Le Temps, mardi 29 juin 2010:

Alerte nucléaire au coeur de l'Allemagne

Par Nathalie Versieux, envoyée spéciale à Asse

Les autorités allemandes ont décidé l'évacuation d'un centre de stockage de déchets radioactifs entreposés dans une ancienne mine pour cause d'infiltrations d'eau. La décision relance le débat autour des déchets nucléaires

Une montagne de fûts jaunes estampillés du sigle du nucléaire. Une couche de sel et de béton par-dessus, et encore du sel pour boucher l'entrée des grottes. Un volume de masse radioactive équivalent à 60 maisons a été entreposé entre 1967 et 1978 dans la mine de sel désaffectée de Asse, au centre de l'Allemagne. 126 000 fûts de déchets radioactifs, certains bien alignés et d'autres pêle-mêle, devaient séjourner là pour l'éternité. Moins de 30 ans plus tard, le site de Asse a pris des allures de quasi-catastrophe écologique et de boulet politique. Le site géologiquement instable souffre d'infiltrations d'eau. Et certains fûts sont rouillés.

Face à la gravité de la situation, l'office fédéral BfS chargée de la gestion du site optait en janvier dernier pour l'évacuation de Asse. Cette opération inédite, hautement complexe sur le plan technique, prendra près de 20 ans et pourrait coûter 2 à 3 milliards d'euros à l'Etat. La semaine dernière, le gouvernement évoquait pour la première fois la possible instauration d'une taxe nucléaire, qui servirait notamment à financer la décontamination d'Asse.

A Asse, une colline située à 25 kilomètres au sud de Braunschweig en Basse-Saxe, le contraste est saisissant entre la campagne verte et riante dont les blés encore verts sont agités par le vent et le gris de l'ancienne mine de sel, qui a fait vivre la région entre 1909 et 1964. Quelques minutes suffisent pour atteindre les premiers étages souterrains de la mine, à quelque 500 mètres de profondeur. Un ascenseur pouvant contenir jusqu'à 14 hommes dévale l'étroit boyau vertical, déplaçant un courant d'air formidable. Un demi-kilomètre sous terre, la chaleur est étouffante. Quelques camionnettes attendent sur un vaste terre-plein gris éclairé au néon. Deux portes en lourd métal jaune, formant un sas, mènent vers le dédale des galeries, interminables et plongées dans le noir.

La visite de la mine met vite en évidence la gravité de la situation: des fissures strient les parois de sel. Depuis 1988, certaines parois de la mine se sont déplacées de six mètres vers le nord. A quelque 700 mètres de profondeur, un filet d'eau sorti de nulle part court sous des bâches pour éviter tout contact entre eau et air potentiellement contaminé. Les gestionnaires du site ont à lutter contre deux fléaux potentiels: un effondrement possible de certaines cavités et l'infiltration d'eau contaminée vers la nappe-phréatique.

L'ancienne mine de sel, édifiée sur 13 étages, s'enfonce jusqu'à 900 mètres sous terre. Neuf cavités ont été creusées à chaque étage. 12 contiennent des déchets faiblement radioactifs. Une autre, à 500 mètres de profondeur, abrite des déchets moyennement radioactifs. 60% d'entre eux proviennent des centrales nucléaires allemandes (qui jusqu'en 1975 pouvaient les y déverser sans frais), 23% de la recherche, 8% de l'industrie. Personne ne sait combien de césium, de plutonium ou de tritium se trouvent là, ni quels gaz ont pu se développer dans les cavités dont certaines sont devenues inaccessibles.

«Un des problèmes auxquels nous sommes confrontés est que nous ne savons pas vraiment ce qui se trouve dans les fûts, explique Wolfram König, Vert et président du BfS, l'office fédéral chargé de la sécurité autour du nucléaire civil. L'étiquetage des années 60 et 70 ne répond pas aux standards actuels. Au cours des dernières années, nous avons ouvert 25 fûts. La moitié ne contenait pas ce qui figurait sur les registres! Nous avions le choix entre construire un centre de déchets à l'intérieur de la mine, tout couler sous le béton, ou remonter les fûts à la surface. Cette solution est apparue comme étant la moins mauvaise. Nous devons prendre une décision valable pour un million d'années! Une décision qui n'ait pas de conséquences pour l'humanité dans 500 ans, au-delà de la mémoire humaine, une fois que les centrales nucléaires auront peut-être disparu de la terre, et que plus personne ne saura rien du danger. Il faut que même à ce moment, nos descendants puissent creuser le sol sans risques.»

A ce jour, aucun pays au monde n'a trouvé la solution qui permettrait de résoudre le problème des déchets nucléaires. Aucun centre de stockage à long terme n'a encore vu le jour. «Le stockage sous terre est considéré comme étant la solution la moins pire», explique Marcos Buser, géologue suisse et président de la Commission de suivi pour le projet Mont Terri, près de St-Ursanne, un laboratoire souterrain où les scientifiques étudient quelles couches géologiques pourraient être propices au stockage securisé des déchets nucléaire.

«Il faut à tout prix éviter que des substances qui ont un cycle de vie extrêmement long restent dans le domaine du vivant, poursuit Marcos Buser. Partout, on a comme en Allemagne été tenté d'utiliser des mines désaffectées pour stocker des déchets, nucléaires ou chimiques. Mais une mine désaffectée est comme un bâtiment. Les bâtiments bougent et se fissurent. Les mines aussi. La roche se fissure. Ces fissures se propagent jusqu'à la surface, de l'eau s'infiltre, le terrain s'affaisse, une partie de la mine s'effondre. C'est ce qui s'est passé à Asse. Enfouir les déchets sous terre suppose la construction d'une installation ad hoc, parfaitement étanche et confinée. La taille optimale pour un centre de stockage dans un pays tel que la Suisse serait de quelques centaines de milliers de mètres cubes pour traiter 8 000 tonnes de déchets. Asse a un volume de trois millions de mètres cubes. Même pour un programme nucléaire plus important, comme le programme allemand, c'est beaucoup trop.»

Les autorités allemandes ont finalement opté pour le transfert des déchets d'Asse vers l'ancienne mine de fer Konrad, à quelques dizaines de kilomètres de là. L'installation, pouvant contenir jusqu'à 303 000 mètres cubes de déchets, sera toutefois rapidement trop étroite, si les 100 000 mètres cubes entreposés à Asse y sont un jour transportés.

A Asse, une course contre la montre et la géologie est engagée. Dans un premier temps, un forage millimétrique doit permettre d'effectuer des prélèvements dans les cavités inaccessibles, enfouies sous le sel et le béton. Personne ne sait encore comment approcher sans danger les fûts endommagés, et encore moins comment les extraire, un jour, de la mine.

 


Arte, 9 septembre 2009:

Stockage des déchets à Gorleben (Allemagne)

Dans les années 80 le gouvernement du chancelier Helmut Kohl a multiplié les pressions sur les scientifiques pour qu'ils approuvent le stockage de déchets radioactifs à Gorleben un site où se sont succédés les incidents depuis lors.

 


Allemagne: les déchets, arme de dissuasion massive des anti-nucléaire

13/3/2009 - Les opposants au retour du nucléaire en Allemagne comptent utiliser la très problématique gestion des déchets radioactifs comme argument massue lors de la campagne des législatives prévues en septembre, face à un camp conservateur favorable à cette source d'énergie.

Pour contrer le discours des partisans du nucléaire sur la lutte contre le réchauffement climatique ou l'autosuffisance énergétique, les "anti" tentent de mobiliser sur ce thème, quelques mois après les révélations sur la contamination radioactive dans une mine de sel reconvertie en site de stockage pour des déchets dans le nord du pays.

"Les tenants du nucléaire essayent de taire cet aspect", relève Jochen Stay, porte-parole de l'association anti-nucléaire allemande Ausgestrahlt. Mais à l'approche des législatives de septembre, le débat sur le nucléaire devrait aller en s'intensifiant. "Le nucléaire va forcément être un des thèmes de campagne. Il l'est même déjà depuis quelques mois. C'est l'un des rares thèmes sur lequel les deux partenaires de la coalition (le patri conservateur CDU de la chancelière Angela Merkel et le parti social-démocrate SPD, ndlr) sont très divisés", relève M. Stay.

La CDU ne cache pas son intention de revenir sur l'abandon programmé du nucléaire d'ici 2020 en cas de victoire en septembre. Le SPD reste, lui, dans la lignée de la décision prise en 2000 par le gouvernement "rouge-vert", l'actuel ministre de l'Environnement SPD, Sigmar Gabriel jouant les fers de lance en la matière.

A la suite du scandale sur la non-divulgation d'une contamination d'une mine de sel reconvertie en stockage de déchets radioactifs de Asse (nord), en juin dernier, il propose maintenant de taxer les groupes producteurs d'électricité atomique à hauteur de 1 cent d'euro par kilowatt pour financer le traitement des déchets. Le ministre a chiffré à quelque 20 milliards d'euros le coût prévisible du démantèlement des installations existantes et de la gestion des déchets. Et ce chiffre ne prend pas en compte les installations de l'ancienne RDA. La taxe proposée rapportait environ 1,6 milliard d'euros par an.

Le président de l'autorité de sûreté nucléaire allemande (BfS), Wolfram König, a souligné que dans le centre de retraitement de Karlsruhe (ouest), qui reçoit près de 35% des déchets allemands, l'immense majorité est issu de l'industrie nucléaire, alors que la part des industries conventionnelles n'est que de 3% et le nucléaire médical inférieur à 0,5%.

Le ministre a jugé "politiquement, juridiquement et moralement inacceptable" que "ce fardeau" soit intégralement supporté par les contribuables. Cette taxe viendra "uniquement peser sur les bénéfices des opérateurs, ce qui me semble être un impératif absolu, car il n'est pas acceptable que les bénéfices tirés de l'électricité nucléaire soient privatisés alors que les coûts qui découlent de son exploitation sont payés par la collectivité", a argumenté mercredi le ministre, lors de la présentation du projet.

"A la CDU de dire si elle pense que les industriels doivent échapper à ces coûts (...) et que c'est au contribuable de payer. Je suis sûr que cela intéressera les électeurs et les électrices", a asséné M. Gabriel.

 


Le Monde, 23/9/2008: 

La polémique sur le stockage des déchets nucléaires rebondit en Allemagne

Des révélations sur une série d'incidents survenus dans un site d'enfouissement expérimental de déchets radioactifs relancent en Allemagne la polémique sur le stockage de déchets nucléaires. Mardi 2 septembre, le ministre social-démocrate de l'environnement, Sigmar Gabriel, a présenté un rapport sur l'état de la mine d'Asse en Basse-Saxe, qui confirmait l'existence de risques plus importants et plus anciens que ceux connus jusqu'à présent.

Entre 1967 et 1978, 126 000 fûts de déchets moyennement et faiblement radioactifs ont été stockés dans cette ancienne mine de potasse et de sel. Or, dès le début, les employés ont observé des écoulements de saumure dans les cavités de la mine. L'exploitant, le centre Helmholtz pour la santé et l'environnement de Munich (HMGU), avait reconnu l'existence de tels écoulements mais seulement à partir de 1988.

Avec un débit de 12 m3 par jour, ce ruissellement menace la stabilité de la mine. Pire, au contact des fûts dont certains seraient endommagés, des fluides se sont chargés de radioactivité. L'autorité de surveillance, l'office des mines de Basse-Saxe (LBEG), avait connaissance de cette situation depuis plusieurs années mais ne l'a rendu publique qu'en juin.

De plus, contrairement à ce qui a été prétendu auparavant, des combustibles nucléaires ont également été stockés à Asse. Enfin, l'exploitant n'a pas agi conformément aux normes et standards qui s'appliquent face à de tels risques. "On a retenu des informations sur les infiltrations", a fustigé le ministre de l'environnement.

En réaction, le gouvernement fédéral a transféré la surveillance du site à l'office fédéral pour la protection contre les radiations, qui dépend du ministère fédéral de l'environnement. Cette décision, qui confère à Asse le même statut qu'un site de stockage de déchets hautement radioactifs, doit être entérinée par le conseil des ministres d'ici à la fin de septembre. Berlin doit également présenter un projet de fermeture de la mine d'ici à la fin de l'année.

MORATOIRE

Ce scandale vient compliquer le dossier déjà très délicat du nucléaire en Allemagne. Le projet de stockage définitif par enfouissement des déchets hautement radioactifs est au point mort depuis 2000, date à laquelle Berlin a décidé un moratoire sur le site de Gorleben en Basse-Saxe. Les unions chrétiennes CDU-CSU qui gouvernent avec le SPD craignent désormais que Sigmar Gabriel, farouche adversaire d'un prolongement de l'activité des centrales, n'utilise les incidents d'Asse en faveur d'une sortie du nucléaire.

Or, le 5 septembre, la chancelière Angela Merkel (CDU) s'est faite une fois de plus l'avocate de ce type d'énergie et s'est prononcée en faveur d'un centre de stockage à Gorleben. Les chrétiens démocrates réclament la levée du moratoire sur ce site. En outre, ils opposent au ministre de l'environnement que la recherche de sites alternatifs coûterait au moins un milliard d'euros. Le ministre a immédiatement rejeté cette proposition.

 


Libération, 28/6/2008:

Un scandale de fuite radioactive contrarie les plans de Merkel

Le gouvernement allemand se serait bien passé de ce nouveau scandale En milieu de semaine, l'opinion a appris l'existence d'une fuite radioactive dans une ancienne mine de sel reconvertie en centre de stockage à Asse, dans le centre du pays.

L'affaire est d'autant plus sensible qu'Angela Merkel vient tout juste de commencer une offensive de charme pro-nucléaire auprès d'une opinion particulièrement rétive. La chancelière allemande attend les élections de l'automne 2009 pour revenir sur la décision prise par le gouvernement Schröder de fermer toutes les centrales nucléaires du pays d'ici à 2020.

Endommagés. Retour à Asse, en Basse-Saxe, où 125 000 fûts faiblement radioactifs ont été entreposés à 750 mètres de profondeur entre 1967 et 1978. Mille trois cents autres fûts de déchets «moyennement» radioactifs (mais contenant onze kilos de plutonium) gisent également à 511 mètres de profondeur. Les couches salines, géologiquement stables depuis soixante-dix millions d'années, sont considérées comme quasiment imperméables.

Sauf qu'à cet endroit, le sol est en mouvement. Depuis la révélation de l'affaire, la société chargée de gérer le site a dû reconnaître qu'il lui fallait pomper chaque jour, depuis 1988, les 12 mètres cubes d'eau qui s'infiltrent quotidiennement dans la mine et entrent en contact avec un ou plusieurs fût(s) endommagé(s).

Ce qui expliquerait que depuis des années, les mesures réalisées sur place font état d'une contamination au césium 137. «Selon les endroits, les relevés sont de trois à onze fois supérieurs à la norme autorisée», admettent aujourd'hui les autorités du Land. Les Verts et les habitants craignent une possible contamination de l'eau potable de la région.

Au-delà des faits, le scandale d'Asse choque d'autant plus en Allemagne qu'il met en évidence les limites des systèmes de contrôle et d'information autour du nucléaire civil. Les autorités régionales, compétentes en la matière, n'ont été informées que récemment des fuites radioactives, et n'ont pas prévenu Berlin. Les liquides pompés de la mine sont réinjectés dans d'autres mines désaffectées, sans autorisation de l'autorité de sûreté nucléaire

Longtemps, Asse a été considéré en Allemagne comme un prototype du futur centre de stockage de Gorleben, dont le projet repose dans les tiroirs du gouvernement depuis des années. Depuis la révélation des fuites, Berlin tente de relativiser les points communs entre les deux sites.

La période actuelle est, de fait, décisive pour l'avenir du nucléaire civil outre-Rhin. La CDU, le parti de la chancelière, évoque déjà, dans un document consacré à l'avenir de l'énergie en Allemagne, la «renaissance d'une technique nucléaire hautement moderne». «A moyen terme, on ne peut pas renoncer en Allemagne à l'électricité d'origine nucléaire», insistent les auteurs du document.

«Absurde». «Fermer les centrales allemandes dans douze ans pour importer du courant nucléaire de République Tchèque, de France ou de Finlande, c'est absurde», estime pour sa part Merkel.

La chancelière multiplie depuis des semaines les déclarations de ce type, destinées à préparer l'opinion à un retour au nucléaire si elle était réélue l'an prochain. «Mais il faudra d'abord résoudre la question du stockage des déchets avant d'envisager la construction de nouvelles centrales», avertissent les auteurs du document de la CDU. C'était avant que n'éclate le scandale actuel.

 


Allemagne: la mine de sel qui fait peur

25/6/2008 - L'Allemagne est-elle face à une véritable menace radioactive ? Une menace qui vient de cette mine de sel désaffectée en Basse-Saxe, reconvertie dans les années 60-70 en centre de stockage pour déchets radiactifs. Depuis 1988, de l'eau s'infiltre dans la mine, et fragilise ses parois. On craint aussi que la radioactivité, dont le niveau est 11 fois plus élevé que la normale ici, atteigne les nappes phréatiques. Le ministre de l'Environnement ne cache pas son inquiétude : "Nous allons ouvrir une enquête, créer une équipe pour s'occuper de cela et envoyer des experts supplémentaires dans la mine de sel pour plus d'informations. On pense avoir des résultats après l'été." De 1967 à 1978 ont été stockés ici, sans grande précaution, plus de 126 000 fûts de déchets radioactifs . Un stockage entrepris de telle façon que les conteneurs ne pouvaient plus être retirés pour contrôle ou pour tout autre usage. Pour le responsable de la mine, "ce n'est pas le moment de discuter du passé, des compétences, ou des responsabilités, il faut fermer la mine". La fermeture est prévue pour 2017. D'ici là les autorités envisagent d'extraire et stocker les fûts ailleurs, et remplir la mine d'un matériau solide.