Erreur ou manipulation ?
à propos du dossier IPSN de 1998,
"Tchernobyl, douze ans après"

Bella Belbéoch

Pour un dossier de l'IPSN consacré à Tchernobyl, douze ans après et destiné à la presse la surprise est de taille ! Concernant l'évolution de l'environnement à Tchernobyl et la gestion des territoires contaminés on peut lire sous le titre Administration des territoires contaminés, qu'en 1986 une loi a classé les agglomérations en fonction des niveaux de contamination des sols (Annexe 1).
Si, comme l'indique le texte IPSN, une zone d'exclusion a effectivement été déclarée pour les 30 kilomètres autour du site accidenté, que dans cette zone les populations ont été évacuées [plus de 100 000 habitants évacués en 1986 dans les jours et mois ayant suivi l'explosion du réacteur de Tchernobyl], qu'il existe dans cette zone des interdictions encore en vigueur en 1998, par contre il n'y a jamais eu de loi adoptée en 1986 qui aurait défini les conditions d'évacuation hors de la zone des 30 km pour l'ensemble des territoires contaminés. Comme partout ailleurs une loi, dans l'ancienne URSS et ses républiques, se caractérise par le fait qu'elle doit être votée par le parlement, même s'il s'appelle soviet suprême ! Cela suppose des discussions ouvertes, ce qui n'a jamais été le cas des décisions de 1986 prises au jour le jour pour gérer la crise de Tchernobyl et dont un grand nombre sont restées secrètes [1].
Le texte cité ensuite est complètement surréaliste car il établit une continuité entre 1986 et les années suivantes jusqu'en 1998 en ce qui concerne les conditions administratives d'évacuation de zones contaminées. C'est ainsi que sous le vocable Rappel des critères administratifs mis en place en 1986 pour la gestion des zones contaminées est décrite comme étant une loi de 1986 la structure typique des lois adoptées en 1991 par les républiques de Biélorussie, d'Ukraine, et de la RSFSR (Fédération de Russie) et entérinées par une loi du 12 mai 1991 du soviet suprême d'URSS ! Ces lois comportent de légères variantes et ont subi quelques amendements après l'accession des républiques à l'indépendance [2].
Nous avons analysé en détail le projet de loi ukrainien de janvier 1991 (Gazette Nucléaire 109/110, juin 1991) qui a été adopté en février 1991 et nous avions indiqué qu'une double limitation d'admissibilité  était alors définie : contamination surfacique et dose annuelle d'irradiation, la dose admissible devenant 1 mSv/an. A l'époque nous avions conservé le terme d'évacuation pour décrire le transfert et le relogement tardifs des populations hors des zones contaminées qui résulterait de l'application de cette loi que nous avons plus tard remplacé par " réimplantation ". Ces lois de 1991 décrivaient toutes, outre la zone d'exclusion, 3 sortes de zones en fonction de la contamination surfacique en Cs 137, Sr 90, Pu et des doses annuelles susceptibles d'être reçues si les habitants étaient maintenus sur place : zones de " réimplantation " obligatoire, (si la contamination du sol en Cs 137, Sr 90 et Pu dépasse respectivement 15 Ci/km2, 3 Ci/km2 et 0,1 Ci/km2 ou si la dose annuelle dépasse 5 mSv) zones de " réimplantation " volontaire avec des garanties de compensation (Cs 137 de 5 à 15 Ci/km2, dose annuelle dépassant 1 mSv), zones donnant droit à des avantages sociaux pour leurs habitants (Cs 137 de 1 à 5 Ci/km2).
La comparaison des zones d'évacuation (" réimplantation ") obligatoire de la supposée loi de 1986 et de celles des lois de 1991 démontre leur similitude. De quel tiroir l'IPSN sort-il cette loi de 1986, d'après laquelle les habitants des zones contaminées à plus de 15 Ci/km2 en Cs137 avec une dose annuelle d'irradiation supérieure à 5 millisievert devaient être évacués ? Alors que la norme officielle admissible a été fixée le 12 mai 1986 par le comité national de radioprotection à 100 mSv pour le restant de l'année 1986 (50 mSv en dose interne et 50 en dose externe), et sera fixée à 30 mSv pour 1987 et 25 mSv pour 1988 et 1989 ?
Comment un glissement de 5 années a-t-il pu être opéré par l'IPSN pour décrire la situation de 1986 ce qui revient à gommer la situation réelle créée par l'explosion du réacteur-4 de la centrale de Tchernobyl ? Pourquoi laisser supposer qu'en plus des évacuations des premiers mois de la zone d'exclusion des 30 km, d'autres évacuations d'habitants hors de zones contaminées ont eu lieu dès 1986, alors que celles qui auront effectivement lieu ne seront que partiellement effectuées des années plus tard, certaines zones étant situées à des centaines de km de Tchernobyl ? Bien sûr il aurait mieux valu pour les habitants de ces zones avoir été évacués dès 1986.
Comment une telle bévue a-t-elle pu se produire au niveau de l'IPSN ? Remarquons que dans aucun dossier de l'IPSN il n'est fait mention d'investigations sur le terrain, alors que l'IPSN avait certainement les moyens de le faire, pour savoir si les décisions du pouvoir central soviétique, qu'il s'agisse de décrets, de circulaires et règlements divers, ou de lois, ont été appliqués d'une façon efficace alors que la bureaucratie soviétique était mondialement réputée pour son inefficacité. Il serait important que l'IPSN dans ses analyses ne se cantonne pas dans un espace virtuel.

Signalons que ce n'est pas la première fois que l'IPSN jongle avec les dates. En voici un exemple : dans un ouvrage collectif publié en 1996 Circonstances et conséquences de la pollution radioactive dans l'ancienne Union Soviétique, l'accident de Tchernobyl est traité au chapitre 4 par Daniel Robeau (coordinateur de l'ensemble du document) sous le titre L'accident de Tchernobyl : contamination des sols, impacts sanitaires et gestion des territoires contaminés.

Dans ce texte D. Robeau résume la loi de 1991 votée par le soviet suprême d'URSS (analogue à celle dite de 1986 par ses collègues et ignorée par eux dans le dossier de presse de 1998), avec sa limite admissible de 1mSv/an et qui décrit les implications sociales liées aux zones à différents niveaux de contamination (évacuation obligatoire, évacuation volontaire, zone à statut privilégié). Il cite aussi le niveau d'intervention de 5 mSv par an fixé en 1988 par les responsables de la radioprotection soviétique (rappelons qu'il s'agit du critère de résidence sans danger si la dose-vie, qui tient compte des doses reçues antérieurement, n'atteint pas la norme de 350 mSv en 70 ans et donnant lieu à évacuation si elle la dépasse, Gazette 96/97, juin 1989) et en conclut qu'en adoptant en 1991 un niveau de 1mSv/an, des populations non évacuées en 1986 et satisfaisant au niveau d'intervention de 1988 se sont retrouvées, en 1991, susceptibles d'être évacuées.
Tout ceci est correct. C'est ce que D. Robeau en déduit sur la gestion de la crise de Tchernobyl par les autorités soviétiques de radioprotection qui pose problème : " Les doses auraient dû être gérées progressivement en fonction de la situation radiologique, des bénéfices de la réhabilitation et de la régénération économique des régions touchées, tout en respectant le niveau d'intervention de 1 Sv/vie recommandé par la Commission Internationale de Protection Radiologique et l'Agence Internationale de l'Energie Atomique " [c'est moi qui souligne]. Or ce n'est qu'en novembre 1992 que la CIPR a précisé ses principes d'intervention concernant le relogement à long terme dans les situations d'urgence radiologique (CIPR 63, 1993) qui ne figuraient pas dans les recommandations d'avant Tchernobyl (CIPR 40, 1984) et c'est en 1994 que l'AIEA a donné ses propres critères (Safety Series, 109). On voit mal comment les doses auraient pu être gérées en respectant des critères qui n'existaient pas encore et qui n'existent dorénavant que parce qu'il y a eu Tchernobyl !
Ceci nous inquiète et en voici les raisons :
D'après nos informations les autorités sanitaires françaises ont défini les niveaux d'intervention qui seraient appliqués dans la phase d'urgence en cas d'accident nucléaire majeur en France bien que pour l'instant rien n'ait été rendu public. Ce sont les niveaux de doses évitées par la mise en úuvre des contre-mesures préconisés par l'AIEA : 10 mSv pour le confinement (mise à l'abri), 50 mSv pour l'évacuation, 100 mGy à la thyroïde pour l'administration d'iode stable. Mais pour l'instant la gestion du moyen et long terme n'a pas été explicitée, ou du moins rien n'a transpiré à l'extérieur du cercle des initiés. Or à l'IPSN, dont le rôle est primordial en ce qui concerne la sûreté, d'après le texte de D. Robeau on a l'air de trouver normale une dose vie de 1 Sv (1000 mSv) en tenant compte de considérations socio-économiques [3]. C'est ce qui avait été préconisé en juin 1989 par le Pr. Pellerin en Biélorussie et en Ukraine en tant que délégué de l'OMS [4]. Cela revient à admettre qu'en cas d'accident nucléaire majeur on puisse être amené à subir durant la vie, sans être relogé hors d'une zone contaminée, une situation radiologique 3 à 15 plus irradiante que celle qui respecterait les normes en vigueur avant l'accident (5 mSv/an en 1999 correspondant en 70 ans de vie à une dose vie de 350 mSv, qui doivent devenir 1 mSv/an en l'an 2000 d'après les directives européennes correspondant à une dose vie de 70 mSv). On aimerait être éclairé sur le sujet car voilà qui promet pour les accidents nucléaires majeurs futurs et la protection sanitaire de la population...

Par son dossier de presse Tchernobyl douze ans après, en escamotant les lois de 1991 adoptées par les républiques et l'URSS, en escamotant la dose admissible de 100 mSv pour l'année 1986, l'IPSN laisse supposer que les autorités soviétiques ont, dès 1986, planifié et réglé la totalité des problèmes posés par l'accident de Tchernobyl alors que les mesures prises en 1986 s'avèreront insuffisantes et nécessiteront plus tard de nouveaux transferts de populations afin de leur assurer une meilleure protection sanitaire. Ceci revient en fait à banaliser Tchernobyl [5] et à minimiser considérablement l'impact d'un accident nucléaire majeur. Est-ce un hasard ?

Notes

[1] Ce n'est qu'en 1991 qu'ont été accessibles les archives du Parti communiste d'URSS comme l'a montré Alla Yarochinskaya en publiant quelques uns des protocoles secrets du Kremlin dans son livre Tchernobyl, vérité interdite (Artel/Ed. de l'Aube,1993).
[2] Les lois biélorusse et ukrainienne sont de février 1991. La loi de la Fédération de Russie est adoptée 3 jours après la loi adoptée par le soviet suprême d'URSS. Celle-ci (signée de M. Gorbatchev) est enregistrée au journal officiel (Viedomosti) sous le n2146-1. Elle précise à l'article 7 ce qu'elle entend par zone d'exclusion : c'est la zone (dénommée zone des 30 km durant les années 1986-1987, et, depuis 1988 jusqu'à la présente loi de 1991, les zones de transfert [otcelienie] des populations) dont les localités ont été évacuées en 1986 conformément aux normes de radioprotection. Ainsi le mot " évacuation " est réservé à l'année 1986. Les transferts tardifs (postérieurs à 1988) ont été traduits en français par relogement, réimplantation. Ils ont d'abord concerné les habitants de villages très contaminés en Ukraine du district de Naroditchi et de villages biélorusses de quelques zones lointaines très contaminées, puis de localités biélorusses contaminées à plus de 40 Ci/km2 en Cs 137. Le plan 1990-1991 élaboré en Biélorussie dès octobre 1989 pour reloger toutes les localités à plus de 40 Ci/km2 n'a pas été réalisé et la loi biélorusse de 1991 spécifie la priorité de ces zones dans le relogement obligatoire.
L'IPSN a conservé le terme d'évacuation dans ses textes de 1996 et 1998.
[3] Responsabilités occidentales dans les conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl en Biélorussie, Ukraine et Russie, Gazette Nucléaire, 163/164, janvier 1998.
[4] Voir la Gazette Nucléaire 101/102, mai 1990 p. 32 avec la lettre envoyée le 5 mars 1990 par 5 associations (GSIEN, CRII-Rad, Bulle Bleue, Écoropa, Savoir) au ministre de la santé de l'époque, Claude Évin, le questionnant sur la position prise par le Pr. Pellerin en tant que délégué de l'OMS et préconisant des limites de dose en contravention avec la réglementation française. Lettre suivie d'une conférence de presse le 9 avril 1990. Aucune réponse à cette lettre ni de suite donnée à la promesse formulée par le représentant du ministre à la délégation reçue en juin 1990.
Le Pr. Pellerin a fait partie de la Commission 4 de la CIPR qui recommande en 1992 pour le long terme un relogement seulement s'il évite une dose vie de 1 Sv ou plus.
[5] Il y a en France des taches nombreuses, mais peu étendues, de contamination dans le sud-est à des niveaux élevés de contamination surfacique en Cs 137, forêt du Boréon, massif du Mercantour. (On le sait depuis longtemps et l'IPSN aussi, en tout cas l'IPSN-Cadarache le sait puisqu'un de ses services, le SERE, a fait des études radioécologiques dès mai 1986 dans le bassin versant du Var. Dans le rapport de M. Maubert de l'IPSN-Cadarache il y avait quelques indications intéressantes, comme celle disant " qu'au mois de juillet la région a été affectée par des feux de forêt qui ont provoqué des resuspensions de dépôts dont l'incidence a été perçue ". Et les pompiers qui sont intervenus s'en est-on préoccupé ? Ou bien que si les normes européennes avaient été en vigueur dès le début du mois de mai de nombreuses récoltes auraient dû être détruites. Voir Gazette Nucléaire 88/89, juin 1988).
Il n'empêche que comparer nos taches alpines à la zone interdite de Tchernobyl est indécent et que cela est rendu possible par le dossier de presse réservé au grand public de l'IPSN Tchernobyl douze ans après qui indique d'une façon erronée qu'en 1986 devaient être évacués des habitants de zones contaminées à plus de 15 Ci/km2 (185 000 Bq/m2 en Cs 137) avec les mêmes restrictions appliquées à ces zones que la zone d'exclusion de Tchernobyl. Cela est très dommage pour le livre de Jacquemin qui fait cette confusion alors que :

Jean-Michel Jacquemin Ce fameux nuage...Tchernobyl, préfacé par le Pr. Théodore Monod, est remarquablement documenté en ce qui concerne l'état de la contamination relevée en France depuis Tchernobyl tant par les organismes officiels que par la CRII-Rad et aussi par le recensement exhaustif des problèmes thyroïdiens en France ce qui devrait susciter l'attention des autorités sanitaires françaises. (Éditions Sang de la Terre, 1998, Paris).

 

Annexe 1

Extrait du dossier de presse de l'IPSN Tchernobyl, douze ans après, (avril 1998),.

Chapitre IV " ÉVOLUTION DE L'ENVIRONNEMENT A TCHERNOBYL ET GESTION DES TERRITOIRES CONTAMINÉS  " Paragraphe 2 (p. 19).

" 2. Administration des territoires contaminés.
" En 1986 une loi a classé les agglomérations en fonction des niveaux du sol.
Une zone d'exclusion a été déclarée pour les 30 kilomètres autour du site accidenté. Dans cette zone, les populations ont été évacuées ; toutes les productions agricoles, le transit des personnes et des marchandises ont été interdits, toutes les entrées et les sorties de la zone sont réglementées. En 1998, des interdictions restent encore en vigueur.

 

Rappel des critères administratifs mis en place en 1986 pour la gestion des zones contaminées :

Les zones contaminées à plus de 15 curies par kilomètre carré par le 137Cs, à plus de 3 curies par kilomètre carré par le 90Sr ou par le plutonium à plus de 0,1 curie par kilomètre carré ou pour lesquelles les doses reçues par les populations résidentes sont estimées à plus de 5 millisievert par an doivent être évacuées et les mêmes restrictions que dans la zone d'exclusion doivent être appliquées.

Les zones contaminées à plus de 5 curies par kilomètre carré par le 137Cs, ou à plus de 0,15 curie par kilomètre carré par le 90Sr ou par le plutonium à plus de 0,01 curie par kilomètre carré ou pour lesquelles les doses reçues par les populations résidentes sont estimées à plus de 1 millisievert par an ont été mises sous le régime d'évacuation volontaire des populations ou de versement d'une indemnité aux populations restantes, de réglementation des travaux agricoles, d'exemption de taxe, d'interdiction d'implantation de nouvelles entreprises industrielles ou agricoles.

Les zones contaminées à plus de 1 curie par kilomètre carré par le 137Cs, ou à plus de 0,02 curie par kilomètre carré par le 90Sr ou par le plutonium à plus de 0,005 curie par kilomètre carré ou pour lesquelles les doses reçues par les populations résidentes sont estimées à plus de 0,5 millisievert par an ont été mises sous le régime de versement d'une indemnité aux populations, de réglementation des travaux agricoles, d'exemption de taxe, d'interdiction d'implantation de nouvelles entreprise industrielles ou agricoles polluantes pour l'environnement, d'interdiction d'implantation de sanatoriums et maisons de repos "

 

 

Annexe 2

Lettre adressée à M. Livolant, Directeur de l'IPSN, le 17 décembre 1998

 

Monsieur,

Je me permets de vous écrire afin de vous faire part de mon étonnement à propos du dossier de presse de l'IPSN Tchernobyl, douze ans après, d'avril 1998. Il comporte des erreurs graves, d'autant plus graves que les dossiers de presse IPSN ont une répercussion au niveau national, voire international.

Le chapitre IV intitulé " ÉVOLUTION DE L'ENVIRONNEMENT A TCHERNOBYL ET GESTION DES TERRITOIRES CONTAMINÉS  " traite au paragraphe 2 de l' " Administration des territoires contaminés ". Il est indiqué qu' " En 1986 une loi a classé les agglomérations en fonction des niveaux du solUne zone d'exclusion a été déclarée pour les 30 km autour du site accidenté . Dans cette zone les populations ont été évacuées (...) ". Est donné ensuite un " Rappel des critères administratifs mis en place en 1986 pour la gestion des zones contaminées : Les zones contaminées à plus de 15 curies par kilomètre carré par le 137Cs (...) ou pour lesquelles les doses reçues par les populations résidentes sont estimées à plus de 5 millisievert par an doivent être évacuées (...) " (photocopie jointe).

Une telle loi n'a jamais existé en 1986. Le texte de l'IPSN laisse supposer que tous les habitants de zones contaminées en césium 137 à plus de 15 curies par km2 ont été évacués dès 1986. Il introduit une confusion entre les critères ayant conduit aux évacuations en 1986 de 135 000 personnes après l'explosion le 26 avril 1986 du réacteur n4 et ceux ayant donné lieu aux "réimplantations" d'habitants hors des zones contaminées des années plus tard.

Les évacuations en urgence effectuées le 27 avril 1986 des 45 000 habitants de Pripyat, et les jours et semaines suivantes de ceux habitant dans un rayon de 30 km (zone d'exclusion) autour de Tchernobyl puis de quelques zones limitrophes biélorusses (en juin-août) ont eu lieu sur la base des doses susceptibles d'être reçues par la population [afin d'éviter les effets déterministes si les habitants étaient maintenus sur place], et donc à partir des débits de dose mesurés. Les auteurs du dossier semblent ignorer l'existence du rapport des experts soviétiques à la conférence internationale de l'AIEA qui s'est tenue à Vienne, 25-29 août 1986, donnant dans l'Annexe 7 les débits de dose et l'estimation des doses externes reçues à Pripyat ainsi que dans des villages de la zone des 30 km dont une partie des habitants aurait reçu avant leur évacuation plus de 250 mSv (25 rem, niveau inférieur d'intervention du comité de radioprotection soviétique).

Au 10 mai 1986 les débits de dose étaient supérieurs à 20 milliroentgen par heure pour la zone d'exclusion, de 5 à 20 pour les zones adjacentes qui seront évacuées, et de 3 à 5 mR/h pour la mise sous contrôle radiologique des zones dont auraient été provisoirement évacués femmes enceintes et jeunes enfants. A signaler que les régions lointaines à plus de 5 mR/h n'ont pas été évacuées.

Ce n'est que lorsque les dépôts au sol se sont stabilisés à la cessation des rejets vers la fin du mois de mai que les niveaux de contamination du sol ont pu servir à caractériser la situation radiologique. L'extension de ces zones sous contrôle radiologique, dont certaines sont situées à des centaines de kilomètres de Tchernobyl, a évolué en fonction des analyses radioécologiques. En 1986 n'ont été évacués que les 135 000 habitants des premiers mois. Quelques localités très contaminées d'Ukraine et Biélorussie situées non loin de la zone d'évacuation de 1986 n'ont été évacuées qu'en 1988-1989.

Quant à la limite de dose admissible, celle de 1986 (pour les 8 mois après le 26 avril) a été fixée à 100 millisievert (10 rem), puis 30 mSv (3 rem) en 1987 et 25 mSv (2,5 rem) en 1988 et 1989. On est donc loin des 5 millisievert par an (5 mSv/an) du dossier IPSN au-delà desquels il y aurait eu évacuation obligatoire depuis 1986 !

Les 5 mSv/an se réfèrent à la dose-vie, critère introduit par le Comité de radioprotection d'URSS en septembre 1988 et qui devait avoir force de loi au 1/1/1990. Pour un habitant d'une zone contaminée sous contrôle radiologique est calculée la dose-vie cumulée en 70 ans. Une dose-vie supérieure à 350 mSv (35 rem) devait donner lieu à une réimplantation hors de la zone contaminée.

Dans l'ex-URSS le programme 1990-1995 de déplacement massif de population hors des zones contaminées n'a été adopté par le soviet de Biélorussie qu'en octobre 1989 avec réimplantation obligatoire en 1990 hors des zones de plus de 40 Ci/km2 en césium 137 (plus de 10 000 habitants), celui de 100 000 habitants entre 15 et 40 Ci/km2 était prévu pour la période 1991-1995. Une loi du parlement ukrainien avec réimplantation obligatoire au-delà de 15 Ci/km2 et plus de 5 mSv par an n'a été adoptée que début 1991 et c'est le 12 mai 1991, et non en 1986, qu'une loi du soviet suprême d'URSS (voisine de celle énoncée par l'IPSN) basée sur les niveaux de contamination du sol ainsi que sur les doses susceptibles d'être reçues annuellement et régissant les réimplantations de population hors des zones contaminées était décrétée. L'erreur est de taille !

La confusion introduite par les auteurs du dossier IPSN entre les évacuations de la situation d'urgence créée par la catastrophe de Tchernobyl en 1986 et celles effectuées à plus long terme des années plus tard, a pu permettre des comparaisons inconsidérées entre la contamination surfacique relevée récemment par l'IPSN dans certains sites français comme celui du massif du Mercantour et la région évacuée de Tchernobyl en 1986. Je ne veux pas du tout dire que la contamination de certaines zones en France en 1986 ait été négligeable et qu'il soit normal qu'elle ait été négligée (voir par exemple le rapport de H. Maubert, CEA-IPSN, Cadarache, Premiers résultats des observations consécutives aux dépôts radioactifs de mai 1986 dans le bassin du Var) mais elle n'a rien à voir avec l'ampleur de la contamination post-accidentelle de la vaste zone d'exclusion autour de Tchernobyl.

Dans la mesure où vos services sont chargés de l'évaluation des doses à la base du déclenchement des contre-mesures en cas d'accident nucléaire majeur en France, il me paraît important que la catastrophe de Tchernobyl y soit analysée avec soin.

Il me paraît indispensable que vous publiiez un correctif à ce dossier de presse.

Je suis à votre disposition en ce qui concerne les différents dossiers sur Tchernobyl publiés depuis 1986 par la Gazette Nucléaire (revue publiée par le GSIEN, autrefois exposée à la bibliothèque du Département de Protection Sanitaire de l'IPSN de Fontenay-aux-Roses)

Veuillez croire, Monsieur le Directeur, à mes salutations distinguées.

Bella Belbéoch, ingénieur,
retraitée du CEA, Secrétaire du GSIEN,
co-auteur de Tchernobyl une catastrophe (Ed. Allia, 1993).

 

Copie à : M. Lacoste, Mme Voynet, M. Kouchner, M. Lacronique, M. Pierret, M. Barescut, Mme Regniault-Lacharme, M. Robeau

En date du 7 avril 1999 nous n'avons pas reçu de réponse officielle de M. Livolant, Directeur de l'IPSN.


La Gazette Nucléaire n°173/174, mai 1999.