The Independent, 22/2/90:

Sellafield workers "may be warned not to have children"
Les travailleurs de Sellafield pourraient "se voir conseiller de ne pas avoir d'enfants"

C'est ce que R. Berry, directeur de la santé de British Nuclear Fuel Ltd, a déclaré à la presse. BNFL a fait savoir ensuite que la phrase avait été citée par la presse hors de son contexte... L'analyse épidémiologique sur les leucémies d'enfants a été faite par le professeur Gardner. Elle indique que le fait d'avoir travaillé à Sellafield en zone active fait passer le risque de leucémie pour les enfants de 1/2000 à 1/300. La moitié des travailleurs employés à Sellafield ont moins de 35 ans.

 



L'Express, 23 au 29 octobre 1987:

Les enfants maudits de Sellafield

Nés près du site nucléaire britannique, ils risquent, plus que d'autres, la leucémie.

Il ne fait pas bon vivre juste en face de l'île de Man, sur la côte ouest du Royaume-Uni. C'est là, en effet, que s'étale, sur plusieurs dizaines d'hectares, le vaste complexe nucléaire de Windscale-Sellafield. Coincées entre la mer d'Irlande et les monts du Cumbria, des centrales atomiques voisinent avec des bâtiments de stockage des déchets radioactifs et une usine de retraitement des combustibles irradiés.

Windscale a bien mauvaise réputation. Polluant, dangereux, cet immense ensemble était suspecté de semer la mort. Aujourd'hui, une étude très sérieuse, publiée par le « British Medical Journal », laisse penser que les soupçons étaient fondés. Oui, les enfants nés autour de Sellafield courent plus de risques que les autres d'être atteints de cancer.

Dès 1981, les écologistes britanniques avaient tiré la sonnette d'alarme. Mais, à l'époque, personne ne les avaient écoutés. Il a fallu attendre la diffusion, en novembre 1983, d'un long documentaire, baptisé « Windscale : la lessiveuse nucléaire », pour que le gouvernement de Margaret Thatcher ordonne une enquête sérieuse. Une série d'études, confiées à des spécialistes de renom, furent mises en chantier. Deux d'entre elles ont été menées sous la direction du Pr Martin Gardner, responsable du département de statistiques médicales de l'université de Southampton. Elles viennent juste d'être terminées. Aidé d'un épidémiologiste et d'un jeune chercheur, Martin Gardner a épluché les dossiers médicaux de 1 068 enfants nés entre 1950 et 1983, à Seascale, le village le plus proche de Windscale.

Ses conclusions donnent le frisson: parmi ces jeunes, il y eut, durant cette période, dix fois plus de cas de leucémie que ne le laissait prévoir la moyenne nationale. Et quatre fois plus d'autres cancers. En revanche, le suivi des dossiers de 1 546 enfants qui avaient fréquenté l'école de Seascale, entre 1950 et 1984, mais qui n'étaient pas nés dans la petite commune, ne laisse transparaître aucune anomalie. A l'évidence, c'est durant la grossesse des mères ou très tôt dans la petite enfance que les « événements » responsables des leucémies en surnombre se sont produits. Martin Gardner réclame donc des études supplémentaires. Notamment auprès des enfants nés, depuis 1983, aux alentours de Windscale, puisque la majorité des leucémies enfantines se déclare avant l'âge de 5 ans.

Sellafield a maintenant trente cinq ans d'existence. Dès sa mise en service, le centre nucléaire est le théâtre d'une série quasi ininterrompue d'incidents. Les deux plus graves: un incendie dans le réacteur n° 1, en 1957, qui envoya dans l'atmosphère d'importantes quantités de produits radioactifs, et une explosion, en 1973, qui contamina 35 personnes dans l'atelier de retraitement. Selon les estimations, l'incendie a dû engendrer au moins 250 cas de cancers de la thyroïde. Aujourd'hui, on s'aperçoit que ce sont les enfants qui sont, sans doute, les premières victimes de cet ambitieux complexe nucléaire.

Françoise Harrois-Monin.