« A ceux qui vivent à Fukushima, à ceux qui se sont réfugiés ailleurs et à tous les enfants du monde »

Wataru Iwata
Directeur du CRMS. Directeur exécutif du « Projet de 47 CRMS ».

 

C'était à la fin du mois d'avril 2011 que je suis arrivé à Fukushima pour mesurer le niveau de la radioactivité dans l'air ambiant. Les montagnes de Fukushima avaient un beau coloris de nuances diverses, et je me souviens encore, comme si c'était hier, de la profonde tristesse et du dépit ressenti à ce moment là : sans la radioactivité que m'indiquait mon compteur Geiger, la région pouvait apparaître comme dotée d'une nature riche et douce. Depuis, j'ai distribué des compteurs Geiger aux personnes qui désiraient se rendre compte de la situation par eux mêmes. Parmi les personnes qui ont participé aux mesures de radioactivité à cette époque, un grand nombre est maintenant parti se réfugier ailleurs.

Les principes de la radioprotection sont les suivants:
1. S'éloigner de la source qui émet les rayonnements ionisants.
2. Confiner les rayonnements ionisants.
3. Ne pas rester de longues heures près de la source de radioactivité.

Bref, se réfugier loin est le meilleur moyen de se protéger. De plus, pour ceux qui n'avaient pas été évacués des zones de la haute contamination aux premiers jours de l'accident, il y a des mesures et des précautions à prendre pendant un certain temps. Nous avons effectué des mesures avec ces gens, et discuté notamment avec les jeunes mères d'enfants à bas âge qui étaient allées se réfugier dans des endroits de moindre radioactivité. Car il faut apprendre aux enfants dès maintenant ou dans un avenir proche les mesures de la radioprotection, et leur dire qu'ils ont déjà été irradiés de manière conséquente. Qu'il faut éviter le plus possible les aliments contaminés ainsi que l'irradiation médicale comme les examens radiologiques systématiques. Il faut que ces enfants aient la conscience d'avoir été irradiés par l'accident de Fukushima et qu'ils puissent réagir par eux mêmes pour se protéger. Ils devraient également être conscients du fait qu'à l'instar de ce qui s'est passé après l'accident de Tchernobyl, ils risquent d'être victimes de discrimination. Et dans l'avenir, lorsqu'ils rencontreront celui ou celle qu'ils aimeront et avec qui ils formeront un couple, il faut qu'ils soient capables de lui expliquer qu'ils avaient subi l'irradiation lors de l'accident de Fukushima. Nous avons demandé à ces mères de ne pas faire subir à leurs propres enfants ce que nous avons subi de la part de TEPCO et le gouvernement japonais, c'est à dire, ne pas leur dissimuler la réalité.

Malgré le risque de conséquences sanitaires graves, l'ambiance générale au Japon, vis-à-vis de la radioactivité, est de considérer l'inquiétude comme excessive voire anormale. Je pense pour ma part que si l'homme ne ressentait pas de sentiment d'inquiétude envers les risques, l'humanité aurait disparue de la terre depuis longtemps. Vouloir ainsi à tout prix faire disparaître l'inquiétude revient à nous laisser sans protection devant l'immense danger de l'irradiation.

Dans la situation actuelle, les gens trouvent très facilement des raisons qui les empêchent de partir se réfugier ailleurs. J'entends dire, par exemple: je ne peux pas quitter mon travail, ou les enfants ne veulent pas partir, ou encore je dois rembourser le crédit de ma maison..., etc. Mais il me semble que ces personnes ne voient pas ce qui est essentiel, ce qui doit être respecté en priorité, c'est-à-dire la vie humaine. Il est important de critiquer les médias qui diffusent des informations inexactes, et de mettre en accusation les autorités administratives qui ne prennent pas de mesures pour l'évacuation. Cependant, nous ne sommes pas obligés d'attendre que quelqu'un prenne la décision à notre place. Le problème n'est pas de gober tout ce qui est dit par l'administration ou les médias. Ce qui pose vraiment problème, c'est notre incapacité à ne pas pouvoir penser par soi-même, à ne pas pouvoir se faire confiance. Au fond, ce problème ne date pas du 11 mars 2011, comme il ne concerne pas seulement les habitants de Fukushima. Si un pareil accident nucléaire se produisait dans d'autres régions du Japon ou dans d'autres pays développés ayant le même type de société, la situation serait plus ou moins similaire.

Nous ne pouvons pas donner de l'espoir aux enfants. Il me paraît de plus en plus présomptueux de croire qu'on puisse donner de l'espoir à quelqu'un d'autre. C'est comme dire qu'on peut transmettre la « Vérité ». Je crois par contre que nous pouvons faire ceci vis-à-vis des enfants: leur permettre de former leur esprit pour qu'ils puissent avoir de l'espoir par eux-mêmes. Respecter et renforcer leur dignité inaliénable pour qu'ils puissent faire confiance en leur propre capacité de réflexion et d'imagination, même lorsqu'ils seront exposés aux critiques et aux dénigrements.

Décembre 2011.