Nuage administratif sur le nucléaire français
Selon des écologistes, des réacteurs fonctionneraient dans l'illégalité.

Denis DELBECQ, Libération, mardi 16 décembre 2003

Selon «Sortir du Nucléaire», des centrales n'ont plus d'autorisation de rejets d'effluents non radioactifs; une autre en violerait les normes.  

Le réseau «Sortir du Nucléaire» lance une nouvelle offensive contre les responsables du nucléaire français. Selon l'ONG, 16 des 58 réacteurs nucléaires de l'Hexagone fonctionnent dans l'illégalité, à commencer par ceux des centrales de Gravelines (Nord) et Cruas (Ardèche) qui ne disposent pas de l'autorisation de rejets d'effluents non radioactifs. De son côté, Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher) violerait les normes de rejets. «Sortir du nucléaire» annonce son intention de déposer des plaintes au pénal à l'encontre de responsables d'EDF, mais aussi de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Chez EDF, on explique que l'affirmation de «Sortir du nucléaire» est fausse. «Tous les sites fonctionnent aujourd'hui avec un arrêté de rejet valide. Les dernières autorisations ont été accordées en novembre», justifie Dominique Minière, directeur adjoint à la protection et la sécurité nucléaire chez EDF. «Les autorisations ont été signées, mais ne sont pas encore parues au Journal officiel», corrige André-Claude Lacoste, président de l'ASN.

Traîner. Pour fonctionner, une centrale nucléaire a besoin d'autorisations. Elles sont encadrées par un décret de 1995, qui a réorganisé la procédure. Il en est ainsi pour le prélèvement d'eau et les rejets d'effluents liquides et gazeux non radioactifs. En théorie, l'absence d'autorisation devrait conduire l'autorité de contrôle à ordonner l'arrêt de la centrale, ou, au moins, à faire cesser le «délit». Dans la pratique, plusieurs centrales ont fonctionné sans ce précieux sésame : durant trois ans à Gravelines, plus de quatre ans à Cruas, tandis qu'à Blaye (Gironde), les réacteurs ont fonctionné entre avril et septembre.

Tchernoblaye, une association affiliée à «Sortir du nucléaire», a saisi le Conseil d'Etat, considérant que l'autorisation accordée en septembre «est incomplète et donc illégale», explique Stéphane Lhomme, président de Tchernoblaye, qui rappelle qu'«elle est intervenue trois jours avant l'audience sur notre plainte» (1). André-Claude Lacoste précise que, dans le délai qui a précédé le renouvellement des autorisations, «l'ASN a demandé à EDF de respecter les normes de rejets antérieures et a fait ce qu'il faut pour s'assurer que c'était le cas». Le patron de l'ASN reconnaît que les procédures ont traîné : «Nous ne sommes pas fiers de ne pouvoir sortir les arrêtés en temps utile. Chacun doit y mettre du sien. EDF doit préparer de meilleurs dossiers. L'ASN doit les étudier plus vite et le reste de la procédure être accéléré.»

Méthode. A Saint-Laurent-des-Eaux, l'Autorité a adressé une mise en demeure à EDF, le 21 novembre, après avoir constaté un dépassement des rejets de substances chimiques. «Non radioactives», insiste André-Claude Lacoste. La lettre donnait deux mois à EDF pour respecter les valeurs limites. Pourtant, curieusement, elle lui expliquait qu'il pouvait «formuler, dans ce délai, une demande de modification de l'arrêté d'autorisation dûment argumentée, notamment en ce qui concerne son impact sur l'environnement». Faut-il y voir une manoeuvre qui permettrait à EDF de faire changer les règles du jeu ? «Pas du tout, réfute André-Claude Lacoste. Nous avions nous-mêmes un doute sur la clarté de notre arrêté.» EDF et lui semblent d'accord sur ce point. Ce serait une banale histoire de méthode : les inspecteurs de l'ASN n'auraient pas tenu compte de la présence naturelle des mêmes substances chimiques dans l'eau prélevée par la centrale.

Il reste que si aucune atteinte à l'environnement ne s'est produite, les tâtonnements administratifs n'aideront pas à calmer les ardeurs des associations écologistes. Un arrêté portant sur le classement «secret défense» d'informations relatives au transport des matières nucléaires avait déjà provoqué un joli pataquès, allant jusqu'à «rapprocher» le géant de l'industrie nucléaire Areva et les écologistes dans la contestation du texte, obligeant le haut fonctionnaire de la Défense au ministère de l'Industrie à réviser sa copie (Libération du 14 novembre). Alors que le gouvernement envisage de rajeunir le parc nucléaire et de lancer le réacteur de nouvelle génération EPR, les ambiguïtés et maladresses qui se succèdent ne risquent pas d'atténuer la méfiance.

(1) L'association Tchernoblaye avait poursuivi EDF, mais avait été déboutée et condamnée le 12 mai, ses statuts ne lui permettant pas de mener cette action en justice. Ils ont été modifiés depuis et l'association a déposé une nouvelle plainte en août.

 

Libération du 16/12/03

Surprenantes enquêtes publiques

On reste pantois à la lecture de la conclusion du rapport de la Commission d'enquête publique de 1999 qui devait donner son avis sur le renouvellement des autorisations de la centrale de Saint-Alban-du-Rhône : «L'avis favorable est motivé par le fait que le site, qui ne bénéficie déjà plus d'autorisation de prélèvements en eau depuis le 31 décembre 1997, a besoin d'être autorisé tant en terme de prélèvements que de rejets pour pouvoir fonctionner. Emettre un avis défavorable ou refuser l'autorisation reviendrait à demander l'arrêt de la centrale, qui n'est pas le souhait ni la vocation de la Commission.»

Denis DELBECQ


Plus du quart du parc nucléaire dans l'illégalité, selon une association

15/12/03 - Plus du quart du parc nucléaire français se trouve actuellement dans l'illégalité faute d'autorisations nécessaires concernant les rejets non-radioactifs dans l'environnement, affirme lundi le réseau Sortir du nucléaire dans un communiqué.
"Les centrales nucléaires ne peuvent fonctionner légalement qu'avec des autorisations spécifiques concernant leurs rejets dans l'environnement, radioactifs ou non. Or, plusieurs centrales nucléaires fonctionnent actuellement, ou ont fonctionné ces derniers mois, sans les autorisations de rejets radioactifs", affirme le réseau, qui revendique 650 associations membres, écologistes ou anti-nucléaires.
Selon le réseau associatif, 16 réacteurs sur 58, soit près du quart du parc français, sont dans l'illégalité. Sont dans ce cas, selon Sortir du nucléaire, les centrales de Gravelines (Nord - 6 réacteurs), Cruas (Ardèche - 4 réacteurs), et du Blayais (Gironde - 4 réacteurs) qui "fonctionnent actuellement sans les autorisations nécessaires ou, pour le Blayais, avec des autorisations non valables".
Pour sa part, "la centrale nucléaire de Saint-Laurent (Loir-et-Cher - 2 réacteurs) est dans l'incapacité de respecter ses nouvelles autorisations", ajoute le réseau.
Sortir du nucléaire dénonce ce "scandale national" et indique que des actions en justice vont être engagées contre EDF et l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
De son côté, le directeur de l'Autorité de sûreté nucléaire André-Claude Lacoste a démenti qu'il y ait un "vide juridique" dans le statut des rejets non-radioactifs des centrales. Ces rejets chimiques dans l'eau étaient réglementés par des arrêtés ministériels d'une durée de vie de dix ans et certains sont venus à échéance.
"Une procédure de refonte de ces arrêtés afin d'aboutir à des arrêtés globaux, incluant rejets radioactifs, chimiques (liquides ou gazeux), est en cours", a indiqué à l'AFP M. Lacoste. "Il y a des enquêtes publiques qui sont longues et il y a beaucoup de discussions au plan local. Les arrêtés prennent donc du temps pour sortir, cette procédure est longue", a-t-il ajouté.
"Nous nous efforçons d'avoir une vision globale des rejets, ce qui n'était pas le cas auparavant", a-t-il indiqué, précisant que l'Autorité de sûreté vérifiait qu'EDF "continue à obéir aux précédents arrêtés de rejet, même s'ils sont devenus caduques". "Il n'y a donc pas de vide juridique", selon M. Lacoste.