Le Figaro, 28/8/2008:
Les fabricants savent depuis quarante ans que ce radioélément dangereux est présent dans le tabac. Mais ils ont tout fait pour le dissimuler.
Philip Morris (PM), RJ Reynolds, British American Tobacco et toutes les «majors» de l'industrie du tabac ont volontairement caché au public pendant plus de quarante ans la présence dans les feuilles de tabac, les cigarettes et la fumée de tabac d'un élément radioactif dangereux et cancérigène, le polonium 210 (210Po). C'est ce composé, un des radioéléments les plus toxiques, avec une activité spécifique qualifiée de «colossale» par le radiothérapeute parisien Jean-Marc Cosset, qui avait servi à assassiner l'ex-agent du KGB Alexander Litvinenko à Londres en 2006.
Le numéro de septembre de l'American Journal of Public Health publie l'analyse de plus de 1 500 documents internes des firmes productrices de tabac qui a permis à Monique Muggli, une chercheuse de la Mayo Clinic aux États-Unis, de démontrer que les industriels savaient tout et n'ont rien dit. Paul Eichorn, dans un mémo de 1978 au vice-président de Philip Morris, conseillait de taire la présence du 210Po dans le tabac : «Nous risquerions de réveiller un géant endormi !»
Le polonium 210 est un émetteur de radiations alpha si instable et dangereux qu'il est un des rares à n'avoir jamais été utilisé en médecine. Il provoque des cancers du poumon par inhalation : il se dépose aux embranchements des bronches où il provoque le processus de cancérisation. Un fumeur de 30 cigarettes par jour s'expose par sa présence dans la fumée à l'équivalent de dose de 300 radios de poumons par an ! Le 210Po serait responsable d'1 % de tous les cancers du poumon des Américains.
Si le 210Po est présent dans la fumée, c'est à cause des engrais riches en phosphates que l'on utilise pour cultiver le tabac. Ils sont extraits de mines d'apatites, une roche qui contient du radium et du polonium. En diminuant la teneur en azote de la plante, ils donnent son arôme spécial au tabac des cigarettes. Dès les années 1960, les fabricants comme Philip Morris savaient que le 210Po contaminait leur tabac (environ 0,01 becquerel par gramme de tabac). Des documents des années 1970 montrent que Philip Morris voulait utiliser un solvant pour laver les feuilles et réduire la radioactivité de 10 à 40 %. Mais Ligget Tobacco Group, le 4 août 1975, conclut dans un autre mémo que les solvants lavent aussi toutes les «flaveurs aromatiques qui donnent au tabac son arôme désirable». Fausse piste donc.
Documents cachés ou détruits. Au début des années 1980, Philip Morris charge le Dr Osdene, un de ses chercheurs, de monter un laboratoire pour mesurer les doses de rayonnements émis par le polonium du tabac. En septembre 2001, William Farone, un chercheur du groupe, témoigne au procès contre les manufacturiers américains : «Nous pouvions mesurer la radioactivité de produits du tabac, pour retirer de la production certains qui étaient trop radioactifs pour atterrir dans les cigarettes.» Mais l'existence même de ce laboratoire a fini par être jugée dangereuse par la firme : le vice-président de la recherche de Philip Morris, Richard Carchman et William Farone, témoigneront séparément que le groupe, sur les conseils de ses avocats, a fini par fermer ce laboratoire. Trop dangereux si quelques plaignants pouvaient par la suite démontrer que PM «avait les moyens de faire une cigarette plus sûre mais ne l'a pas fait».
Les fabricants ont aussi testé des filtres
pour éliminer le polonium inhalé par le fumeur :
RJ Reynolds a ainsi réduit de 30 % la radioactivité
contenue dans les gaz et les particules de la fumée des
blondes Winston avec un filtre à la tourmaline (une pierre
semi-précieuse). Là encore RJ Reynolds finit par
renoncer. Tous ces travaux finirent par être stoppés,
les documents cachés ou détruits. Les avocats de
Reynolds interdirent aux chercheurs comme Stewart Bellin de publier
leurs résultats (mêmes ceux favorables à la
firme) dès 1967. Et les dirigeants ? Geoffrey Bible, président
de Philip Morris (plus de trente ans de maison), a témoigné
publiquement en 1997 «qu'il ne savait pas que du polonium
se trouvait dans les cigarettes Marlboro».
Nous l'avions, les premiers sans doute, annoncé
il y a bien des années (Science et Vie n° 569, avril 64):
la fumée des cigarettes est radioactive*.
Elle contient du polonium 210, dont la combustion produit tout
simplement du rayonnement alpha.
Le rayonnement alpha est très énergétique
- car c'est un rayonnement corpusculaire, à la différence
du rayonnement gamma, qui est électro-magnétique
- et ses particules sont 7500 fois plus lourdes que celles du
rayonnement bêta. Elles sont moins pénétrantes,
mais beaucoup plus ionisantes et l'on sait que les organes les
plus touchés par le polonium 210 sont la rate, les poumons
et le côlon.
Mais d'où vient ce polonium ? Selon les Drs Thomas
Winters et Joseph di Franza, de l'université du Massachusetts,
il proviendrait d'engrais phosphatés utilisés dans
la culture du tabac. Ce fut d'ailleurs l'une des hypothèses
les plus sérieuses.
Extrait de Science & Vie n°775, 1982.
- Le niveau du polonium 210 dans le tabac américain
a triplé en 25 ans. Ceci a coïncidé avec
l'augmentation de l'utilisation des engrais de phosphate par des
cultivateurs de tabac (le minerai de phosphate de calcium accumule
l'uranium et libère lentement le gaz de radon).
- Le polonium est un radioélément
naturel omniprésent dans l'environnement, avec ses précurseurs, le radon 222 et le plomb
210. L'exposition de l'homme au 210Po par ingestion de végétaux
(et, localement, de produits de la mer) apparaît significative
par rapport à celle induite par l'incorporation d'autres
radionucléides naturels ou artificiels. L'importance des
sources du 210Po dans l'atmosphère varie avec la localisation
géographique et la présence ou l'absence d'activités
minières et d'industries des phosphates (IRSN).
Extrait du dossier de la CRIIRAD
spécial
Polonium, mars 2007.
La fumée de cigarette contient plusieurs isotopes radioactifs dont les deux principaux, le polonium 210 et le plomb 210, viennent en droite ligne de l'uranium 238.
Le graphique ci-dessus vous montre la relation entre l'uranium 238, le plomb 210 et le polonium 210. Le polonium 210 constitue l'un des premiers radioéléments mis à jour à la toute fin du 19 ème siècle, quand Pierre et Marie Curie ont découvert la radioactivité (d'où le nom de polonium, en l'honneur de la Pologne, pays d'origine de Marie).
Marie est morte d'une leucémie, conséquence
d'expositions répétées et sans protection
aux radiations. Sa fille Irène, elle aussi prix Nobel,
est morte d'une "maladie des radiations", pour des raisons
similaires. De nombreux chercheurs manipulant et respirant des
matières radioactives sans protection ont souffert des
maladies qui touchent les fumeurs. Idem pour les premiers radiologues.
L'une des première étude
sur le cancer des poumons date de 1913. En autriche, des mineurs
exposés au radon et à d'autres produits radioactifs
mourraient très souvent avant 45 ans de cancer des poumons.
Il existe 4 types de rayonnements "ionisants": alpha,
bêta, gamma et X. A courte très courte distance,
les rayonnements alpha, les plus énergétiques, causent
le plus de dégâts aux cellules. Les rayons alpha
ne constituent pas un danger tant que le produit émetteur
se trouve en dehors du corps. Malheureusement, en fumant, on introduit
du plomb 210, qui donne du polonium 210 directement dans les bronches.
A cause de modifications dûes à l'irritation des
bronches par la fumée de cigarette, le plomb n'est pas
évacué des poumons et se transforme tranquillement
en polonium 210. D'après certains chercheurs, le polonium
210 et le plomb 210 contenu dans la fumée de cigarette
constitue le principal facteur de déclenchement des cancers
des poumons. Comme le polonium circule dans le corps, il irradie
de l'intérieur tous les organes, ce qui peut expliquer
certains cancers dûs au tabac (reins, leucémie...).
En fumant quotidiennement 30 cigarettes par jour, un fumeur expose
ses poumons à une irradiation équivalente à
300 radios des poumons par an.
Pourquoi y-a-t'il des produits radioactifs dans le tabac ?
Les feuilles de tabac sont bordées de trycomes [...], de
petites glandes collantes. Sur cette colle, les poussières
radioactives se concentrent dans le tabac, jusqu'à ce que
vous le fumiez.
Les poussières radioactives proviennent des traitements
appliquées au tabac par les éleveurs (les phosphates
contiennent un peu d'uranium), des retombées d'essais nucléaires
ainsi que de poussières naturellement présentes
dans le sol et l'atmosphère.
Ces informations proviennent en partie du CDC Atlanta.
* 1 cigarette contient entre 0,3 et 1,3 pci de POLONIUM 210, émetteur alpha. La combustion de 20 cigarettes par jour, cinq jour par semaine, quarante six semaines par an, aboutit à 22 Bq.