentes. Si ces «canailles» qui ont fabriqué «l'affaire Pasko» se trouvaient en prison, leurs collègues y réfléchiraient à deux fois avant de les imiter.

Mais, pour l'instant, les faits ne vont pas dans ce sens. Se soucie-t-on si peu de ce que nous deviendrons demain? Et après-demain nos enfants? Avons-nous oublié 1937 et les autres années? Avons-nous perdu la mémoire? Eux, ils n'ont rien oublié. Ils se souviennent bien de toutes les méthodes pour fabriquer des enquêtes sur chacun de nous: un médecin, un écrivain, un journaliste... Ils se souviennent de tous ceux qui, selon leurs critères, ont été mal notés ou considérés comme dangereux, dangereux avant tout pour eux et non pour le pays, parce qu'à leurs yeux le pays, c'est eux-mêmes, et non pas nous. Ils n'oublieront jamais leur défaite dans «l'affaire Pasko». Ils se préparent déjà à un nouvel examen de cette affaire dans le collège militaire de la Cour suprême et, n'en doutez pas, ils se souviendront des vilenies que recèle l'arsenal de leurs caves.

Trois jours après le verdict, deux miliciens ont arrêté ma voiture et m'ont demandé d'en ouvrir le coffre. «Qu'est-ce que vous cherchez?» «De la drogue et des armes», ont-ils répondu. Après quoi je leur ai demandé: «Alors, vous avez trouvé quelque chose?» «Aujourd'hui, non», ont-ils répondu en souriant. Ainsi, par l'intermédiaire de son frère cadet, la milice, le KGB m'a rappelé que j'étais son client éternel. Chacun de nous est son client. Ils ont besoin de nous comme lapins de laboratoire, comme moyen de subsistance, afin de nourrir leurs ambitions et leurs complexes. Mais nous, avons-nous besoin de cela?.

Traduit du russe par Zoïa Svetova.