Le Monde - 23 mars 2006:
Nucléaire et développement
durable parviennent parfois à faire bon ménage.
Jacques Schneider et son fils Charles,
céréaliers à Salives (Côte-d'Or), exploitent
la plus importante chaufferie à paille de France, avec
une puissance de 5 mégawatts. Selon le même principe
de fonctionnement qu'une chaudière à bois, le combustible
est ici de la paille broyée à laquelle peuvent s'ajouter
des déchets de scierie.
L'unique utilisateur de ce procédé de cogénération
encore peu répandu en France est inattendu. Il s'agit de
l'installation du Commissariat à l'énergie atomique
(CEA) de Valduc, implantée sur la même commune. Classé
secret-défense, l'établissement effectue des recherches
sur les matériaux et fabrique des sous-ensembles d'armes
nucléaires. Les deux tiers de la chaleur nécessaire
pour chauffer ses 194 000 m2 de bureaux et laboratoires proviennent,
depuis le début de l'hiver, de la combustion de la paille.
Association insolite ? Les écologistes
locaux ne se privent pas de railler l'établissement nucléaire
qui utilise une énergie renouvelable pour se donner bonne
conscience. Robert Isnard,
directeur du CEA de Valduc, ne cache pas que l'initiative lui
est profitable en termes d'image. Chiffres à l'appui, il
tient même le discours d'un adepte du développement
durable.
"Par rapport au fioul que nous utilisions, ce mode de chauffage
réduit annuellement les rejets de CO2 dans l'atmosphère
de 6 390 tonnes et les rejets de soufre de 29 tonnes", précise-t-il.
Ces performances ont convaincu les pouvoirs publics (Etat, Union
européenne et collectivités locales) de subventionner
la moitié de l'investissement de 2,3 millions d'euros.
"Au départ, se souvient Charles Schneider, nous voulions
utiliser la paille pour chauffer des serres, cultiver des plantes
et, finalement, le voisinage du CEA, gros consommateur d'énergie,
juste de l'autre côté de la route, nous a décidés
à lui proposer d'acheter cette matière première."
Il suffisait de creuser deux canalisations de 1,5 km pour, comme
dans un chauffage central classique, transporter l'eau chaude
du foyer au réseau de chaleur du CEA.
Reconvertis en fournisseurs d'énergie,
Jacques et Charles Schneider, qui ont créé la SARL
Agro-Energie, n'oublient pas pour autant leur motivation première
: recycler un sous-produit des cultures céréalières.
Car, dans cette région où l'élevage disparaît
lentement, on ne sait que faire de la paille après la récolte
des céréales.
Rarement utilisée comme amendement des sols, elle est le
plus souvent brûlée sur place, technique encore autorisée
en Côte-d'Or mais de plus en plus critiquée. Depuis
sa mise en route, en novembre 2005, l'installation suscite la
curiosité. Elle a déjà reçu la visite
de plusieurs agriculteurs du département voisin de l'Yonne,
gros producteur de céréales.
Christiane Perruchot