Libération, 21/7/2009:
Caténaires. Des magistrats ont tenté d'entendre des témoins outre-Rhin en fin de semaine.
Huit mois après les faits, c'est évidemment
un peu tard. Les juges antiterroristes chargés de l'affaire
des sabotages de la SNCF ont relancé, la semaine dernière,
leurs investigations en Allemagne. La pose des crochets qui avaient
endommagé des caténaires sur quatre lignes TGV dans
la nuit du 7 au 8 novembre 2008 - Paris-Lille, Est et Sud-Est
- a été revendiquée outre-Rhin dès
le 10 novembre, en même temps que des incendies de
postes électriques en Allemagne. Dans leur message, publié
et authentifié par la revue antinucléaire Anti
Atom Aktuell, les saboteurs assuraient avoir frappé
le réseau ferré par «résistance»
au lobby nucléaire, à l'occasion de l'acheminement
de déchets par des containers Castor, de La Hague
vers le site de stockage de Gorleben dans le nord de l'Allemagne.
Jeudi et vendredi, les juges français ont donc tenté
d'entendre trois militants antinucléaires en qualité
de témoin, à Hambourg et Berlin. Deux rassemblements
de protestation ont été organisés - l'un
devant l'ambassade de France à Berlin -, pour dénoncer
une «tentative d'intimidation» et de «criminalisation»
du mouvement antinucléaire. Le premier témoin, Hauke B.,
ne s'est pas présenté, ainsi que la loi allemande
l'y autorise. Une autre militante convoquée a été
arrêtée lors du rassemblement déguisée
en singe jaune, et portant avec d'autres un crochet géant,
une réplique en tuyau de plomberie des fers à béton
forgés pour stopper les trains. Conduite dans son déguisement
devant les juges, elle a également refusé de s'exprimer.
Boulangeries. Un rapport de la sous-direction antiterroriste
(Sdat) de la PJ a désigné Hauke B. et Sandra G.
comme suspects de «faits de sabotages contre le réseau
ferré en 1996-1997 à l'aide de crochets métalliques»
dans le cadre d'une procédure ouverte en 1999. Mais
la Sdat a oublié l'essentiel, à savoir qu'ils avaient
tous deux bénéficié d'un non-lieu au terme
des investigations. L'affaire connue sous le nom de Goldene Hakenkralle
- «crochet doré» - a été un fiasco
policier et a donné lieu à un documentaire sur Hauke B.
Les policiers avaient, entre autres, placé sous surveillance
une chaîne de boulangeries bio, persuadés que des
messages circulaient dans les pains. «Il est inadmissible
que les policiers antiterroristes présentent ces innocentés
comme des suspects», fait remarquer un antinucléaire
français. La Sdat signale, dans son rapport, que Sandra G.
serait «une relation de Julien Coupat», le principal
suspect français, mais cet élément à
charge ne pèse, en effet, plus grand-chose si elle a été
blanchie.
Hormis leur présence à proximité d'une voie
sabotée ce soir-là, aucun élément
matériel n'est encore venu confirmer l'implication de Julien
Coupat et de sa compagne, Yldune Lévy, dans les sabotages.
Mais tous deux restent comme leurs amis de Tarnac poursuivis pour
«destruction en réunion à visée terroriste».
Moulinet. En Italie, une procédure vient
d'être ouverte à Pérouse pour une tentative
similaire de sabotage de voies ferrées. Et l'on a cette
fois des éléments attestant des préparatifs,
mais aucun fait, faute de passage à l'acte. Alessandro S.
et Sergio M. S., deux jeunes anarchistes, ont été
arrêtés par la police antiterroriste, le 3 juillet,
dans le cadre d'un vaste coup de filet sur la mouvance «anarcho-insurrectionnaliste»,
déclinaison italienne de l'appellation «anarcho-autonome».
Ils étaient en réalité surveillés
depuis seize mois. Les deux militants avaient été
interpellés fortuitement, une première fois, le
27 mars 2008, à proximité de la voie ferrée
Orte-Ancône, dans une Lancia blanche volée. Dans
le coffre, les carabiniers trouvent quatre crochets enduits de
graisse, enveloppés dans du papier journal. Ils trouvent
aussi deux cannes à pêche, dont l'une sans moulinet,
l'outil parfait pour la pose des crochets sur les caténaires.
Selon les policiers, ces crochets répondaient aux consignes
de fabrication d'un livret anarchiste, Mille façons de saboter ce monde. Un opuscule apparemment
plus opérationnel que le livre du Comité invisiblel'Insurrection
qui vient, qui se contente de mentionner le sabotage des TGV sans
entrer en matière. En 2004, l'Italie avait déjà
connu une série d'actions de sabotage de ses lignes Eurostar,
qualifiées de «terroristes» par les autorités.
Le commissaire européen aux transports, Antonio Tajani,
a salué les policiers antiterroristes pour avoir déjoué
«un attentat visant la sécurité du transport
ferroviaire». Les deux jeunes militants ont été
incarcérés.
Réagissant aux interpellations italiennes et aux convocations
en Allemagne, un collectif de soutien aux mis en cause français
s'est trouvé un nouveau mot d'ordre : «Tarnac,
Berlin, Pérouse, malfaiteurs de tous les pays associons-nous.»«On
complote contre nous internationalement, c'est donc internationalement
que nous devons conspirer contre eux», annonce le collectif.
KARL LASKE