Les Echos, 8/10/2008: 

Retraitement nucléaire: l'Etat appelle EDF et Areva à mettre fin à leur bras de fer

Après trois années de discussions tendues, les deux entreprises publiques ont été rappelées à l'ordre par leur actionnaire de référence pour aboutir à un accord avant la fin de cette année sur le fameux contrat pluriannuel de traitement et de recyclage des combustibles nucléaires.

Le bras de fer se poursuit entre EDF et Areva sur le fameux contrat pluriannuel de traitement et de recyclage des combustibles nucléaires. Après trois ans de négociations, la situation est devenue si tendue que l'Etat a été appelé par la CGT et les élus locaux à arbitrer entre les deux fers de lance du nucléaire français, qui n'arrivent toujours pas à s'entendre. L'Agence de participations de l'Etat (APE), qui siège aux conseils d'administration des deux entreprises publiques, et la Direction générale des matières premières et de l'énergie (DGMPE), ont dû siffler la fin de la recréation et « manifester leur souhait » de voir un accord aboutir avant la fin de l'année. De multiples réunions ont eu lieu au sommet.

Les deux entreprises publiques sont condamnées à s'entendre. Dans la valorisation des combustibles, EDF est le principal client d'Areva, qui est quasiment incontournable sur ce marché. Chez EDF, on espère aboutir « dans les toutes prochaines semaines ». « Les discussions se poursuivent », indique-t-on sobrement chez Areva.

Le contrat porte sur l'aval du cycle : le transport, le traitement et le recyclage du combustible issu des centrales EDF. Chaque année, Areva retraite environ 850 tonnes de combustibles de l'électricien dans son usine de La Hague, dans la Manche. Une partie est ensuite recyclée sous forme de combustible Mox par sa filiale Melox, à Marcoule dans le Gard.

Des enjeux massifs
Les enjeux financiers et industriels sont massifs.
Sur la base d'un coût de retraitement d'environ 1.000 euros le kilogramme - une hypothèse de prix pas trop éloignée de la réalité, selon les professionnels -, le contrat annuel pourrait atteindre 850 millions d'euros. A l'origine, il devait porter sur dix-sept ans, mais sa durée initiale pourrait être limitée à cinq années.

Les choses se compliquent avec les projets liés à l'aval du cycle [lire: Peut-on se passer du retraitement ? (Sciences & Avenir n°419, janvier 1982, en Pdf 1,5 Mo)], qui font aussi partie des négociations. Concrètement, il s'agit de construire, sur le site de La Hague, une nouvelle piscine de 4.000 tonnes pour entreposer les combustibles avant leur recyclage (lire ci-dessous) et une nouvelle usine d'uranium issu du retraitement à La Hague ou à Marcoule.

Chacun de ces projets représente des investissements de plusieurs centaines de millions d'euros. Le premier semble décidé par les deux entreprises, mais le deuxième pose problème. Qui paie ? Qui porte le risque ? Qui récupère les bénéfices ? « Nous devons faire preuve de créativité dans les négociations », concède un protagoniste.

Chez EDF, on privilégie un scénario dans lequel l'investissement serait porté par Areva en échange d'un mode de rémunération de type régulé, dont les principes seraient fixés à l'avance pour une trentaine d'années. La société serait rémunérée en fonction des coûts d'exploitation et du capital, un peu comme RTE dans les réseaux de transport d'électricité. Mais un tel schéma paraît difficilement acceptable par Areva, qui n'a sans doute pas envie de se lier les mains sans espoir de voir sa rémunération progresser au gré des cours de l'uranium.

De nombreuses péripéties
Même si chacun veut aboutir, les positions des uns et des autres restent à ce jour éloignées. Selon certaines sources, Areva était entré dans les négociations avec l'idée d'augmenter de 30 % le prix de ses prestations pour couvrir la hausse de ses coûts. A l'inverse, EDF espérait lui arracher une ristourne de 30 % par rapport au prix actuel...

Ce contrat géant a déjà connu bien des péripéties. La mouture précédente (2001-2007) avait été signée en 2003 seulement. Cette année, les deux sociétés travaillent sur la base d'un avenant jusqu'au 31 décembre. Fin 2007, un audit mené par PricewaterhouseCoopers pour EDF avait déclenché la guerre entre les deux groupes. A tel point que l'électricien avait menacé en mars dernier d'interrompre ses livraisons de plutonium à Areva. [Rappel: 1/1 000 000 ème de gr de plutonium inhalé suffit à provoquer un cancer et que 8 kilos sont suffisant pour faire une bombe atomique de type Nagasaki]

Selon la CGT du groupe nucléaire, « les salariés ne comprennent pas ce blocage entre deux entreprises publiques ». Ils craignent que les conditions du futur contrat ne soient défavorables et aient un impact social. « On ne peut pas cautionner un nucléaire au rabais, se défend un élu. Dans une industrie comme la nôtre, la sérénité est le pilier de la sécurité ».

A ces éléments complexes se greffent apparemment d'autres questions épineuses, comme la participation ou non d'EDF au consortium de la future usine d'enrichissement d'uranium Georges-Besse II. Le groupe d'Anne Lauvergeon a déjà invité GDF Suez à prendre part au projet, irritant son partenaire historique EDF.

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Le cycle du combustible
Le « cycle nucléaire », tel que l'appellent les défenseurs de cette énergie, démarre en amont avec l'achat d'uranium naturel, qui est enrichi avant d'être assemblé en combustible dans des tubes de 4 mètres de longueur
[lire: Le nucléaire représente un danger pour l'environnement et les populations tout au long d'un cycle qui va de la mine au stockage des déchets]. Ce combustible est ensuite brûlé dans les réacteurs pendant une durée de quatre ans, en 3 cycles de douze à dix-huit mois. L'aval consiste à traiter et recycler le combustible usé. On estime que 96 % de la masse du combustible nucléaire (uranium et plutonium) est recyclable. Après l'avoir séparé, le plutonium peut être utilisé pour fabriquer du Mox. L'uranium appauvri est soit entreposé, soit utilisé pour fabriquer de l'uranium de retraitement enrichi.