24heures.ch, 3/6/2010:
De l'uranium retraité originaire des centrales nucléaires suisses serait envoyé en Sibérie pour y être enrichi à nouveau. Il y serait stocké dans des conditions douteuses. La socialiste Simonetta Sommaruga s'en inquiète. Mais Berne tente de rassurer.
Le site nucléaire de Seversk, en Sibérie, où des déchets suisses auraient été envoyés. Il est classé zone interdite par les autorités russes.
La Sibérie est-elle la poubelle nucléaire
de la Suisse? Simonetta Sommaruga a de sérieux soupçons.
La socialiste bernoise en a fait part hier après-midi devant
le Conseil des Etats. Et la réponse du conseiller fédéral
Moritz Leuenberger ne l'a apparemment pas rassurée.
Les doutes de la sénatrice datent de l'automne dernier
et de la diffusion sur Arte d'un documentaire franco-allemand,
Déchets,
le cauchemar du nucléaire. Simonetta Sommaruga
y apprend que, depuis la fin des années 90, la France exporte
annuellement près de 100 tonnes d'uranium appauvri faiblement
radioactif de l'usine de retraitement de la Hague (Bretagne) vers la ville russe de
Seversk, en Sibérie. Sur ce site top secret interdit aux
étrangers, l'uranium retraité est enrichi à
nouveau pour être ensuite réexpédié
en France, où il est réutilisé comme combustible
dans des centrales nucléaires.
Seulement voilà: alors qu'elle se targuait de recycler
96% de ses matériaux nucléaires, la société
Electricité de France (EDF) a dû admettre que seuls
10% de l'uranium appauvri qu'elle envoie en Russie revient effectivement
en France. Le reste est stocké à Seversk dans des
containers, à l'air libre. Simonetta Sommaruga s'en inquiète.
Et se demande: dans la mesure où des centrales nucléaires
suisses envoient leur combustible nucléaire irradié
à l'usine de la Hague, se pourrait-il que, une fois retraité,
ce matériel radioactif soit envoyé en Russie pour
y être enrichi à nouveau? Avec le risque qu'une bonne
partie ne revienne jamais en Suisse? En février dernier,
le producteur électrique Axpo admettait «qu'en échange»
d'uranium enrichi acheté en Russie, des déchets
nucléaires suisses «restent» dans l'entreprise
russe de retraitement.
Berne conteste
«Aucune matière nucléaire suisse n'a jusqu'à
présent été transportée en Russie»,
affirme Matthieu Buchs, porte-parole de l'Office fédéral
de l'énergie. Les centrales nucléaires suisses ont
bien envoyé du combustible irradié vers les usines
de retraitement de la Hague et de Sellafield (Grande-Bretagne) mais jusqu'à
fin juin 2006 seulement, et l'entrée en vigueur d'un moratoire
de dix ans. «Ce qu'il advient ensuite de l'uranium retraité
n'est plus de notre ressort.» Mais Berne insiste: tous les
déchets nucléaires suisses sont rapatriés,
comme l'exige la loi. Par ailleurs, la Confédération
tient un inventaire des matériaux nucléaires stockés
à l'étranger, même si elle ne le communique
pas, au nom du secret des affaires et de la prévention
du sabotage.
Malgré les assurances données hier par Moritz Leuenberger,
Simonetta Sommaruga se dit «vraiment inquiète».
«Je conclus de sa réponse que le Conseil fédéral
confirme que du matériel nucléaire suisse est envoyé
en Russie et qu'il ne connaît pas la localisation de ces
matériaux. En outre, les exploitants de centrales nucléaires
portent une part de responsabilité au cas où ces
matériaux radioactifs ne seraient pas stockés correctement.»
«Evidemment que des matériaux radioactifs sont acheminés
en Russie, même si c'est indirectement, appuie Nicolas de
Roten, de Greenpeace Suisse. Le problème, c'est qu'on en
perd la trace en raison de l'opacité du système.
Il est scandaleux que le Conseil fédéral se réfugie
derrière le secret des affaires pour ne pas dire ce que
deviennent ces matières nucléaires. C'est le signe
qu'on nous cache quelque chose, alors que les Suisses ont le droit
de savoir où finissent ces matériaux.»
Le cycle du combustible nucléaire
COMBUSTIBLE IRRADIÉ
Se dit du combustible usagé (surtout de l'uranium), fortement
radioactif et très chaud, retiré du réacteur
de la centrale pour être stocké sur place.
URANIUM APPAUVRI
Dans une usine de retraitement, comme celle de la Hague, le combustible
usé est «trié». On récupère
ainsi de l'uranium dit appauvri, faiblement radioactif, mais qui
peut être valorisé.
URANIUM RÉENRICHI
L'uranium appauvri est réenrichi au contact d'uranium,
pour ce qui concerne la Russie, de sources militaires ou de surgénérateurs.
DÉCHETS NUCLÉAIRES
Se dit de tous les matériaux ne pouvant être récupérés.
La Suisse a l'obligation de les rapatrier. Elle cherche actuellement
un site pour les entreposer dans des couches géologiques
profondes.
Serge Gumy
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en Russie