La Provence, 27/04/2007: 

Interrogations autour du chantier de Georges-Besse II

Cent ouvriers polonais travaillent dans les opérations de génie civil

Qualifié d'investissement industriel français de la décennie (une enveloppe de 3 milliards d'euros concerne ce projet) par la présidente d'Areva, Anne Lauvergeon, l'usine d'enrichissement Georges-Besse II, dont le premier module est en cours de construction sur le sol bollénois, était aussi annoncé comme un formidable bol d'air, en terme d'embauches, dans un bassin fortement marqué par le chômage.

Comme une délocalisation à l'envers. Mais, alors que le chantier bat son plein, ce dernier est le théâtre d'un étrange paradoxe. Sur les 200 personnes qui travaillent sur les opérations de génie civil, la moitié vient de Pologne (voir les explications du chef de projet ci-dessous). Comme une délocalisation à l'envers. Les syndicats présents sur le complexe nucléaire, voudraient s'intéresser aux conditions de travail de ces travailleurs venus de l'est. "Mais on ne nous laisse pas entrer, déplore Christian Papini délégué groupe Areva NC pour la CFDT. Les seules visites de chantier ne nous permettent pas d'établir si les conditions de travail de ces ouvriers sont conformes à la législation française. Si ce chantier est bien sous tous rapports, qu'on nous laisse donc vérifier par nous-mêmes!" s'exclame-t-il.

Autre thème de préoccupation des syndicats, la politique d'achats d'Areva "qui ne permet pas à des entreprises françaises de s'aligner sur leurs concurrents étrangers lors des appels d'offre." Hypothèse vraie ou pas, la situation conduit à s'interroger sur le fait que l'on fasse venir des travailleurs vivant à des milliers de kilomètres, dans une ville qui compte nombre de chômeurs à faible qualification.

D'autant plus que le démarrage du chantier n'a surpris personne puisqu'il accusait plus d'un an de retard par rapport au calendrier prévisionnel. Nicolas de Turckheim, directeur du projet de construction de l'usine réaffirme néanmoins que "la construction de GB II (module de Pierrelatte compris) va générer 2000 emplois directs sur huit ans et que les entreprises régionales ont eu un fort taux de succès aux 90 appels d'offres (60%)."

 

 


A propos de Georges-Besse II:

Extrait de la lettre d'information du Comité Stop Nogent-sur-Seine n°107, mai-septembre 2005:

La France et les usines d'enrichissement de l'uranium:
D'Eurodif (Georges Besse I) à Georges Besse II


Usine Georges Besse

La France va abandonner le procédé d'enrichissement par diffusion gazeuse actuellement utilisé à l'usine Eurodif pour un procédé par centrifugation. Ceci nécessite la création d'une nouvelle installation nucléaire de base et devrait susciter une mobilisation antinucléaire nationale car l'enrichissement de l'uranium est à la base de toute l'industrie nucléaire civile et aussi militaire.

Rappelons que des trois isotopes U238, U235, U234 de l'uranium naturel, seul l'uranium 235 est fissile. Alors que sa concentration en poids est d'environ 0,71% dans l'uranium naturel (pour 99,28% d'U238 et 0,005% U234) il est nécessaire d'augmenter la concentration en U235 pour utiliser l'uranium dans les réacteurs nucléaires. Elle est enrichie entre 3 et 6% dans le combustible des réacteurs actuels. Il est envisagé un enrichissement à 15% pour les réacteurs dits de 4ème génération.
L'étape de l'enrichissement intervient après l'extraction du minerai d'uranium puis de sa concentration en uranium sur le site minier par des traitements aboutissant à un produit pâteux (le « yellow cake ») et de la conversion des concentrés d'uranium en hexafluorure d'uranium UF6 à Pierrelatte (Drôme) dans les installations de COMURHEX. L'enrichissement s'effectue sur l'UF6 gazeux à l'usine Eurodif de Pierrelatte, rebaptisée Georges Besse I, par le procédé de diffusion gazeuse.
Remarquons que s'il y a enrichissement de l'uranium d'une part, il reste bien évidemment de l'uranium appauvri d'autre part : la conversion de 8 kg d'uranium naturel à 0,71% d'U235, produit 1 kg d'uranium enrichi à 3,7% et 7 kg d'uranium appauvri (UA) à 0,25%.

Eurodif, tuyauterie de la cascade d'enrichissement.

Le projet annoncé par AREVA de passer de la diffusion gazeuse à un autre procédé par centrifugation, a fait l'objet d'un débat public en Rhône-Alpes du 1er septembre au 22 octobre 2004. A notre connaissance, la seule réaction sur place a été une conférence de presse menée par la CRIIRAD et le Réseau « Sortir du nucléaire ».
Or, en Limousin nous sommes aussi concernés, qui dit enrichissement de l'uranium dit aussi qu'il en résulte de l'uranium appauvri (UA) nous le savons et pour cause, puisqu'à Bessines nous avons hérité de l'UA résultant de l'enrichissement effectué à Eurodif. Dans une ICPE, installation classée pour la protection de l'environnement, a été autorisé « l'entreposage » de 199 900 tonnes d'oxyde d'uranium appauvri sous forme de poudre ! Cette ICPE personne n'en voulait en 1995, ni la population ni les élus ni les commissaires enquêteurs malgré l'argument développé par COGEMA d'un ré-enrichissement ultérieur de UA grâce à une merveilleuse technique par laser, le procédé SILVA. Aussi, dès que nous avons appris l'existence du nouveau projet AREVA nous avons saisi par courrier les élus des Conseils Régional et Général, et par tract distribué à Limoges la population, tous s'étant autrefois massivement prononcés contre le projet d'entreposage de UA.

Vue partielle d'un groupe de diffusion.

Nous nous sommes procurés la pub AREVA sur le sujet en téléphonant à COGEMA-Pierrelatte, une somptueuse plaquette, ainsi que le « Dossier du maître d'ouvrage » ces deux documents étant destinés au débat public.
Ce que nous avons appris, entre autres, sur l'enrichissement par laser qui nous fut présenté en 1995 comme une solution d'avenir pour la matière première que serait l'uranium appauvri a, comme on dit, « retenu toute notre attention ». Lors du dépôt du dossier d'enquête publique, le laser était « la » solution retenue qui permettrait de reprendre les 199 900 tonnes d'UA pour les ré-enrichir, tout cela afin de convaincre les élus et la population qu'il s'agissait bien d'un entreposage et non d'un stockage, que cet UA serait enlevé pour être enrichi au bout d'une vingtaine d'années voire moins, voulant prouver par là que cet UA n'est pas un déchet. Or voilà la chose abandonnée, bien qu'elle ait « fait la preuve de sa capacité théorique à enrichir l'uranium, son utilisation industrielle se heurtant à des coûts rédhibitoires... » ? Comme quoi les prévisions à court terme dans le nucléaire sont aussi fiables que la météo du lundi pour le week-end...

La surprise de la centrifugation (procédé adopté pour Georges Besse II) c'est l'économie d'énergie qui est annoncée pour une capacité annuelle nominale voisine de celle de la diffusion gazeuse. La capacité de production est évaluée en unités dites UTS, « unité de travail de séparation* », 10 millions d'UTS pour Eurodif et 7,5 à 11 millions d'UTS pour Gorges Besse II. (D'après Wise-Paris** en 2001 Eurodif a produit 2 165 tonnes d'UF6 enrichi à partir de 18 194 tonnes d'UF6 naturel fourni par Comurhex-Pierrelatte. D'après la documentation AREVA la production de 1 kg d'uranium enrichi à partir de 8 kg d'uranium naturel correspond à 5 UTS et un réacteur de 900 MW consomme annuellement 100 000 UTS.)

Eurodif utilise 3 réacteurs du Tricastin à pleine puissance et on peut faire pareil avec seulement 50 MW ! On voit que le gaspillage n'est pas l'exclusivité des ménages ! Pourquoi avoir choisi la diffusion gazeuse alors que le procédé par centrifugation est aussi ancien ?

Le calendrier prévisionnel semble avoir quelque retard. Début 2005 devait voir l'attribution du « Permis de construire » et le début des enquêtes publiques DAC (décret d'autorisation de création de l'installation nucléaire de base INB) et DARPE (demande d'arrêté de rejet et de prélèvement d'eau). La DRIRE nous a confirmé en juin 2005 que les dossiers d'enquête publique n'étaient toujours pas arrivés dans ses services.
Ce retard est-il dû au fait que des études de sûreté concernant le risque de sismicité, le risque de criticité et le risque de chute d'avion ont été demandées par l'autorité de sûreté nucléaire (ASN) ? Ces études sont-elles terminées et ont-elles donné satisfaction à l'ASN ?


Le débat public : qu'en dire, sinon que la Commission Nationale de Débat public ayant décidé que l'organisation du débat public serait confiée au maître d'ouvrage, AREVA ( ! ) on peut lire qu'une « commission de pilotage composée de quatre membres indépendants du groupe AREVA, est chargée d'animer le débat public ». Pas d'autres indices nous permettant de mieux cerner « l'indépendance » de ces quatre membres... Mais il y a bien longtemps que nous avons appris qu'en matière de nucléaire, tout n'est qu'une affaire de croyance, qu'il s'agisse de transparence, d'information objective, d'infaillibilité des concepteurs ou de celle des exploitants, des enseignements du « retour d'expérience » après incidents ou accidents.
Pour en savoir plus : www.debatpublic-gbesse2.org

Au fond notre critique porte sur ce qui ne figure pas au projet de débat public et qui devrait impérativement en faire partie, à savoir :
- que deviennent les déchets de l'enrichissement, où sont-ils censés aller ? Les réunions publiques ayant été organisées dans les communes situées aux alentours du site nucléaire du Tricastin, le débat contradictoire n'a pas été accessible aux habitants du Limousin. Cette carence du dossier sera passée inaperçue alors que 7 kg d'UA sont produits par kg d'uranium enrichi !
- Où entreposer l'uranium appauvri ? Sur place ? Sur quelque site minier propriété de COGEMA ?
- Où iront les tonneaux de fluorine provenant de la défluoration de l'U appauvri et qui contiennent de l'uranium ? Sur quelle décharge publique ? (A notre connaissance la réaction de l'association ASPCV*** qui s'oppose à la mise en décharge de ce type de déchets a été la seule réaction locale à ce jour). Les enquêtes publiques concernant les ICPE (installations classées pour la protection de l'environnement) prévoient, dans le cas de porcheries ou de poulaillers industriels, les conditions de stockage ou d'évacuation des lisiers, des fientes etc. Les autorisations sollicitées pour les rejets et prélèvements de la nouvelle INB d'enrichissement Georges Besse II ne concernent que l'eau, nous avons donc quelques sujets d'inquiétudes quant au devenir de l'UA et de la fluorine dopeé à l'uranium pour ne citer que ceux là !
Nous attendrons les dossiers des enquêtes publiques et ferons critiques et observations sur les cahiers d'enquête mais ce faisant nous savons d'expérience que nous alimenterons une procédure « consultative » qui se veut nécessaire et « démocratique » alors que les jeux sont faits et que les conclusions et avis défavorables tant de la population, des élus et de la commission d'enquête peuvent être ignorés par le Préfet. C'est bien ce qui est arrivé en Limousin en 1995 pour l'entreposage d'uranium appauvri à Bessines sur Gartempe. (Tandis qu'à Pierrelatte la population n'a pas été désavouée, ni la commission d'enquête. Il s'agissait, il est vrai, de la régularisation d'une installation existante mais saturée).
S'il s'agit de sortie ou d'abandon du nucléaire, le dossier Georges Besse II nous semble stratégiquement au moins aussi bien placé que celui de l'EPR. En effet la production d'uranium enrichi alimente notre parc nucléaire et l'exportation. Mais on nous fait remarquer que l'EPR est plus mobilisateur. Pourquoi, alors que Georges Besse II, plus sûrement encore qu'un EPR à Flamanville et l'autre en Finlande, signifie la relance incontestable du nucléaire ? D'ailleurs une dépêche AFP de fin mai annonce que les commis voyageurs du nucléaire français vont aller démarcher Khadafi en Lybie ! Un client de plus pour Georges Besse II !!!
Pour finir, reprenons le dossier du Maître d'ouvrage AREVA et son calendrier prévisionnel :
- Fin 2007... Première production de l'usine Georges Besse II
- Vers 2020.. Fin des opérations de démantèlement d'Eurodif.

A quand la sortie crédible du nucléaire prônée par ceux qui prétendent qu'une sortie immédiate avec les moyens existants (comprenant le thermique classique) ne serait pas réaliste ?

CLADE (Collectif Limousin Antidéchets),
6, rue Porte Panet Limoges 87000.


* Selon AREVA, l'UTS (Unité de Travail de Séparation) est l'unité de mesure utilisée comme standard international pour quantifier les besoins en enrichissement des réacteurs et la capacité des usines d'enrichissement, quelle que soit la technologie utilisée.
** Beaucoup de renseignements sur l'enrichissement de l'uranium dans : www.wise-paris.org/francais/nosbreves/annee_2002/nosbreves021018c.html
*** ASPCV, association de sauvegarde du patrimoine et du cadre de vie, Solérieux (Drôme).